Après les clameurs et les indignations qui ont suivi les appréciations du président français Emmanuel Macron sur les « 7 à 8 enfants par femme africaine », l’heure est venue à la raison. La froide logique des chiffres nous invite à douter, à notre corps défendant, de la thèse de l’Afrique peuplée.
C’est le lieu d’invoquer ici l’un des rares africains pénétrés de la science de l’intelligence économique. Amath Soumaré du cabinet Sopel rappelait en effet dans l’un de ses rapports destinés à ceux qui nous gouvernent et qui veillent sur notre sécurité, que le continent noir ne compte qu’une densité de 28 habitants au kilomètre carré contre 32,6 habitants en Europe et, pour s’en arrêter là, 138,29 habitants/km2 en Asie. Ce dernier continent pèse, avec 4 milliards d’habitants, quelque 60% de la population mondiale. Devrait-on le rappeler, 2 milliards d’asiatiques, soit 50%, ont moins de 20 ans.
Ces chiffres rendent compte de l’écart démographique relatif entre l’Afrique et le reste du monde. Non seulement, le continent a un gap à combler, mais, c’est clair, sans cet élan de rattrapage démographique, il est peu probable qu’on puisse être l’Asie du 21 ème siècle. C’est en s’appuyant sur son immense levier démographique que la Chine est parvenue à devenir l’atelier du monde, compensant son sous-développement technologique par un marché du travail dynamique. La compétitivité des coûts de facteur (qui ne repose pas certes que sur la disponibilité de la main d’oeuvre), vient de ce réservoir de jeunes et moins jeunes ouvriers prêts à l’embauche.
Bref, du point de vue macroéconomique, le continent africain a intérêt à disposer d’une population jeune et nombreuse pour soutenir et « non pénaliser » la croissance comme tend à le démontrer les statistiques d’Emmanuel Macron influencés par les gardiens du temple d’une Europe amnésique, qui ne voit dans le dynamisme démographique africain qu’une menace sur ses frontières sud. La transition démographique découle des politiques publiques non limitatives de naissance mais engagées dans l’éducation, la santé, l’Etat de droit et l’efficience des ordonnances du Budget.
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La superficie du continent africain est égale à la somme des superficies de plusieurs pays associés à la puissance et au gigantisme : Etats-Unis, Chine, Inde, Argentine, Union européenne et Mexique. Sans vouloir entrer dans le débat fécond entre croissance du PIB et croissance démographique, concentrons-nous sur l’atout géographique du continent le plus riche au monde en réserves hydriques, en ressources minières et en terres cultivables.
L’on ne convaincrait pas des populations pauvres du Sahel, confrontées à un taux élevé de mortalité des enfants, de souscrire aux politiques de limitation des naissances. Les ménages pauvres auront tendance à multiplier leurs chances en faisant beaucoup d’enfants. A l’inverse, les classes moyennes -et c’est ce qu’on observe de Dakar à Yaoundé- ont naturellement tendance à limiter le nombre d’enfants. Le crash démographique européen actuel semble pouvoir se financer d’abord par le niveau élevé des revenus des ménages européens. Ensuite par le solde migratoire positif qui fait du vieux continent l’une des principales destinations des flux de jeunes qui quittent leurs pays.
Aussi, au lieu de porter le débat sur la limitation des naissances, ne serait-il pas plus judicieux de s’attaquer à la racine du mal, à savoir l’échec économique de l’Afrique, la faillite des politiques de santé, d’éducation et d’urbanisme, le chômage… L’écart de plus en plus criant des niveaux de revenus et la proximité virtuelle des territoires du monde par la magie de l’internet crée un appel d’air des zones défavorisées vers les paradis du Nord. En dehors de l’approche sécuritaire et raciste consistant à administrer des méthodes contraceptives de masse à des populations qui l’ignorent et du discours violent sur la fécondité du ventre de la femme africaine, le vrai débat consisterait à expliquer la démographie du continent noir comme l’unique chance d’emprunter le raccourci de la Chine.
Quand les parlementaires de la CEDEAO font du Macron
Au regard de ces considérations, l’on ne peut que s’étonner de la récente résolution des parlementaires de la CEDEAO appelant à limiter à trois le nombre d’enfants par femme, afin, arguent-ils, de faire baisser de moitié, d’ici 2030, le « taux de fécondité le plus élevé du monde ». Voilà ce qu’on appelle prendre la conséquence pour la cause. L’Afrique ne compte pas le taux de fécondité le plus élevé du monde mais, hélas, le revenu par tête d’habitant le plus faible au monde. Ce ratio ne peut s’améliorer que par la mise en place des politiques publiques saines, portées sur l’éducation et la santé, l’assainissement de l’environnement des affaires et, entre autres, l’investissement dans les infrastructures. Le président de la commission de la CEDEAO, Marcel De Souza, est attendu sur les voies et moyens de rendre l’espace régional encore plus performant, de faciliter les flux de personnes, de marchandises et de capitaux suceptibles de créer plus de richesses et de recettes fiscales permettant le financement des politiques publiques.
Si le déclin de la natalité intervient avant le passage des économies de la CEDEAO (appartenant majoritairement aux PMA) dans le rang des pays à revenus intermédiaires, il est clair que cela va renchérir les coûts de facteurs et créer une inflation sur les salaires peu propices à la productivité économique. Dommage que le président du Parlement du Bénin, Adrien Houngbédji, rejoigne ainsi, avec armes et bagages, les thèses paternalistes d’un Emmanuel Macron, effarouché à l’évocation d’un hypothétique Plan Marshall par un confrère ivoirien à qui nous rendons hommage. Dommage que son homologue burkinabé, Salif Diallo, ait, dans un clin d’oeil flagrant au locataire de l’Elysée, évoqué un « déclin rapide, volontaire, de la fécondité grâce à l’accès universel à la planification familiale ». Le meilleur moyen de limiter les naissances n’est-il pas de scolariser les filles?
Un commentaire
Si l’Afrique limite sa population elle se donne une chance de ne pas tomber dans la surexploitation de ses ressources naturelles contrairement à l’Europe dont la survie dépend pour beaucoup de l’importation de matières premières.