Par Abdoulaye Sow.
Les troupes du maréchal Khalifa Haftar ont perdu les grandes installations pétrolières de Es sider et de Ras Lanouf ce mercredi 08 mars suite à l’assaut des forces Libyennes. Une nouvelle donne se met ainsi en place à la surprise générale. Les plus importantes infrastructures pétrolières du pays sortent du contrôle de l’homme fort de l’Est, pion présumé de la Russie et des Emirats Arabes-Unis, mais aussi, dans une impossible synthèse, cheval de troie des américains. Oeil de Moscou, oreille de Langley, il est intronisé « Roi du pétrole » depuis une offensive victorieuse en 2015. Farouche opposant des islamistes, le maréchal serait allié des salafistes saoudiens autorisés à prêcher le wahabisme dans la zone sous son contrôle.
Le chef de la Garde des Installations Pétrolières (GFP), Idriss Saleh Abu Khamada, qui prédisait une victoire imminente , a déclaré que les ports ont été repris «Sous l’autorisation du conseil présidentiel». «La National Oil Corporation (NOC) peut désormais informer toutes les compagnies pétrolières de retourner aux installations sous le contrôle de la PFG » a-t-il poursuivi. La NOC contribue pour plus de la moitié au PIB du pays. Abu Khamada a exhorté l’aviation de Haftar de s’abstenir d’effectuer des bombardements qui pourraient nuire aux installations. La Libye, membre de l’OPEP, a produit environ 700 000 barils de pétrole par jour en février.
Khalifa Haftar, l’oeil de Moscou et l’oreille de Langley
Khalifa Haftar, le «Strongman de l’Est», est sans nul doute l’un des hommes les plus puissants de la Libye. Ancien ami puis ennemi juré de Mouammar Kadhafi avec lequel il s’était allié pour renverser la monarchie en 1969, l’homme connaît un parcours mouvementé. Célébré par les masses arabes quand il franchit la ligne de défense israélienne Bar-Lev en 1973 lors de la Guerre du Kippour, le maréchal connaît des fortunes diverses. Lors du conflit entre le Tchad et la Libye autour de la bande d’Aouzou, il est fait prisonnier par Hussein Habré et ne devra son salut qu’au prix d’une fracassante déclaration où il annonce son opposition à son mandataire, Mouammar Kadhafi.
Formé à l’école des Etats-major de l’Union Soviétique, l’homme est parfois considéré comme l’Oeil de Moscou par ceux qui n’arrivent pas à prévoir ses retournements fréquents de veston. Son long séjour aux USA où il arriva en 1990 , exfiltré en compagnie de ses hommes, par la CIA depuis le Tchad tombé aux mains d’Idriss Déby, n’ a pas altéré la réputation du stratège, participant tout au plus à épaissir sa double influence américaine et russe. Partisan du changement de pouvoir par la force, le maréchal est sur le terrain libyen dès les premières heures de la révolution de 2011.
Le maréchal prend la direction de l’armée rebelle sous l’autorité du Conseil national de la transition (CNT). En novembre 2011, il est nommé chef d’Etat major de l’armée au grand dam des islamistes qui voient en lui l’oreille de la CIA. L’homme de Benghazi se retire en Virginie de 2011 à 2013. Le temps de reprendre des forces, le « Général de Pacotille », surnommé ainsi par les islamistes, revient sur le terrain et parvient à unifier les tribus de l’Est contre Al Qaeda et l’Etat Islamique.
En février 2014, il annonce dans une vidéo le gel du Parlement et de la constitution provisoire. En mai de la même année, les milices de Haftar attaquent le parlement. En mars 2015, il est nommé commandant en chef de l’armée libyenne, dans un pays divisé en deux entre la coalition Fajr Libya à l’Ouest et ses milices qui règnent sur Benghazi et toute la partie Est du pays. Redoutable stratège, il est promu maréchal par le parlement de Tobrouk (hostile comme lui au gouvernement d’union nationale) en septembre 2016 et gagne en popularité dans les chancelleries occidentales. En 2017, alors qu’il contrôlait les installations, il tente une médiation entre la Russie et les USA pour lutter, dit-il, contre le terrorisme.
La défaite du 8 mars change la donne. Le Maréchal perd pied sur le pétrole. L’offensive sur Es Sider et Ras Lanouf qui a débuté le Vendredi 3 mars 2017 a été dirigée par les Brigades de défense de Benghazi, alliés d’AQMI. Le Gouvernement d’Union basé à Tripoli nie toute implication dans les attaques tout en savourant cette défaite inespérée qui ouvre une brèche dans les rangs du maréchal. Les troupes du maréchal Haftar sont soutenues par la Russie, l’Egypte et les Emirats Arabes Unis. Tandis que le Gouvernement d’Union Nationale dirigé par le premier ministre Fayez al-Sarraj est chaperonné par les Nations Unis.
Le contrôle des infrastructures pétrolières a changé plusieurs fois de mains depuis 2014. A chaque fois, les parties en conflits faisant attention à ne pas endommager les structures. A noter que le gouvernement d’union (GNA), dirigé par Fayez al-Sarraj, est la seule entité autorisée par l’ONU à vendre du pétrole. Les recettes d’exportation vont à la Banque Centrale de Libye qui a son siège à Tripoli. Le GNA qui bénéficie du soutien de la communauté internationale, et notamment des Nations-Unies, depuis l’accord inter-libyen signé fin 2015 au Maroc, ne contrôle que l’Ouest du pays grâce à une alliance avec les redoutables milices de Misrata. Cette énième bataille autour du pétrole montre en tout cas que l’équation libyenne est loin de son épilogue.