Je pense qu’il faut continuer à faire le plaidoyer. Par exemple, le Rwanda et le Maroc ont des politiques déterminées pour améliorer le fonctionnement du secteur informel. Vous avez également des pays agrariens qui ont faits de grands efforts pour l’Agriculture. Ce qu’a fait Akinwimi Adesina en tant que ministre de l’Agriculture du Nigeria, avant de devenir président de la BAD, est une révolution. Petit à petit, le Nigéria, premier importateur de riz au monde, va devenir un producteur tellement important qu’il va réduire à zéro sa dépendance avec l’extérieur. De même le Sénégal, deuxième importateur de riz au monde, est entrain de réduire sa dépendance par toute une série de projets dans le bassin du fleuve Sénégal.
Il y’a donc des pays qui réagissent très bien et qui sont entrain de changer de modèle économique. La Côte d’Ivoire est très flexible. Elle était le numéro un africain de l’ananas, numéro deux mondial derrière la Thaïlande.
Ce n’était pas la meilleure exploitation en avantage comparatif, la preuve, elle est aujourd’hui derrière le Bénin, et c’est du simple fait de producteurs béninois d’ananas. Si l’on avait attendu l’Etat, il n’y aurait pas d’ananas au Bénin. En dépit de cette régression, il faut reconnaitre que la Côte d’Ivoire est devenue l’un des producteurs mondiaux d’anacarde, produit important dans la consommation de l’Inde et de la Chine.
La première puissance économique de l’UEMOA va bientôt atteindre un million de tonnes de bananes (contre 400 000 tonnes aujourd’hui), ce qui est important vu le potentiel de création d’emplois sur cette culture. Donc il y a là une flexibilité très grande. On en arrive à passer aux meilleures spéculations agricoles en fonction de la demande mondiale. Et nous finirons vraiment par industrialiser les productions locales. C’est très important ce qu’ a dit le président Alpha Condé de la Guinée lors de la conférence internationale d’Abidjan sur l’émergence à savoir que l’Afrique va devenir l’un des ateliers du monde. Le continent deviendra le carrefour pour toute une série de produits notamment ceux de la métallurgie. Aujourd’hui le PIB de l’Afrique égale celui de l’Inde.
Tout le monde conçoit bien que l’Inde est un grand consommateur de métaux, à travers les industries variées, notamment l’automobile et l’industrie aérospatiale. Celà relève cependant de la science fiction de dire que l’Afrique va consommer, plus que l’Inde, son fer, son cuivre et son aluminium. Le Maroc par exemple n’abritait aucune activité automobile il y’a dix ans. Mais, aujourd’hui, avec l’ouverture de l’usine PSA à coté de l’usine Renault de Tanger, le royaume est devenu un des grands pays exportateur de l’automobile.
Il est prévu d’exporter 800.000 véhicules à partir du moment où l’usine de PSA sera en plein régime. L’Afrique finira donc par consommer son acier, son aluminium, etc. Le même cas se fait ressentir en Afrique du sud avec les usines Toyota. Au Nigéria où Nissan construira son usine automobile. Une fois de plus, cela a l’air d’être de la science fiction, mais nous allons finir par consommer nos produits sophistiqués. L’Egypte est un grand fabricant de composants électroniques, la Tunisie est un grand fabricant de câble. Alors, l’Afrique va devenir le propre consommateur de ses innovations technologiques. Mais quand on le dit maintenant avec le même PIB et le même nombre d’habitants que l’Inde, on n’y croit pas.
L’on continue d’entretenir une vision folklorique de l’Afrique. Il y’a un joli livre de l’essayiste camerounais Gaston Kelman, «Je suis africain et je n’aime pas le manioc» qui résume cette attitude. Ce qui veut dire qu’on n’est pas né pour être producteur de coton ou de cacao. On est né pour être ce qu’on est. Nous commençons à avoir des économies très diversifiées. Il faut donc faire, petit à petit, le plaidoyer pour que les dirigeants changent cet état d’esprit.
Certains leaders, tels que Lee Kwan Yu du Singapour ont su tirer un avantage du contexte géographique de leurs pays. Dans ce cas, en quoi les stratégies des pays Africains répondent-elles suffisamment à cette nécessité ?
Lee Kwan Yu, de la même façon que Cheikh El Makhtoum à Dubaï, sont des gens qui n’avaient aucune inhibition, qui savaient qu’ils pouvaient créer des modèles qui leurs étaient propres et qui seraient gagnants. Ils ont créé énormément de scepticisme au début. Regardez Singapour Airlines, qui a le brevet de la meilleure compagnie du monde, avec des normes très supérieures aux compagnies nord américaines ou européennes. Regardez Emirates, entouré du mépris général lors de son démarrage. Aujourd’hui, c’est le plus grand client d’Airbus et de Boeing au monde. Les pays qui font Airbus, la France et l’Allemagne, ont chacune 10 airbus 780, Emirates vient d’en commander 50 de plus . Ce que les Occidentaux n’ont pas vu venir c’est qu’on peut partir d’un niveau de sous-développement impressionnant et construire des modèles de développement.
Pour cela il faut des leaders qui n’ont aucune inhibition et qui n’intériorisent pas le fait qu’ils soient sous développés. Aujourd’hui la côte d’Ivoire fait 9% de croissance. Et elle ne se demande pas si la France fait 1.1%. Les ivoiriens sont conduits par un leader qui n’a pas de barrières, qui a été le directeur général adjoint du FMI. Il a été chargé de résoudre la crise russe et la crise asiatique et a une expérience qui ne lui crée aucune barrière dans la tête.
Quand vous voyez les nouvelles équipes dirigeantes, il y’a un progrès considérable. Ce sont des citoyens du monde, ils ont faits leurs formations un peu partout. Ils pourraient être des dirigeants de n’importe quel pays, très avancés, d’ailleurs ils le sont, ils viennent très souvent du privé, des institutions qui sont très exigeantes dans le recrutement.
Cette génération est dans une situation inverse de la mienne. Nous on disait que nous n’avions pas d’électricité et de routes, que notre situation était une fatalité. Les jeunes nous disent aujourd’hui que cette situation est formidable, qu’ils vont entreprendre, construire de nouveaux modèles hors réseaux, des Smartphones, des énergies renouvelables. Ils vous disent qu’on n’a pas de routes, cela aussi est formidable, donc ils vont construire des ponts à péage. Je vois dans cette génération des opportunités d’investir là où on voyait des fatalités. Vous n’êtes pas un leader tout seul, il faut que vous soyez sur les fronts ou devant les troupes, avec votre drapeau.
L’une des grandes chances de Singapour et des pays du Golf, c’est d’avoir justement des mélanges de populations diverses. Ce mélange fait venir des gens d’un peu partout afin de former un bassin, une population très variée, très ouverte. C’est une des explications. Le retour des diasporas avec les meilleures compétences mondiales, c’est tout ce que l’Afrique ne s’autorisait pas.
Maintenant que les jeunes gens rentrent en masse, on peut disposer des meilleures compétences de cabinets d’avocat, de consultants, de banquiers d’affaire… Ce n’est jamais trop cher la compétence. Refaire venir les enfants, c’est les encourager à se réimplanter et à récupérer leurs richesses. Vous n’avez donc pas de leader solitaire, vous avez un leader avec une génération derrière lui. Vous avez cette génération en Chine. Regardez Kagamé au Rwanda. Oui, le leader est essentiel, mais il faut qu’il y ait le personnel qui va avec. Regardez la vision extrêmement forte du roi du Maroc qui structure le développement de son pays dans ses relations avec l’Afrique.
Propos recueillis à Abidjan par Adama Wade en partenariat avec Performances Group.