Le monde africain des affaires vit décidément l’un de ses étés les plus chauds avec la tentative du groupe Saham de prendre contrôle de Sunu, son principal concurrent dans la zone de la Conférence interafricaine des marchés d’assurance.
Après avoir repris les parts de Mamadou Talata, soit environ 4%, le groupe marocain vient à ce jour de « ramasser » 21% des parts des minoritaires moyennant une forte prime par rapport à la valeur du marché. Selon les informations dont dispose Financial Afrik, le marocain n’entend pas en rester là. Des contacts discrets ont été pris avec d’autres actionnaires pour un probable débarquement de Normandie. Pour le moment, les régulateurs sont muets.
L’objectif de Saham est de passer rapidement au delà de 33, 3% des parts, ce qui lui donnera une représentation confortable au sein du conseil d’administration. Fort d’un trésor de guerre colossal issu de la vente d’un paquet d’actions à Sanlam, la société fondée par Moulay Hafid Elalamy est prête pour mener le combat jusqu’au bout. Une réunion de l’état-major est prévue ce lundi à Casablanca pour, susurre-t-on, faire le bilan de ces premières incursions. Pendant ce temps, Sunu dénonce une OPA inamicale opérée par ruse avec, certainement, un objectif de maîtriser un concurrent qui dérange. Face à une telle intrusion, le tandem Pathé Dione-Alioune Ndour Diouf, qui contrôle Sunu est obligé de nouer des alliances. L’appétit venant en mangeant, Saham, qui convoiterait aussi une grande banque de la place, aidée par son partenaire sud-africain, peut-il véritablement prendre le contrôle de Sunu?
Une vie d’acquisitions et de risques
Diplômé de l’Université de Sherbrooke en systèmes d’information, Moulay Hafid Elalamy entame sa carrière au Canada en tant que Conseiller Senior auprès du Ministère des Finances du Québec avant d’intégrer Saint-Maurice, une compagnie d’assurance canadienne où il occupe la responsabilité de Directeur de Systèmes d’Information. Au Maroc, il crée le groupe Saham en 1995, à l’âge de 35 ans. La même année, il signe son coup de Trafalgar en acquérant 35% de la société de courtage Agma pour 21 millions de dirhams (2,1 millions d’euros).
La communauté des affaires s’étonnait alors d’une telle débauche d’énergie dans une compagnie qualifiée de « moribonde ». Le jeune financier avait financé cette opération par 700 000 dirhams sous forme de stocks options récupérées quand il quittait le groupe ONA (où il a évolué un temps) et par un crédit contracté sur la place casablancaise. En 1997, Moulay Hafid Elalamy prend un autre risque en greffant à Agma un autre cabinet, Lahlou-Tazi, acquis par divers moyens. Une année plus tard, l’ensemble Agma Lahlou Tazi est introduite en Bourse puis cédée. Au passage, Moulay Hafid Elalamy ramasse un joli pactole et fait jaser.
Au lieu de prendre sa retraite ou d’acheter un yacht, il réinvestit ses plus values dans Saham et prend contrôle de Isaf Assistance. Le financier prit du recul et retourna au Canada, le temps de laisser retomber la polémique sur l’affaire controversée de l’introduction en Bourse d’Agma et la revente des parts dans cette compagnie de courtage en assurances. En 2005, un nouveau Moulay Hafid Elalamy revient au Maroc.
A l’époque, un célèbre quotidien écrivit » le loup est dans la bergerie ». Quelques mois plus tard, Saham acquiert la compagnie CNIA en devançant de peu la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) et la BCP. Infatigable, il s’offre les Assurances Es-Saada en 2006. Les deux compagnies sont fusionnées en 2009 pour donner naissance à la CNIA Saada Assurances. L’entité est introduite en Bourse en 2010 sous l’oeil vigilant du régulateur qui craignait un remake de l’affaire Agma Lahlou Tazi.
En 2011, le Groupe Saham acquiert le Groupe Colina au nez et à la barbe de la BMCE Bank et de Bank Of Africa. Aujourd’hui, le groupe Saham revendique son rang de premier assureur du continent. Ainsi, des stocks options, une dette et un flair ont permis de créer un empire contrôlé certes à 47 par le sud-africain Sanlam.
S’il est depuis 2013 Ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Économie numérique, Moulay Hafid Elalamy n’en continue pas moins de donner des cheveux blancs aux acteurs de la finance. Fort d’une fortune de plus de 600 millions de dollars (qu’il faut actualiser suite aux belles affaires réalisées avec la SFI et Sanlam), celui qui n’est resté que le temps d’un mandat à la présidence de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) n’a pas, c’est sûr, réalisé sa dernière acquisition. Osera-t-il aller jusqu’au bout dans la bataille qu’il a commencé contre le grand Pathé Dione et son partenaire Alioune Ndour Diouf, deux financiers qui en ont vu d’autres? L’été 2017 sera certainement l’un des plus chauds de la planète finance africaine.