La dernière tribune publiée par Kako Nubukpo dans le journal Le Monde aura été la goutte d’eau qui va déborder le vase. Mais le Togolais, devenu icône de la jeunesse africaine, n’était pas à son coup d’essai contre le franc CFA cette année.
Son combat est bien connu de tous : abolir le franc CFA. Dans les milieux politique, diplomatique, économique et financier, son nom s’est imposé comme celui du porte-flambeau d’une génération africaine en conflit avec une monnaie dont le sigle, autrefois, signifiait « franc des colonies françaises d’Afrique ».
Dans une tribune publiée le 17 juillet 2017 sur Financial Afrik, Kako Nubukpo, ancien ministre chargé de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques de son pays, était bien droit dans ses bottes. «Mes interrogations sur le franc CFA ne sont pas un objet d’étude de tour d’ivoire », écrivait le Togolais dont seule la plume reste l’arme de la contestation. « Chercheur, acteur institutionnel, j’ai éprouvé, sous diverses facettes, les limites de notre système monétaire, frein au développement des pays qui en sont encore tributaires. C’est contre cette servitude volontaire que je m’élève pour l’avenir de nos pays et de nos enfants », poursuivait-il.
Le choc diplomatique entre Lomé et Abidjan
Et de s’interroger : « comment leur expliquer demain que nous avons laissé faire ? Que nous avons nourri les caisses du Trésor Public français ? Tandis que les réserves qu’il nous impose avec notre pleine allégeance pourraient être réinjectées dans nos économies pour construire des écoles, des dispensaires, pour électrifier les zones rurales, construire des infrastructures modernes, dignes du 21e siècle, permettre aux jeunes d’accéder au crédit bancaire et financer des activités génératrices de revenus ».
Cette publication faisait suite à un choc diplomatique qu’il a provoqué entre Lomé et Abidjan. Quelques semaines plus tôt, le 24 mai 2017, ce docteur en économie et agrégé des facultés de sciences économiques avait déclaré avoir été mis à l’écart du gouvernement togolais (en 2015) sur demande du président Ivoirien Alassane Ouattara à cause de sa position sur le franc cfa. Ceci, devant des centaines d’étudiants surexcités à l‘Université de Lomé.
« Question de la souveraineté »
En septembre, Kako Nubukpo va soutenir ouvertement l’activiste Kémi Seba, entretemps jugé pour avoir brulé un billet de 5.000 francs. Selon cet ancien fonctionnaire de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’ouest (BCEAO), la plainte déposée contre le franco-béninois « s’inscrit dans une volonté manifeste de porter sur le terrain de la légalité formelle, pour ne pas dire légalisme, un débat qui concerne d’abord et avant tout la légitimité ».
D’ailleurs, soutenait-il, « le procès de Kémi Seba a été la pire façon, pour la BCEAO, de répondre aux critiques sur la gestion du franc CFA, car la banque a cédé à la tentation de pointer une victime expiatoire d’autant plus acceptable que certaines de ses prises de position sur des sujets autres que celui qui nous préoccupe ici peuvent être sujettes à caution ».
Même si, dans ses interventions, Kako Nubukpo évoque le plus souvent des aspects techniques, « la question de la souveraineté » a vite fait de trouver sa place dans le débat qu’il a relancé lui-même quelques années plus tôt : « est-il normal qu’à l’heure actuelle les États de la zone franc déposent la moitié de leurs réserves de change dans un compte d’opération logé auprès du Trésor français, alors que ces États ont accordé aux deux principales banques centrales de la zone, la BCEAO et la Beac, leur indépendance de jure et de facto ? », s’était-il interrogé.
« Mal nous en a pris »
Contre Emmanuel Macron, l’ancien ministre Togolais semble bien peser ses mots. Commentant, juste le lendemain, la réaction du président Français, le 28 novembre dernier, à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, celui qui était encore directeur de la francophonie économique et numérique au sein de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) n’ignorait pas la portée de ses phrases perçues comme une bombe au palais de l’Elysée.
« Une façon arrogante, pour ne pas dire plus, de la part de M. Macron, d’exprimer le déni de l’histoire monétaire françafricaine, renvoyant les dirigeants africains à leur servitude monétaire volontaire, les mettant à nu de la pire des façons, à travers des réponses d’une violence symbolique inouïe, dont la plus emblématique fut sans doute : « Le franc CFA est un non-sujet pour la France. ».
Plus loin, il dégaine : « on était donc en droit de s’attendre de la part de M. Macron, dans le cadre d’un discours à une jeunesse africaine préoccupée à juste titre par son avenir, à des propos structurés, réfléchis et fortement argumentés sur sa vision de l’avenir de cette monnaie, à l’intérieur même de son discours. Mal nous en a pris, car de franc CFA, il ne fut guère question ».
Cette prise de position de l’économiste est passée aux cribles dans les milieux diplomatiques de la zone franc. Si dans certains palais, l’on se réjouit des sorties polémiques du Togolais, Abidjan et Paris ont estimé que le protégé de Lomé a poussé le rubicond trop loin.
Par ailleurs, les chefs d’Etat africains en ont pris pour leur compte. « Cédant comme toujours aux sirènes de l’improvisation économique dictée par leur absence de vision stratégique de long terme et à la dictature du court terme, [ils] refusent ostensiblement de prendre à bras-le-corps la question de l’inadéquation entre l’utilisation du franc CFA et la réalisation de l’émergence économique, de peur de mécontenter le tuteur historique que constitue la figure tutélaire du président de la République française », leur a sifflé Kako Nubukpo.
Par Nephthali Messanh Ledy
2 commentaires
Réponse à M. Isidore KWANDJA NGEMBO, politologue sur l’affaire OIF contre NUBUKPO
Nous vous tenons à l’œil et vous tiendrons pour responsables de tout ce qui pourrait arriver à M NUBUKPO. Il n’a que des idées et demande sans relâche à ses détracteurs de rentrer seulement dans le débat et aux banquiers centraux des deux zones d’expliquer les mobiles de leurs politiques monétaires qu’il trouve incongrues pour des économies qui ont besoin de création d’activités et de croissance. C’est son droit en tant que citoyen de la zone. Il a droit à un contrôle citoyen de l’action publique. cela est fait dans toutes les grandes démocraties sans que cela ne suscite de polémique.
Au demeurant, le Professeur NUBUKPO est un enseignant-chercheur, donc un éclaireur qui, par ailleurs n’a jamais dissimulé ses opinions sur une quelconque question d’intérêt publique.
En outre, il tient toujours à préciser qu’il ne s’inscrit pas dans la logique de la théorie du complot (français, notamment), mais qu’il en veut aux chefs d’Etat qui savent très bien le chemin institutionnel par lequel il faut opérer des changements ou en sortir (d’où le terme de servitude volontaire).
Je ne vois donc pas l’intérêt de l’Organisation qui serait atteint ni le manquement à un quelconque devoir de réserve (à moins qu’on me dise qu’il ya des clauses secrètes et peu avouables qu’il aurait enfreintes) qu’il aurait violé, encore moins une prétendue impartialité ou neutralité qui serait mise à mal.
Non, soyons sérieux. La plupart des pays membres de l’OIF ne sont pas dans la zone franc y compris la France elle-même (seuls 15 pays sur 84, soit un peu moins de 18% sont dans la zone) ; mieux d’autres l’ont quittée pour battre leurs propres monnaies sans que la France ne cesse de commercer avec eux ou les boude parce que des intérêts seraient menacés. Je ne vois pas en quoi cela met à mal les intérêts de l’Organisation. Nous sommes juste dans un temps où aucune décision structurelle importante ne peut être prise sans un débat public où l’opinion y compris dissidente des savants ne soit souhaitée. Au moment où le Laos, le Vietnam et le Cambodge, d’une part, le Maroc, d’autre part, la Tunisie d’autre part, et l’Algérie quittaient la zone pour créer leurs monnaies, je ne pense pas que cela se soit fait sans critique négative de cette monnaie (le CFA, autrement ils n’en seraient pas partis) et si cela s’est fait sans débat, il convient de savoir que le débat contradictoire sur des questions structurantes est plus salutaire car plus représentatif des principes démocratiques.
Encore faut-il que ses détracteurs sachent que M NUBUKPO animait déjà des conférences et autres séminaires dans les médias imprimés et radiotélévisés
Avant d’être appelé, en toute connaissance de cause (toutes les plus grandes chaînes Radio et télé des pays d’expression françaises ou simplement francophile, notamment RFI et TV5, mais aussi des supports imprimés en français à grand tirage comme Le Monde avaient déjà eu recours aux démonstrations savantes de l’économiste) l’ancien ministre de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques du Togo, était célèbre de par ses prises de position sans faux-fuyants.
A moins que ceux qui l’ont nommé ne l’aient fait dans l’agenda secret de le faire taire. Ce serait mal connaître la force de conviction de l’homme et son amour pour son Afrique. Le débat est lancé, nous y sommes. Le malaise dommageable pour l’OIF ne fait que commencer.
Amon BINI
Réponse à M. Isidore KWANDJA NGEMBO, politologue sur l’affaire OIF contre NUBUKPO
M NUBUKPO n’a que des idées et demande sans relâche à ses détracteurs de rentrer seulement dans le débat et aux banquiers centraux des deux zones d’expliquer les mobiles de leurs politiques monétaires qu’il trouve incongrues pour des économies qui ont besoin de création d’activités et de croissance. C’est son droit en tant que citoyen de la zone. Il a droit à un contrôle citoyen de l’action publique. Cela est fait dans toutes les grandes démocraties sans que cela ne suscite de polémique.
Au demeurant, le Professeur NUBUKPO est un enseignant-chercheur, donc un éclaireur qui, par ailleurs n’a jamais dissimulé ses opinions sur une quelconque question d’intérêt publique.
En outre, il tient toujours à préciser qu’il ne s’inscrit pas dans la logique de la théorie du complot (français, notamment), mais qu’il en veut aux chefs d’Etat qui savent très bien le chemin institutionnel par lequel il faut opérer des changements ou en sortir (d’où le terme de servitude volontaire).
Je ne vois donc pas l’intérêt de l’Organisation qui serait atteint ni le manquement à un quelconque devoir de réserve (à moins qu’on me dise qu’il ya des clauses secrètes et peu avouables qu’il aurait enfreintes) qu’il aurait violé, encore moins une prétendue impartialité ou neutralité qui serait mise à mal.
Non, soyons sérieux. La plupart des pays membres de l’OIF ne sont pas dans la zone franc y compris la France elle-même (seuls 15 pays sur 84, soit un peu moins de 18% sont dans la zone) ; mieux d’autres l’ont quittée pour battre leurs propres monnaies sans que la France ne cesse de commercer avec eux ou les boude parce que des intérêts seraient menacés. Je ne vois pas en quoi cela met à mal les intérêts de l’Organisation. Nous sommes juste dans un temps où aucune décision structurelle importante ne peut être prise sans un débat public où l’opinion y compris dissidente des savants ne soit souhaitée. Au moment où le Laos, le Vietnam et le Cambodge, d’une part, le Maroc, d’autre part, la Tunisie d’autre part, et l’Algérie quittaient la zone pour créer leurs monnaies, je ne pense pas que cela se soit fait sans critique négative de cette monnaie (le CFA, autrement ils n’en seraient pas partis) et si cela s’est fait sans débat, il convient de savoir que le débat contradictoire sur des questions structurantes est plus salutaire car plus représentatif des principes démocratiques.
Encore faut-il que ses détracteurs sachent que M NUBUKPO animait déjà des conférences et autres séminaires dans les médias imprimés et radiotélévisés
Avant d’être appelé, en toute connaissance de cause (toutes les plus grandes chaînes Radio et télé des pays d’expression françaises ou simplement francophile, notamment RFI et TV5, mais aussi des supports imprimés en français à grand tirage comme Le Monde avaient déjà eu recours aux démonstrations savantes de l’économiste) l’ancien ministre de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques du Togo, était célèbre de par ses prises de position sans faux-fuyants.
A moins que ceux qui l’ont nommé ne l’aient fait dans l’agenda secret de le faire taire. Ce serait mal connaître la force de conviction de l’homme et son amour pour son Afrique. Le débat est lancé, nous y sommes. Le malaise dommageable pour l’OIF ne fait que commencer.
Amon BINI