Plus qu’une accalmie, la semaine qui s’achève est l’étape de pourparlers devant décrisper la crise que traverse le Togo et ouvrir la voie à un dialogue entre les acteurs dans environ deux semaines.
Tout a commencé depuis jeudi 16 novembre, date à laquelle Jean-Pierre Fabre, chef de file de l‘opposition, a brillé par son absence devant le cortège qui a sillonné les rues de la capitale togolaise.
De même, ce grand amateur des marches n’était pas aux côtés de ses camarades le lendemain, ni même le samedi, lorsque la coalition de l’opposition a dressé un message dit d’affection à l’endroit des Forces armées togolaises (FAT).
D’après ses services de communication, le leader de l’Alliance nationale du changement (ANC) « était en visite privée » hors du territoire. Une explication qui va très vite changer à l’annonce de Me Tikpi Atchadam (PNP) et Brigitte Adjamagbo-Johnson (CDPA), en voyage sur Paris pour rencontrer Alpha Condé sur invitation de ce dernier.
Jean-Pierre Fabre s’était rendu dans la capitale française pour des raisons politiques personnelles, répond Eric Dupuy, son conseiller en communication, qui confirme un tête-à-tête entre le leader de l’opposition togolaise et le président Alpha Condé. «Il est le chef de file de l’opposition, celà veut dire qu’il a un statut particulier. Il n’a pas le même statut que les présidents de partis», justifie-t-il.
En effet, le Guinéen, sollicité par son homologue Togolais au détour d’une visite à Conakry, le 10 octobre 2017, tente de jouer au médiateur dans une crise togolaise qui inquiète désormais toute la sous-région.
Les trois principaux leaders de la contestation devraient se rendre quelques jours plus tard à Conakry sur invitation du président de l’Union africaine, mais l’arrestation d’un imam proche de Tikpi Atchadam et les évènements ayant suivi ont tendu l’atmosphère.
Interrogé après une visite mercredi 22 novembre à l’Elysée, Alpha Condé a déclaré vouloir créer les conditions pour un dialogue entre l’opposition qui n’est pas prête à lâcher du lest, et le gouvernement qui ne privilégie plus la voie du référendum pour opérer les réformes prescrites par l’Accord politique global signé le 20 août 2006: « mon rôle est très simple : c’est de créer un climat apaisé. Le Togo est un Etat souverain, capable de décider de son destin. Nous, notre rôle, c’est de faciliter ».
Pour sa part, le président français Emmanuel Macron n’a pas manqué d’appeler les acteurs de la crise à aller à un dialogue sans préalables. Pourtant, les conditions d’une telle assise pour l’opposition restent inchangées, même si elle se dit favorable aux négociations: la libération des détenus dans le cadre des manifestations et dans l’affaire des incendies de marchés et la levée de l’état de siège sur les villes de Mango, Sokodé et Bafilo.
De son côté, l’exécutif avait annoncé quelques « mesures d’apaisement » dont la levée de la mesure de contrôle judiciaire de Jean-Pierre Fabre dans l’affaire d’incendie, annonçant prendre « également les dispositions nécessaires pour l’ouverture, à Lomé, d’un dialogue avec l’ensemble de la classe politique togolaise ».
Parallèlement à ces consultations, le président ghanéen, mandaté par ses pairs de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO), consulte. A Londres cette semaine, Nana Akufo-Addo a rencontré François Boko, avocat Togolais au barreau de Paris et ancien ministre de l’intérieur démissionnaire en 2005 au temps fort de la crise politique intervenue suite au décès de feu Gnassingbé Eyadema. Dans la foulée, le Ghanéen a été reçu en audience par Theresa May, la première ministre britannique.
Selon les informations, Nana Akufo-Addo – qui a déjà échangé avec Faure Gnassingbé à plusieurs reprises sur le sujet-, a également rencontré par deux fois, l’ancien ministre Pascal Bodjona, ex-N°2 du régime, tombé en disgrâce et entretemps incarcéré dans une histoire d’escroquerie impliquant Loïk Le Floch-Prigent, ex-PDG du groupe pétrolier français Elf.
Par ailleurs, son ministre de la sécurité a échangé, mardi 15 novembre à Lomé, avec une délégation de la coalition des 14 partis politiques de l’opposition, en vue de baliser la voie à un dialogue qui, selon nos sources, devra s’ouvrir avant le 10 décembre, ou à défaut, après le second sommet annuel des chefs d’Etat de la CEDEAO que la capitale togolaise devra abriter le 16 décembre. Un scénario que Lomé veut éviter.
Entre Abidjan et Abuja…
Contesté, le président Faure Gnassingbé était lundi à Abidjan où il a rencontré l’Ivoirien Alassane Ouattara. Devant la presse après cette « visite d’amitié et de travail » sur les questions relatives à la sécurité dans le Sahel et le futur sommet Union Africaine – Union Européenne, le Togolais s’est naturellement prononcé sur la crise et les issues envisagées : « tout va se terminer par un dialogue », a-t-il lancé, avant d’ajouter : « pour dialoguer, il faut être eux. Ma seule voix ne suffit pas ». Comme pour dire que la balle est dans le camp de ses adversaires politiques.
Le lendemain, le président Gnassingbé s’était rendu à Abuja où il a échangé avec le Nigérian Muhammadu Buhari. « En prélude du prochain sommet de la CEDEAO qui aura lieu le 16 décembre 2017, nous avons passé en revue divers sujets d’intérêt commun pour notre sous-région, dont la situation en Guinée Bissau et au Togo, la question sécuritaire dans le sahel ainsi que les réformes institutionnelles au sein de la CEDEAO », a twitté le président en exercice de l’organisation, sans aucune autre précision.
Vers un regain de tension ?
Si les dernières manifestations de l’opposition se sont déroulées sans violences selon l’itinéraire et les villes définis d’un commun accord avec l’autorité, celles annoncées la semaine prochaine risquent de ne pas connaitre le même climat. Dans une lettre adressée par le ministre de l’administration territoriale à la coalition, l‘interdiction reste formelle dans les villes contestataires de Sokodé, Bafilo et Mango, voire Kara, fief natal du chef de l’Etat.
Par ailleurs, l’autorité fait une « recommandation » de trois jours, pendant que l’opposition veut mobiliser ses militants dans les rues du 28 novembre au 2 décembre, soit 5 jours d’affilée pour exiger, entre autres, le retour à la constitution originelle de 1992, la révision du cadre électorale et le vote de la diaspora.
Par Nephthali Messanh Ledy