Par Alassane Ndoumbé
Les progrès enregistrés dans la lutte contre le commerce illicite au Kenya sont encore insuffisants, rapportent les médias locaux. Lilian Awinja, directrice générale de l’East African Business Council (EABC), estime que cette pratique ferait perdre à l’heure actuelle jusqu’à 350 millions de dollars de revenus fiscaux à l’Etat kenyan.
Et c’est sans compter les impacts sociaux, sécuritaires et sanitaires de ce fléau ravageur pour l’économie du pays, la 8e du Continent en 2017 selon le classement établi par la Banque mondiale. D’autant plus que la faiblesse de la législation sur le commerce parallèle encourage les violations de la propriété intellectuelle et fait fuir les investissements étrangers, ce qui a un impact social direct en termes de revenus et d’emplois.
Le commerce illicite, boulet de l’économie kenyane
Diversifié et massif, le commerce informel se traduit par des importations illégales et des productions locales non déclarées, de la contrebande des biens accessibles aux accises, des flux financiers illicites… L’ONU, en particulier par la voie de l’OMS, a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises et mis en garde contre les conséquences de ces marchés parallèles qui touchent des pans entiers de l’activité du pays : ivoire, charbon, tabac, alcool, produits manufacturés. Car si la contrefaçon et la contrebande affectent lourdement les finances de l’Etat, il en va également de la santé de tous avec des produits frelatés ou de mauvaise qualité. De plus, l’EABC attire l’attention sur le blanchiment d’argent susceptible d’alimenter le financement d’activités terroristes, une observation à prendre au sérieux avec la présence croissante de groupes djihadistes en Afrique de l’Est.
Malgré ces risques régulièrement pointés du doigt par les organisations transnationales et leurs efforts en la matière, les autorités kenyanes ne sont pas encore parvenues à faire accepter une politique globale de lutte contre la fraude et les trafics. Car au-delà des bonnes intentions, il faut vaincre certaines résistances, à commencer par celles des industriels eux-mêmes. Si chacun a conscience que la mise en place d’un marché stable est un préalable indispensable au développement de la compétitivité et à l’accroissement des investissements, le secteur n’en redoute pas moins l’augmentation des taxes liées à la mise en place d’organismes de contrôle de traçabilité et d’authentification des produits… alors même que les contrefaçons grèvent ses ventes pour un coût final bien supérieur.
Un commerce parallèle ancrée dans les moeurs
Une vision de court terme dont la société suisse SICPA, mandaté par Nairobi pour lutter contre les fraudes sur les taxes sur les cigarettes, les spiritueux, les bières et les boissons sucrées, subit les foudres. Cible d’attaques régulières, souvent à des fins politiques, elle doit faire face à des accusations de corruption relayées par certains titres de la presse d’opinion. Le travail de la multinationale, qui vend ses services de traçabilité à une vingtaine de gouvernement dans le monde, est pourtant salué pour ses résultats par le Département des finances (le Kenya Revenue Authority, KRA).
De fait, la lutte contre le commerce illicite est devenue une priorité des autorités kenyanes qui montrent l’exemple en Afrique de l’Est. Nairobi milite ainsi, avec le soutien actif de l’EABC, pour la constitution d’un organisme régional chargé de lutter contre la contrefaçon et toutes les formes de commerce illicite. Les enjeux de santé publique et de développement humain sont énormes.
Mais, au sein même du pays, le combat est long et semé d’embûches. Le commerce informel y est ancré dans les mœurs, à l’instar de la vente de bières artisanales, une pratique plus que centenaire au Kenya. La dernière affaire ayant défrayé la chronique date de 2014. Plus de soixante personnes avaient péri après avoir ingéré une liqueur faite maison. Des dizaines d’autres sont devenues aveugles. La boisson contenait du méthanol, une substance chimique classée qui augmente l’alcoolémie du breuvage…