La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) a enregistré sa troisième plus forte baisse de son histoire à -16.81% en 2017 contre 25.89% en 2009. Dans ce dossier, Daniel Aggre et Ahmed Diallo, experts du Cabinet Sikadvisory livrent leur analyse des évènements ayant impacté la BRVM en 2017.
Dès le mois de janvier 2017, le marché a été rythmé par des éléments négatifs sur le plan économique, politique et sécuritaire. Côté valeurs, seulement huit (8) entreprises ont pu tirer leurs épingles du jeu tandis que les autres étaient balayées par une vague de panique des investisseurs. Ces dernières surferont d’ailleurs tout au long de l’année dans le rouge.
Notre étude sur la baisse des cours de la BRVM se fera en trois (3) parties. Dans cette première partie, nous analyserons les évènements ayant impacté la BRVM. Dans le prochain article, nous présenterons une étude sectorielle ainsi que les plus fortes variations des sociétés cotées. Puis les
perspectives de l’année 2018 selon les gérants de fonds du marché, viendront clore ce dossier.
Analyse des évènements ayant impacté la BRVM
“ Vous devez vous attendre à l’inattendu en bourse, soyez prêt pour les extrêmes.” Affirmait Richard Dennis l’homme qui transforma $400 en $200 millions en une vingtaine d’années à la Chicago Mercantile Exchange. Cette maxime résume bien la volatilité de tout marché financier et la difficulté de prédire ou d’anticiper les facteurs exogènes pouvant influencer la bourse. Surtout dans nos marchés africains encore fragiles du fait des évènements politiques et sécuritaires.
2017, il faut le reconnaître, fut l’année la plus déconcertante que la BRVM ait connu ces dernières années. Qui en début d’année aurait pu prédire la mutinerie en Côte d’Ivoire ? Pas grand nombre.
Qui avait prédit la chute des cours du cacao et du café ? Personne, pas même le président Ivoirien qui en fut le premier surpris. Qui avait prédit l’ampleur du scandale agro-business ? Peu de personnes en effet; Alors que ces sociétés ont réussi à mobiliser environ 100 milliards FCFA (152 millions d’euros) auprès de plus de 40 000 souscripteurs.
Pourtant ces évènements se sont bels et bien produits et ont sans doute eu des répercussions sur la BRVM. Ou, du moins ils ont été des catalyseurs dans une correction naturelle du marché après une croissance moyenne de 16.87% depuis 2012. Mais il faut le reconnaître, la baisse de la BRVM a surpris tout le monde.
L’une des pires années à la BRVM
Dans le détail, en données mensuelles, il convient d’observer que le graphique saisonnier de la BRVM Composite en cette année 2017, est l’une des pires que la bourse ait enregistrés.
Graphique saisonnier de la croissance de la BRVM composite de 20111 à 2017
L’on constate que sur lex dix (10) des douze (12) de l’année, le marché affiche une perte avec une séquence de neufs (9) mois consécutifs. Janvier-Avril-Juillet- Août 2017, sont les mois ayant enregistré la plus forte baisse, avec une chute de +4.00%. Cela soulèvent plusieurs questions. Qu’est ce qui a bien pu se passer durant cette période à la bourse ? Comment les investisseurs et les spécialistes du marché ont -ils réagi à cette baisse ?
Quel secteur a été le plus impacté ?
Evolution de l’indice BRVM composite de 2016 à 2017
Sur ce graphique, nous observons 4 phases au cours de l’année 2017. La 1ère phase qui court du 2 au 31 janvier indique une forte baisse. Puis, il s’opère une légère hausse lors de la 2 ème phase du 31 janvier au 3 avril. Ensuite, nous observons une forte baisse prolongée sur 8 mois du 3 avril au 21 novembre. Enfin, la 4ème phase enregistre une forte hausse sur un court terme du 21 novembre au 31 décembre.
1 ère phase-Janvier 2017 : le pire mois de la BRVM
Depuis plus de dix (10) ans, aucun mois de janvier n’avait été aussi dévastateur pour les investisseurs de la Bourse régionale. En 2016, une certaine correction du marché avait déjà débuté. En outre plusieurs actionnaires avaient commencé à récupérer les bénéfices engrangés les années précédentes. Puis , arrive janvier 2017.
Cependant à bien y regarder, nous nous rendons compte que 3 faits majeurs ont été à la base de ce fait historique à la BRVM .
Dans la nuit du 5 au 6 Janvier 2017, une mutinerie éclate à Bouaké dans la deuxième ville de la côte d’Ivoire et se propage dans plusieurs casernes militaires du pays. Selon les informations relayées par la presse, les mutins réclament le paiement de leurs primes de guerre, des augmentations de salaires et une promotion plus rapide entre les grades.
Durant cette même matinée du 6 janvier, les comptes des sociétés de l’agro-business sont gelés. Ce, après une première intervention de l’Etat de Côte d’Ivoire par l’entremise de la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique, le 22 septembre 2016.
Cette situation marquera le début de plusieurs manifestations des souscripteurs de ces entreprises, à Abidjan. Trois (3) jours plus tard, c’est-à-dire le lundi 9 janvier, les fonctionnaires ivoiriens entament une grève de plusieurs jours. Ils réclament le paiement du stock des arriérés de primes et salaires ainsi que le changement du mode de calcul des retraites.
Aucune Bourse au monde ne peut prospérer avec des évènements économiques aussi négatifs. Tout cela a naturellement affecté prioritairement les compagnies du secteur de la distribution, du transport et de l’agriculture. Ces secteurs étant fortement corrélés à l’activité économique de la Côte d’ivoire.
Dans sa publication trimestrielle sur l’activité économique Ivoirienne, l’institut National de Statistique (INS), affirme que le PIB du pays a enregistré une croissance de 7.2% au 1er trimestre 2017. Mais à bien y regarder, on constate que les secteurs des principales entreprises cotées sont à la baisse. Ainsi, les industries agro-alimentaires perdent 1.4% durant cette période et celles du commerce sont en repli de 0.5%. Par contre le secteur du transport enregistre une légère hausse de 2%.
Sur la BRVM, nous nous rendons compte que la baisse du marché est beaucoup plus brutale au mois de Janvier, soit -4,97%. Le secteur distribution a perdu 14.78% durant le mois janvier, suivi du secteur transport (-9.28%), du secteur de l’agriculture (-8.10%) et du secteur service public (-5.07%).
L’année 2017 ressemble étrangement à celle de 2011
Hypothèse : La situation sécuritaire a surement dû freiner certains investisseurs internationaux et nationaux.
En regardant le graphique saisonnier mensuel, nous constatons que l’année 2017 ressemble étrangement à celle de 2011, année de crise post-électorale en Côte d’ivoire.
L’on relève 3 mois de hausse en 2011 contre 2 mois de hausse en 2017. Soit 8 mois de croissance négative en 2011 contre 10 mois en 2017. Nous pouvons donc établir une similitude, qui n’a pas dû échapper aux investisseurs très regardants sur le domaine sécuritaire de ce pays d’où sont issues 35 des 45 sociétés cotées à la BRVM.
Depuis 2 années consécutives, le mois de janvier a toujours connu une baisse et les troubles sociaux ont juste accentué cet état de fait.
Ce même graphique nous révèle également une hausse record dans le mois de décembre. Certains investisseurs préférant récupérer leur profit en janvier et attendre la baisse du marché pour mieux se positionner à la sortie des résultats des sociétés.
Les investisseurs face à des remous militaires et sociaux jouent toujours la prudence.
2eme phase :
Du 31 janvier au 3 avril, nous constatons une légère consolidation du marché sur au moins 2 moi et ensuite une légère hausse du marché. Le marché se retrouve au-dessus de sa moyenne mobile et on constate même une zone de sur-achat au mois de mars.
Hypothèse : Le mois de février a toujours été au vert sur les 3 dernières années. Le Gouvernement Ivoirien ayant su communiquer sur l’accord trouvé avec les mutins a redonné confiance à tous les investisseurs. La Bourse a donc naturellement renoué avec la croissance dans la majorité des secteurs.
3eme phase –
Avril 2017: Annonce de la baisse du budget par le gouvernement ivoirien : la BRVM perd 4.17%
Le jeudi 30 mars le porte-parole du gouvernement, Bruno Koné, au sortir d’un conseil de ministre, annonce que la chute continue des cours du cacao a durement affecté les recettes fiscales du pays. Pour rappel, le prix de la fève avait baissé de 30% depuis octobre 2016. Cette situation a impacté le budget national, dont une partie est alimentée par la fiscalité sur le cacao et accentué le déficit budgétaire à 5%. Un (1) mois plus tard, le gouvernement ivoirien annonçait une révision à la baisse du budget.
Hypothèse : L’annonce de la baisse du budget a incité certains investisseurs à être prudent et à sortir de leurs positions. Ainsi, la communication du gouvernement Ivoirien sur le lancement d’un EUROBOND dans l’optique de faire face à la baisse du budget et au PND (Plan National D’investissement) a sans doute permis à des investisseurs étrangers de réorienter leurs fonds vers l’EUROBOND dans le but de sécuriser leurs investissements.
Nous avons interrogé les gérants de fond (SICAV, FCP) de la région, sur la conduite adoptée quand ils ont constaté la baisse du marché. 80% de ces gestionnaires ont désinvesti à la fin du premier trimestre du marché des actions et ont renforcé leurs positions sur le marché obligataire.Ils ont liquidé au moins 5% de leur portefeuille action en moyenne.
Dans les faits, la capitalisation du marché obligataire a enregistré une croissance à deux chiffres, soit + 18,34% à 2 978 milliards FCFA en 2017
Juin 2017 – Juillet- Aout 2017 : OPV de NSIA banque et baisse du marché
Juillet et Aout 2017 enregistrent une baisse supérieure à 4%. A cette période de l’année, deux faits majeurs ont rythmé la BRVM.
Le 1er évènement concerne les dividendes annoncés :
Après 3 mois d’affilée dans le rouge (Mars – Avril – Mai), le total des dividendes annoncés par les sociétés cotées est inférieur celui de l’année précédente. Et ce, après la publication de tous les rapports annuels des compagnies cotées à l’exception d’AIR LIQUIDE et MOVIS .
En 2016, les compagnies ont annoncé la distribution d’environ 349 milliards FCFA (en intégrant les dividendes annoncés de ETI TG) contre 347 milliards FCFA en 2017. Cela malgré l’intégration de 5 entreprises supplémentaires par rapport à 2015.
En faisant fi des 5 nouvelles sociétés intégrés en 2016, la baisse des dividendes annoncés s’accentue d’environ 9%.
Hypothèse : Ce marché est vraiment axé sur le paiement des dividendes. Donc logiquement une distribution en deçà des attentes des actionnaires est tout de suite sanctionnée par ceux-ci.
OPV facteur de déstabilisation du marché ?
Le 2ème évènement concerne l’annonce de l’OPV (Offre de Public de Vente) de NSIA.
Le mardi 27 juin 2017, NSIA Banque annonce lors d’une conférence de presse le lancement d’une offre publique de vente de 4 millions d’actions. L’opération lancée le 03 juillet, est un succès car toutes les actions mises en vente sont rachetées en une seule journée.
Durant ce même mois de juin, la BRVM enregistre le deuxième plus grand nombre de volume échangé sur l’année, soit 41 079 875 de titres. Tandis que le mois de juillet enregistre la plus faible transaction de l’année.
Hypothèse : Tout porte à croire que l’OPV de NSIA a joué un rôle dans la baisse du marché en cette période l’année.
En effet, le nombre de volume transigé durant le mois de juin semble indiquer que beaucoup d’investisseurs ont vendu leurs actions pour constituer un capital afin de participer à l’OPV de NSIA, attendu depuis plus de 2 ans. Ce qui traduit le faible volume de 3,8 millions en juillet contre 41 millions en juin.
Le 3 ème évènement concerne la mauvaise communication liée aux augmentations de capital des BOA.
En juin 2017, les filiales de la BOA effectuent une série d’augmentation de capital par incorporations de primes d’émission. Ainsi que des reports à nouveau par la création d’action nouvelle et de distribution d’action gratuite.
Ainsi, l’annonce de BOA CI-, BOA BENIN et BOAS de procéder à la distribution gratuite d’une (1) action nouvelle pour une action ancienne à chacun de ses actionnaires, suscite un engouement chez les investisseurs. Ces derniers malheureusement interprètent mal l’opération et sont également induits en erreur par bon nombre de conseillers financiers sur le marché.
Seulement, force est de constater que ce processus ressemblait plus à un fractionnement et n’offrait aucun avantage substantiel aux actionnaires. Et, pour boire la calice jusqu’à la lie, les investisseurs ayant participé à cette augmentation de capital se sont vus geler la moitié de leurs investissements. L’informaction n’apparaissait dans aucune publication de la compagnie.
A titre d’illustration, les investisseurs qui ont participé à l’augmentation de capital de BOA BURKINA FASO avant la date de détachement du droit d’attribution, le 26 juin, ont vu la moitié de leurs investissement gelés jusqu’à la date du 04 septembre. Le cours de l’action est ainsi passé de 100 000 FCFA à 79 000 FCFA, soit une baisse de 21.00%.
Hypothèse : Les titres BOA a un moment donné avaient une grande confiance des investisseurs et soutenaient la performance du secteur finance de la BRVM. Les investisseurs qui se sont sentis floués par cette communication financière de la firme ont sanctionné les titres BOA.
Par conséquent, toutes les actions BOA ont enregistrés une forte baisse créant ainsi un effet boule de neige et une frilosité chez certains investisseurs. Même à cette heure, les titres BOA ont du mal à redécoller.
Décembre, mois exceptionnel
4 ème phase- Décembre 2017 : Hausse historique de +8.77%
Après plusieurs mois de dégringolade, la BRVM a enregistré sa plus forte hausse depuis 10 ans durant le mois de décembre 2017. Cette flambée des cours semble se justifier par la forte baisse qu’a connue la bourse depuis le début d’année ainsi que l’engouement créée par l’introduction de ECOBANK-CI à la bourse. Comme le disait le Directeur de la BRVM, c’était le meilleur moment d’acheter après cette forte baisse.
De façon technique, nous constatons que decembre 2017 est le deuxième mois de l’année où le marché était en zone de sur-achat, surpassant largement sa moyenne mobile de 20 jours.
Hypothèse : Les gestionnaires de fond et autres assureurs ont profité de cette opportunité pour compenser /réduire leur perte. Décembre est également le mois du paiement des bonus dans la région, cela se constate par la plus forte transaction en valeur de l’année.
Après avoir analysé les différents évènements qui ont influencé la BRVM, la deuxième partie de ce dossier se focalisera sur une analyse sectorielle de la BRVM et l’interprétation de l’évolution des entreprises qui ont été les vedettes tout au long de l’année.
Les auteurs de cette analyse sont:
Daniel Aggre (ci-dessus) , Managing director and founder of Sikadvisory et Ahmed Diallo (analyste financier)
5 commentaires
Enfin une analyse digne de ce nom sur la BRVM, en dehors des sentiers battus, des interviews policés et autres billets télécommandés. Félicitations aux auteurs & vivement d’autres articles de cette qualité.
super bien cette analyse. merci
Une analyse qui prend en compte pas mal d’aspect de la santé financière de notre zone. Merci et félicitation
J’ai beaucoup appris de vos analyses. Très interessé par la BRVM j’ai besoin d’en savoir d’avantage sur son fonctionnement et sur les risques. Bon vent à vous.
Cordialement
Je repondrai que cela n’est qu’une correction. A ajouter a cela, il faut dire que Banque of Africa a tres tres mal informe ses investisseurs. C’est ces genres de mis-‘informations auxquelles les autorites de la bourse doivent mettre en garde la direction de Bank of Africa. J’entends dire qu’un troisieme compartiment s’ouvrira bientot. Si les autorites de la bourse n’arrivent pas a jouer pleinement leur role de garant de la confiance du publique, je me demande la fiabilite que l’on accordera a cette bourse lorsque les petits PME-PMI entreront dans le jeu bientot.
merci de votre analyze.