Actualité oblige, nous republions ici notre éditorial du 15 octobre 2015 consacré au rôle de l’intellectuel. C’était suite à la parution du livre « Sortir l‘Afrique de la servitude monétaire: « à qui profite le Franc CFA? »
Les intellectuels africains ont la lourde responsabilité de ne pas se suicider comme Socrate et de ne pa s’exiler comme Le Tasse. Leur rôle est de structurer le débat stratégique de leurs pays, de leur continent et de leur monde.
Servir ou Trahir ? Frantz Fanon ou Nicolas Machiavel ? Le devoir et son prix exorbitant ou le confort et son avantage réconfortant?
Cette caste aux contours flous est constituée d’éclaireurs publics dans un contexte d’accaparement des médias par le populisme et de triomphe du voyeurisme décomplexé via les réseaux sociaux.
Alors que les politiques sont aux prises avec les nécessités court-termistes des mandats à renouveler, les penseurs doivent s’offrir les moyens de la prospective rationnelle pour nous rappeler sans cesse au moyen d’arguments techniques que l‘intégration politique, sociale, économique et financière africaine constitue la seule voie possible pour rompre avec 400 ans d’esclavages,100 ans de colonisation et 60 ans de néocolonialisme et de pauvreté.
C’est dans ce cadre que s’inscrit le livre qui fait actuellement grand bruit dans les quartiers sud du village francophone. Les économistes Bruno Tinel, Martial Ze Belinga et Demba Moussa Dembélé ont créé la sensation avec leur essai intitulé: « Sortir l‘Afrique de la servitude monétaire » et cette question détonnante et irrévérencieuse inscrite sur la page de garde: « à qui profite le Franc CFA? » Sensé secouer un vieux cocotier de 60 ans, le sujet rencontre un silence pesant des gouverneurs de la BCEAO et de la BEAC lesquels donnent l‘impression de fuir le débat ou, pire, de l‘ignorer quand il ne s’agit pas tout simplement de l‘étouffer.
Face au mutisme des autorités ministérielles et des officiels de la savane et de la forêt, le débat s’est vite déporté à Paris. C’est là que Carlos Lopes, secrétaire général démissionnaire de la Commission Economique Africaine (CEA), a lancé la phrase choc à la veille de la Réunion de la zone Franc: « le Franc CFA est un mécanisme désuet ». Repris par beaucoup de médias dont l‘AFP, cette déclaration forte n’a rencontré qu’un silence dogmatique du Lac Tchad à la Lagune Ebrié et des rives du Congo au plateau des Ifogha.
Heureusement que la liberté de parole qui a cours sur la Seine a enfin permis d’arracher des commentaires aux deux gouverneurs. Mais ni Meyliet Koné ni Lucas Agaba Achamba, ne sont parvenus, durant le débat improvisé en marge de la traditionnelle réunion de Bercy, à transcender leurs fonctions.
À la grande différence du gouverneur de la Banque de France, qui a vanté les mérites du FCFA en appuyant (un peu trop ) sur le pinceau pour décrire la situation inflationniste de certains pays (dont le tort est certainement d’avoir osé lancer leurs propres monnaies), les deux gouverneurs africains se sont contentés de répéter un discours convenu à lequel beaucoup de leurs cadres n’y croient plus: « nous luttons contre l‘inflation » ont-ils chanté en chœur. Oui, messieurs les gouverneurs, mais jusqu’à quand, s’interroge un officiel présent dans la salle?
Et de se féliciter d’une croissance « forte » selon Meyliet Koné. Quant à Michel Sapin, ministre français des Finances, il est l‘auteur de cette lapalissade ironique: « C’est une monnaie africaine, c’est aux africains de dire s’ils veulent changer leurs monnaies ». Les africains présents dans la salle ont justement gardé le silence quand ils n’ont pas tressé des lauriers au Franc CFA. C’est clair, la Françafrique a encore de beaux restes.