Par Ludovic Maréchal.
L’Afrique, future grande puissance nucléaire ? C’est une éventualité de plus en plus probable, à en croire les nombreuses tractations qui se trament depuis plusieurs années dans le berceau de l’Humanité. Depuis la mise en service de la première centrale sur le continent à Koeberg (Afrique du Sud) en 1985, le programme nucléaire africain n’a jamais décollé. Il a fallu attendre 2010 pour entendre parler d’une relance de l’atome en Afrique du Sud pour multiplier par cinq la capacité des deux réacteurs d’1,8 GW déjà en place.
Mais l’investissement de 70 milliards d’euros nécessaire à la construction de six à huit nouvelles centrales nucléaires dans le pays a provoqué la colère des associations écologistes, favorables aux énergies vertes. En avril 2017, elles ont même fait annuler par voie de justice les accords signés avec la Russie, les États-Unis et la Corée du Sud. Malgré ce coup d’arrêt, le président sud-africain Jacob Zuma a réaffirmé fin juin sa volonté de poursuivre le plan initial.
« L’énergie nucléaire est la forme la plus propre et la plus fiable de mélange énergétique, a-t-il justifié. Le programme nucléaire est un investissement dans la sécurité énergétique de l’Afrique du Sud. »
Le Kenya défie l’Afrique du Sud
Avec une population qui pourrait quintupler d’ici 2100 pour atteindre 6 milliards d’habitants, l’Afrique a grand besoin de progresser dans son électrification, encore limitée à 42,9 % sur l’ensemble du continent, dont seulement 32 % dans la partie subsaharienne. Grâce à leurs immenses ressources naturelles, les pays africains peuvent compter sur le développement des sources d’énergies renouvelables, en particulier le solaire, l’éolien et l’hydraulique. Mais le nucléaire présente des avantages en termes de rapidité, de fiabilité et de prix, qui semblent séduire de plus en plus de nations. Avec 4,9 % des réserves mondiales d’uranium et déjà plus de 30 ans d’expérience dans le domaine, l’Afrique du Sud possède une longueur d’avance sur le Nigeria et le Ghana à l’ouest ainsi que le Maroc, l’Algérie et le Niger au nord, tous attirés par l’atome. C’est plutôt du côté de l’est africain que Pretoria devrait trouver un concurrent de taille, puisque plusieurs projets d’envergure devraient y voir le jour dans les prochaines années.
Au Kenya, la première centrale nucléaire est attendue pour 2027, soit 17 ans après les débuts du programme atomique national. Pour réduire significativement les importations d’électricité en provenance d’Éthiopie, Nairobi entend intégrer jusqu’à 4 GW d’origine nucléaire à son mix électrique pour un investissement de 9,8 milliards de dollars. En Égypte, l’intérêt pour l’atome est affiché depuis 1981, mais la mise en service d’une centrale d’1 GW, initialement prévue pour 2019, a été repoussée entre 2020 et 2025 pour un coût estimé à 4 milliards de dollars. Un autre pays émergent à l’Est, l’Ouganda, a récemment exprimé ses velléités en la matière. Au total, pas moins de 63 projets seraient en cours et 160 en prévision sur le continent africain, selon les données de la Société française d’énergie nucléaire.
Les Français au coude à coude avec les Russes et les Chinois
Pour accompagner l’Afrique dans sa quête nucléaire, plusieurs nations se sont déjà solidement positionnées, eu égard à leur savoir-faire. À commencer par la France, où l’énergie atomique occupe la part la plus importante au monde dans la production d’électricité (77 % en 2014) et qui compte le deuxième parc le plus large de la planète avec 58 réacteurs (contre 100 aux États-Unis). La première centrale construite sur le sol africain est d’ailleurs l’œuvre d’EDF, qui continue aujourd’hui encore à piloter l’exploitation, la maintenance, l’ingénierie et la formation sur les deux réacteurs de Koeberg. Candidat à l’appel d’offres du gouvernement sud-africain pour la construction de six à huit nouvelles centrales, l’électricien français a dû voir d’un très bon œil l’annonce du président Zuma de poursuivre la relance de son programme nucléaire.
Face à lui, les Etats-Unis mais surtout la Russie et la Chine tentent de s’accaparer un marché en pleine ébullition. Retenu en 2015 par le gouvernement égyptien pour y construire sa future centrale nucléaire, Moscou dispose également d’un projet bien avancé au Nigéria à l’horizon 2025. Le groupe russe Rosatom vient d’ailleurs de signer un accord avec l’Ouganda pour y extraire de l’uranium. De son côté, la Chine a récemment mis la main sur la mine d’Husab, en Namibie, afin de donner vie à l’accord de construction d’une première centrale au Kenya. Avec la nouvelle donne sur le continent africain, la capacité mondiale d’électricité d’origine nucléaire devrait augmenter de 60 % d’ici 2040, d’après l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).