Ci-dessous, la substance de l’allocution du Roi Mohammed VI du Maroc prononcée à Abidjan, le 29 novembre 2017, en marge du sommet Afrique-Europe. Un discours panafricain ouvert au partenariat avec l’Europe et qui aborde les questions essentielles comme la migration. Appelant à une véritable gestion des flux, le Roi démontre au passage les mythes infondés de la migration.
«Dix-sept ans après son émergence, le Partenariat entre l’Afrique et l’Europe n’a rien perdu de sa pertinence. Et, désormais, le temps n’est plus au diagnostic, ni aux polémiques d’arrière-garde. Le temps est à l’action.
Il est indispensable que le dialogue courageux et responsable, entre les anciens pays colonisateurs et les anciens pays colonisés, demeure franc et direct. Et, il est aujourd’hui essentiel de lui donner un nouvel élan.
L’Union Européenne et l’Union Africaine sont deux groupements régionaux incontournables. Ils sont aussi importants l’un à l’autre, donc aussi importants l’un que l’autre. Egaux devant les défis, ils le sont autant devant les opportunités et les responsabilités.
La solidarité entre l’Europe et l’Afrique n’est ni un concept vide, ni un lien fondé sur une philanthropie univoque ; elle relève d’une responsabilité et d’une dépendance réciproques. La logique d’assistanat verticale peut à présent céder le pas à un véritable partenariat transversal.
Dans cet esprit, le Partenariat UE-Afrique doit évoluer vers un Pacte bi-continental nouveau. Il s’agit, pour l’Afrique et pour l’Europe, de faire face, de concert, aux défis incontournables, par une compétitivité partagée, une co-localisation des entreprises productives, une mobilité humaine régulée et des échanges culturels féconds.
Parallèlement, la conditionnalité de la dette doit être revue : les pays occidentaux attendent, en effet, que certains pays d’Afrique – indépendants depuis moins d’un demi-siècle – aient des performances politiques et économiques aussi positives et aussi importantes que les leurs, et leur imposent donc des conditions impossibles à respecter.
Cette aberration est d’autant plus vive, que ces mêmes pays européens ont parfois, eux-mêmes, de grandes difficultés sur les plans financier et politique.
Les relations entre l’Afrique et l’Europe ont, de tout temps, été marquées par les déplacements humains et les flux migratoires. Des dizaines de milliers de migrants africains essayent chaque jour de rejoindre l’Europe, souvent au péril de leur vie.
Le 21ème siècle sera celui des grands brassages. Ce constat de bon sens nous interdit de donner toute tournure idéologique, passionnelle, voire xénophobe aux discours sur la migration.
Certains pays, du fait de leur position géographique, sont amenés à être une terre d’immigration. Ainsi, le Maroc l’a été dès son origine, et depuis son indépendance, de manière constante, se sont succédé différentes vagues de migration : nos partenaires européens et maghrébins le savent sans contestation.
La notion de frontières, en Afrique, est née après les indépendances. Au cours de la période post coloniale, la gestion de la question migratoire n’a été couronnée que d’un timide succès et a constamment été envisagée, non comme une source de solutions et d’opportunités, mais comme porteuse de menaces et de désespoir.
Il fut un temps où l’immigration était liée aux déplacements commerciaux, aux pèlerinages religieux ou était imposée par les conflits et les pandémies.
Dans notre histoire contemporaine, elle a pris une connotation négative, puisqu’elle est associée à la drogue et autres trafics, voire aux méfaits des changements climatiques.
En somme, à notre époque, dans l’imaginaire collectif, l’immigration est associée aux fléaux de la pauvreté, de la précarité, de l’instabilité et même de la mort.
C’est ainsi que la Libye, nouvelle terre de passage entre l’Afrique et l’Europe, est devenue le corridor de tous les maux et cristallise tous les malheurs.
Nous avons été révoltés par les pratiques atroces rapportées par les médias, et subies par des migrants dans notre voisinage. Il s’agit d’un véritable déni de l’Humanité.
Ces agissements, menés par des milices armées qui échappent au contrôle du gouvernement Libyen, appellent à un examen de conscience collectif de ceux qui sont complices et responsables de cette traite incompatible avec les droits fondamentaux de l’Humanité. Ces pratiques sont contraires aux valeurs et aux traditions du peuple Libyen frère.
Peu capables ou peu désireux de saisir les causes profondes du phénomène migratoire, on le fige et on le généralise dans des représentations stéréotypées : à travers des images de déferlements de personnes sans travail et sans ressources, parfois aux profils douteux.
On serait tenté d’en vouloir aux populations européennes qui appréhendent un tel afflux massif et le ressentent comme une menace. Cette crainte n’est malheureusement pas toujours infondée, ne nous voilons pas la face.
Nos groupements régionaux auraient pu être plus efficaces face à cette situation. Et l’on peut à juste titre penser que, si l’UMA avait réellement existé, nous serions plus forts face à ce défi.
Or, hélas, l’UMA n’existe pas ! Et les flux migratoires, à la faveur de conflits régionaux, sont souvent la proie de réseaux de trafics divers, allant des stupéfiants aux filières terroristes. Mon pays, le Maroc, en fait les frais depuis longtemps, et aujourd’hui encore.
Nous le répétons : l’heure est à l’action. Peut-on trouver des solutions efficaces, ou sommes-nous condamnés à rester dans une logique de méfiance ? Je l’affirme avec force : nous pouvons agir. Mais nous ne pouvons pas tout faire, et surtout nous ne pouvons le faire seuls : la politique européenne en la matière devrait évoluer.
Il n’est pas acceptable que, tant sur les bancs des écoles prestigieuses que dans les entreprises du continent, les meilleurs talents africains soient l’objet des convoitises européennes, au mépris de l’investissement de leur pays d’origine en termes de formation ; l’hémorragie des cerveaux qui s’ensuit est déplorable.
Ayant été pays d’émigration, de transit et d’immigration, le Maroc a développé une approche introspective de la question migratoire, qu’il conçoit de manière inclusive et positive.
Si nous mesurons les défis que pose l’immigration, nous n’ignorons pas pour autant ses aspects positifs. Les illustrations en sont nombreuses :
Comme leurs frères marocains, les migrants africains ont contribué grandement à la reconstruction de l’Europe d’après-guerre ; et des pays africains se sentent légitimement lésés.
Au début des années 70, de jeunes Marocains se rendaient, dans un esprit convivial, en Europe pour les vendanges ou pour aider dans les champs. De nos jours, ces déplacements relèvent de la chimère !
Depuis une dizaine d’années, des Européens s’installent au Maroc, amenant leur savoir-faire, créant localement des PME et des emplois.
Aujourd’hui, une nouvelle vision s’impose : il s’agit de faire de l’immigration un sujet de débat apaisé et d’échange constructif.
Au Nord comme au Sud, nous en tirerons tous avantage. Et si cette conception est, pour l’instant, encore bien fragile, soyons assurés qu’un jour, ensemble, nous y parviendrons !
En tant que Leader de l’Union Africaine sur la Question de la Migration, J’ai à cœur de soumettre, lors du prochain Sommet de l’UA, des propositions à Mes frères et Sœurs les Chefs d’Etat, pour développer un véritable Agenda africain sur la Migration.
J’ai posé les premiers jalons de cet Agenda en Juillet 2017, à travers la note préliminaire qui a été présentée à Mon Frère, le Président Alpha Condé, lors du 29ème Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine.
Cet Agenda, à la portée pleine et entière, nous dicte de parler d’une seule et même voix africaine et selon notre propre plan de travail. Aujourd’hui où la mouvance migratoire est sans précédent, il s’impose de manière impérieuse et se décline en quatre niveaux d’actions : national, régional, continental et international.
A ce propos, il convient de corriger quatre mythes infondés :
La migration africaine n’est pas, de manière prédominante, intercontinentale. Elle est d’abord intra-africaine : sur 5 Africains qui se déplacent, 4 restent en Afrique ;
La migration irrégulière n’est pas majoritaire : elle ne correspond qu’à 20% de la migration internationale ;
La migration n’appauvrit pas les pays d’accueil : 85% des gains des migrants restent dans les pays d’accueil ;
Et enfin, Je rappelle qu’il n’y a plus de distinction entre pays d’émigration, de transit et d’installation.
Dans le cadre de cet agenda, conformément à leurs engagements internationaux, et loin des pratiques honteuses et inhumaines, héritées d’une époque révolue, les pays africains assumeraient leurs responsabilités dans la garantie des droits et de la dignité des migrants africains sur leur sol.
Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,
Je ne voudrais pas terminer Mon propos sans nourrir l’espoir que notre Partenariat gagne en maturité et se diversifie.
Nous croyons avec confiance que le Sommet d’Abidjan donnera, au partenariat afro-européen, une inflexion décisive et un élan qualitatif au service de la stabilité, de la sécurité et de la prospérité des deux continents.
En somme, il nous appartient de composer un agenda positif, pour dessiner un avenir meilleur.