Par Benoît Chervalier
« Akwaba ! » C’est par ce mot de bienvenue que les Ivoiriens vont accueillir le 5ème sommet des Chefs d’Etats et de gouvernements africains et européens cette semaine à Abidjan.
L’enjeu est de taille car l’Afrique a rendez-vous avec le XXIème siècle. Après une croissance soutenue au début du siècle laissant présager le décollage du continent – les Anglo-saxons parlaient du « Africa rising », la chute des prix des matières premières à l’été 2014 a mis un coup de frein brutal à ce dynamisme. La croissance du PIB s’est élevée à 1,6% en 2016 contre plus de 5% en moyenne annuelle entre 2003 et 2014.
Cette décélération aboutit même à une régression pour de nombreux pays si on le rapporte à la croissance par habitant. En 2017, 12 pays représentant 40% de la population du continent verront le PIB par tête reculer. L’explosion démographique offre autant d’opportunités que de menaces. Le dividende démographique – titre donné à plusieurs rapports officiels d’organisations internationales ces toutes dernières années- se transforme peu à peu en bombe à retardement. Selon les estimations, l’Afrique compterait 2 milliards d’habitants en 2035 et même près de 40% de l’humanité en 2100. Les nuages s’amoncellent sur plusieurs économies : l’agence de notation Moodys a tiré la sonnette d’alarme dans son dernier rapport. Le recours au marché obligataire international qui s’est fortement développé depuis 2012 pour dépasser les 10 milliards de dollars annuels en 2014 et 2015 risque la surchauffe en dépassant la capacité d’absorption de plusieurs pays. Le spectre de la dette souveraine resurgit dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, de l’Est du Centre. Aux difficultés économiques peuvent s’ajouter des défis politiques. Les deux locomotives du continent (le Nigéria et l’Afrique du Sud) sont à l’arrêt au lieu d’être une source de dynamisme et d’inspiration. Ce visage du continent est trop connu : The Economist en 2000 l’avait qualifié de « continent sans espoir ».
Mais l’histoire n’est jamais écrite. Les opportunités sont immenses et les sociétés africaines ont eu à cœur de démontrer un potentiel de créations et d’innovations issues de sa position de « leapfrog », c’est-à-dire de porteur d’un saut technologique. La banque mobile était en Afrique avant d’être en Europe ou aux Etats-Unis et il ne fait aucun doute que le continent africain accueillera de nouvelles innovations notamment dans le secteur de la santé, de l’énergie ou de l’éducation.
Ensuite, il est vain et sans intérêt de résumer au singulier la diversité économique, politique et culturelle de 54 Nations. Si l’Afrique au singulier souffre depuis 2014, certains pays africains se portent aujourd’hui très bien. Le Botswana notée A-/A2, bénéfice d’une confiance supérieure à celle de l’Italie (notée BBB). La croissance du PIB du continent fut en réalité en 2016 de 5% en excluant l’Angola, l’Afrique du Sud et le Nigéria. Des pays sont si hétérogènes qu’ils ne reflètent pas la diversité des situations. Les 35 Etats fédérés du Nigéria sont aussi différents que la Californie peut être dynamique telle Abuja et le Kentucky ou le Mississipi frappés par la grande pauvreté.
L’Europe dans son ensemble commence à comprendre l’enjeu majeur pour elle que représente l’Afrique pour sa sécurité et sa prospérité. L’Afrique ne peut plus être le seul centre d’intérêt de la France ou du Royaume-Uni, fondé sur les héritages historiques et culturels. L’Allemagne en mettant l’Afrique au cœur des priorités politiques lors de sa Présidence du G20 cette année a ouvert la voie. Mais l’essentiel reste à faire et il suppose du courage politique des deux côtés. L’Europe doit investir massivement en faveur de la croissance du continent africain et lui offrir un nouveau partenariat commercial. Les pays africains doivent de leur côté engager des réformes sociales et politiques d’ampleur pour supprimer les rentes de situation et répondre à l’immense soif de liberté et d’emploi de sa jeunesse.
*Benoît Chervalier dirige une banque d’affaires spécialisée sur le continent africain et enseigne à Sciences Po Paris et l’ESSEC l’économie et la gestion des affaires en Afrique.