Alors que le Fonds mondial pour l’éducation se reconstitue à Dakar, Maria Nadolu nous invite, dans cette chronique écrite au file d’airain, à regarder la réalité en face. L’éducation est un long échec en Afrique et presque dans le reste du monde.
Beaucoup d’argent pour peu de résultats!
6 des 10 enfants et adolescents dans le monde ne parviennent pas à atteindre les niveaux de base de l’apprentissage, prévient un rapport de l’UNESCO.
La majeure partie de l’aide internationale dédiée à l’éducation est consacrée au manque d’accès aux écoles, en particulier dans les pays d’Afrique subsaharienne ou dans les zones en conflit. Mais cette nouvelle recherche de l’Institut des statistiques de l’Unesco met en garde contre le manque de qualité au sein des écoles – en révélant que plus de 600 millions d’enfants en âge scolaire n’ont pas de compétences de base en mathématiques et en lecture. Cette crise se limite-t-elle aux pays en développement ? S’agit-il d’un phénomène répandu ?
En Afrique subsaharienne, la recherche suggère que 88% des enfants et des adolescents entrent dans l’âge adulte sans une compétence de base en lecture. Et en Asie centrale et australe, 81% n’atteignent pas un niveau adéquat d’alphabétisation. «Beaucoup de ces enfants ne sont pas cachés ou isolés de leurs gouvernements et de leurs communautés – ils sont assis dans les salles de classe», a déclaré Silvia Montoya, directrice de l’Institut des statistiques de l’Unesco. Elle estime que le rapport milite pour des investissements beaucoup plus importants dans la qualité de l’éducation». Ce problème de «scolarité sans apprentissage» a également été souligné par la Banque Mondiale dans un récent rapport.
En changeant de continent et d’étape d’évolution, Dany Dorling signale dans The Guardian, dans un article de 2016, qu’«au lieu de chercher des façons d’améliorer le bien-être, l’éducation en Angleterre se développe dans de nouvelles extrêmes d’élitisme. Le message secret est qu’une petite élite, composée d’individus « supérieurs », devrait nous diriger».
Les examens scolaires sont de plus en plus «rigoureux»; les cours universitaires sont de plus en plus coûteux. Nous nous dirigeons vers nos institutions en Angleterre devenant ce que le critique académique et littéraire Terry Eagleton appelait «stations-service pour le néocapitalisme». L’enfant est le client, l’étudiant est le consommateur, l’enseignant est une dent dans la machine qui doit être évaluée en permanence, et tout le monde – enfant, étudiant, enseignant, établissement, même chaque pays – doit être classé.
Sr. Ken Robinson, l’expert dans l’éducation, créativité et l’innovation, tire un signal d’alarme : en Amérique, 30% des enfants qui commencent le 9ème ne terminent pas le 12 éme. On note l’inadéquation de l’éducation, par rapport au besoin d’un monde en changement et un marché de travail conduit par la technologie numérique, l’internalisation etc. ou les emplois deviennent plus souples et complexes. On cherche du personnel doté des capacités nécessaires pour gérer des informations complexes, penser de façon autonome, être créatif, utiliser les ressources de manière intelligente et efficace, ainsi que communiquer efficacement.
Elon Musk, le magnat et visionnaire Sud-Africain, en tant que papa concerné, viens d’ouvrir une école pour ses 5 enfants, tout en reconnaissant l’inadéquation de l’éducation à la réalité, comme il le perçoit ; et il aura ses raisons en sachant que son succès en business est organiquement connecté à sa vision de changer le monde avec Paypal ; OpenAI ; SolarCity ; Tesla etc. Sa petite école, appelée AdAstram (« Vers les étoiles » en latin) ; n’a pas de classes, et son curriculum est conçu en concordance avec les aptitudes et capacités des enfants; et orientée vers la résolution des problèmes pratiques, et pas que sur l’étude théorique.
De l’Afrique Subsaharienne aux Etas Unis, on note que ce n’est pas que la qualité de l’éducation qu’il faut revoir; mais aussi, reconsidérer les principes ; le grand défi de reconfigurer l’éducation.
Sadhguru, le leader spirituel qui est en train de reformer l’éducation en Inde, avec sa fondation Isha, révèle une perspective rafraichissante : « Les enfants sont nés avec des possibilités infinies. Ils aiment apprendre; mais ils ont un problème avec l’éducation. L’éducation est remplie du monde extérieur; tout en ignorant le monde intérieur ; le grand déficit c’est de ne pas donner importance au monde intérieur de l’enfant. Aujourd’hui, l’éducation a réduit l’existence en petits fragments; l’existence ne peut pas se manifester de façon isolée. Son message : « les personnes qui livrent les systèmes – améliorez-les; n’importe quel système peut fonctionner », à condition qu’on revisite quelques principes de base et qu’on ait les meilleures personnes de la société impliquées dans l’éducation.
Sir Ken Robinson, en dialogue avec Sadhguru à Los Angeles, en 2016, relève trois axes en parlant de la transformation de l’éducation et de son potentiel, en tant que question stratégique du développement; ils semblent d’actualité de l’Est à l’Ouest et du Nord au Sud. En premier, le curriculum, ce que nous voulons que les enfants apprennent : il y a le besoin d’un large développement pour aborder le développement physique, émotionnel, spirituel et intellectuel; lié avec un niveau de conscience plus élevé, qui met l’accent sur les aptitudes et le potentiel de chaque individu sans devoir les uniformiser en défrichant les différences.
Par la suite, la pédagogie : comment nous apprendrons aux enfants ces choses; enseigner ne pas dire aux gens ce qu’il faut faire: c’est plutôt faciliter, créer des cadres où ils réussiront à comprendre en les interrogeant, en suscitant leur curiosité pour qu’ils puissent aller dans une certaines directions ; en leur donnant des outils, des techniques. L’évaluation, c’est la troisième dimension, stratégiquement importante : faire des jugements dans un sens du processus du progrès ; tout en intégrant la compréhension de la diversité et unicité de chaque individu; ce n’est pas que la règlementation et la conformité (même si uniquement aux États-Unis en 2013, l’activité de réglementation et de conformité vaut plus de 16 milliards USD).
Nouvelles perspectives à travers les yeux de 3 enseignants cool
Jeunes, éduquées dans un environnement international, de Hong Kong à Stanford University, ils décident de revenir vers la société afin de partager. Même s’ils ont les aptitudes, pour eux ce n’est pas le rêve corporatiste ou la fièvre de l’or, mais le bonheur de vivre pour le développement. Et, tout en étant conscient des challenges de leur mission, ils kiffent chaque moment. En le croisant au tour du monde, ils sont dynamiques, trendy, ouverts ; sortent complètement du stéréotype des profs poussiéreux qui se cachent derrière des lunettes ; on peut le trouver partout du Koweït au Philippines, entrain d’animer leur classes, et s’ils ont du temps libre, faire une plongée sous-marine à l’Ile Maurice ; ou bien organiser un cours de yoga au club du coin de rue, passer des vacances avec leurs élèves, organiser des concerts en Italie ; bref, ils sont les acteurs de la transformation ; e,t en quelque sorte, des supers-héros.
Ces pionniers du nouveau monde ont partagé avec Financial Afrik, leur vision sur l’état présent de l’éducation par rapport au changement de la société du XXIème siècle ; aux valeurs et principes qu’ils considèrent intéressants d’intégrer dans l’approche pédagogique, aussi bien que sur l’expérience qui les a marqué en tant que éducateurs.
Liane Al Gushain, Koweït – Liban
Professeur de langues étrangères ; creative writing ; et instructeur yoga
Je sens que nous sommes dans un point où l’évolution est incontestable, même s’il y a des problèmes de croissance! Il semble que nous essayons de réconcilier notre besoin de l’individualité avec la tendance de faire partie d’une société cohésive. Cela mène, au Koweït, à une sorte d’approche « à la carte » de l’éducation, en particulier la formation continue. Au cours des dernières années, il y a eu une évolution exponentielle d’ateliers, de séminaires, de cours et de certifications, tous offerts par des organisations indépendantes. Le bien-être est une grande tendance, avec des cours de yoga, de la méditation et même des ateliers de kombucha! Je crois que les gens font la découverte d’eux même plus tard dans la vie, et qu’ils désirent faire évoluer notre société à travers leur propre évolution.
Nous devrions valoriser davantage la communication transparente et le silence / le calme / la tranquillité intentionnelle. Nous sommes tellement enclins à «faire» et pas assez à «être». Donc, incorporer la méditation dans les écoles et le yoga sur le lieu de travail, par exemple, serait un grand pas en avant.
J’ai suivi le cours CELTA en 2015 … J’étais très résistante par rapport à cette expérience et j’ai eu beaucoup de mal à le faire car le programme est conçu pour vous stresser. Cependant, j’ai appris des techniques d’enseignement qui sont largement applicables. Mon classe préféré était lié à l’apprentissage dirigé par les élèves – on nous a demandé de stimuler les élèves, de tester leurs connaissances avant de leur donner des réponses. On nous a également donné des points pour réduire notre TTT – Teacher Talking Time (le temps de présentation du professeur). Nous pensons souvent aux enseignants comme des conférenciers au long cours, simplement en train de parler, de parler et de parler à un groupe d’étudiants ennuyés. Mais en réalité, un bon professeur parle peu. Il crée un environnement d’apprentissage stimulant – poser de bonnes questions, encourager les élèves de tous les niveaux à s’exprimer, donner des devoirs interactifs. Je crois que les compétences pédagogiques sont souvent égales aux compétences humaines. Je pense que tout le monde devrait suivre un cours d’enseignement ou de pédagogie à un moment donné de sa vie!
Attilio Polo, Professeur de langues étrangères, Asie S-E.
L’éducation ne se limite pas à la dimension académique. Il y a toute une approche holistique dans le développement de l’individu en termes de soi, de soi et de la communauté, dans notre école. Comment l’âme – si on peut l’appeler ainsi – inter-agit avec vos expériences, dans la salle de classe et en dehors de la salle de classe, et comment cela peut être nourri lorsque les pressions sont de plus en plus élevées. Pouvons-nous toujours amener l’étudiant sur le pourquoi nous faisons une certaine chose? Comment nous faisons une certaine chose? Il ne s’agit pas seulement d’obtenir des records élevés; Comprendre soi-même est également une caractéristique clé, un aspect reconnu comme important
Le bien-être est devenu un aspect de plus en plus important de la vie des jeunes. On insiste beaucoup sur le bien-être et l’équilibre à un moment où il y a de plus en plus de pressions par rapport à la performance scolaire : les collèges exigent une certaine note, et la façon dont cette note est construite est également associée aux exigences de démontrer un certain bien-être.
Ainsi, les étudiants jouent une centaine d’instruments, jouent une cinquantaine de sports par an et suivent toutes leurs passions, autant que possible dans le cadre d’écoles publiques ou privées. Le bien-être, la gentillesse, le respect de la communauté, le respect de soi, le respect des relations que le ton construit sont certainement des caractéristiques fondamentales des nouvelles tendances de l’éducation d’aujourd’hui. Grâce à des programmes organisés à l’intérieur et à l’extérieur de la classe, par des conseillers, par l’ensemble de la communauté scolaire, il est crucial de les promouvoir.
A côté des universitaires et des approches pédagogiques de l’éducation, l’expérience qui m’a façonnée le plus est venue d’un milieu non enraciné dans l’enseignement. Le travail dans les médias internationaux et les expériences réelles autour du monde, m’ont fait expérimenter des situations très diverses et fluides culturellement; m’ont façonné en quelqu’un qui veut transférer ce genre d’application réelle de la connaissance, autre que ma connaissance du sujet. En ce qui me concerne, une langue est une clé pour débloquer une dimension parallèle dans laquelle tout ce que vous connaissez et aimer arrive; juste dans une langue différente, avec des normes culturelles différentes peut-être.
Estelle de Vendegies, Koweït
Enseignant école primaire & expert en gestion de l’éducation
Honnêtement, si nous voulons un reflet direct de la société et des valeurs en regardant les écoles, c’est un bon point de départ. C’est le premier plan pour la production de nouveaux citoyens du monde, et peut donc aussi devenir une place hautement politisée dans n’importe quelle société.
L’éducation est un domaine si intéressant et vaste qui produit toujours de nouvelles théories, méthodes et perspectives. En tant qu’éducateurs, nous avons la responsabilité d’équiper nos élèves de compétences qu’ils pourront poursuivre dans leur vie personnelle et professionnelle plus tard. Malheureusement, dans de nombreuses écoles, le fait est que nous essayons toujours de faire en sorte que nos systèmes d’éducation deviennent des chaînes de fast food. Nous voulons des one stop shops qui produisent, emballent et expédient les enfants qui ont l’apparence et fonctionnent de la même manière. De nombreuses écoles sont basées sur un modèle unique, étouffant les enseignants et les étudiants.
Que dit cette tendance à propos de la société? Eh bien, on pourrait en déduire que nous avons atteint un point où nous marchandions tout. Nous avons réussi à laisser le capitalisme s’infiltrer dans les niveaux les plus sacrées de notre société; nos enfants. Alors que nous avons des théories, des perspectives et des méthodes qui cherchent à inverser cela, le domaine de l’éducation est encore fortement dominé par la mentalité capitaliste. Ce n’est plus une surprise quand vous trouvez qu’une école est à but lucratif. En fait, nous ,les éducateurs, en discutant entre nous avons quelque peu permis que cela devienne une excuse pour les environnements d’apprentissage subpar ( ?) dans lesquels nous nous trouvons. Bien qu’il existe des écoles qui accordent de la valeur à chaque élève, permettant des choses comme l’exploration des arts, la méditation, la randonnée pédestre et des choses de cette nature, la plupart considèrent cela comme une «éducation hippie». Mais pourquoi? C’est la question qui me préoccupe. Comment la plupart des gens ont été tellement conditionnés à croire que ces choses ne sont pas parmi les valeurs les plus importantes que nous devrions présenter aux enfants.
Tout le monde connaît le mantra «les enfants sont l’avenir», mais comment pouvons-nous actualiser cela dans la société? Nous devons d’abord changer de point de vue sur l’éducation, non seulement chez les éducateurs, mais aussi dans le public. L’éducation est un outil tellement puissant que beaucoup n’ont pas encore exercé correctement. Nous gardons les étudiants et les enseignants dans une boîte, faisant un mauvais usage des différents talents. Nous devons créer des environnements dans lesquels ces talents peuvent se montrer. Au lieu de rejeter ces «écoles hippies» de notre nouvel âge, nous devrions les embrasser et apprendre d’eux. Combien de bonnes idées auraient pu provenir d’étudiants qui ont été étouffés et forcés dans une boîte dans leur jeunesse? Notre seul espoir est le partage d’idées et la croissance de la compréhension que l’éducation est beaucoup plus vaste que les mathématiques, les sciences, les arts du langage et les études sociales. C’est une responsabilité de faciliter différents types de croissance chez les enfants. Pour créer des espaces sûrs où les différences ne sont pas que tolères, mais aussi célébré et alimenté.
L’une des plus grandes expériences qui a eu un impact sur le style d’enseignement était un Ted Talk que j’ai regardé à propos de l’enseignement des sciences à l’école. L’orateur a discuté de l’idée que la société a intentionnellement fait du sujet de la science cette chose très sèche et sérieuse. Il a parlé de travailler pour une entreprise de manuels scolaires et comment ils n’étaient pas autorisés à utiliser un langage coloré ou des histoires pour engager les lecteurs. Presque comme si en rendant le sujet aussi coupé et sec que possible, il était en quelque sorte plus précis.
Ce Ted Talk m’a vraiment amené à réfléchir sur ma propre enfance et mon extrême haine de la science. En repensant, je n’ai jamais eu un seul professeur de sciences qui s’engageait ou qui nous faisait faire autre chose que des travaux de bureau. En fait, je n’ai qu’un seul souvenir d’une leçon engageante où mon professeur de chimie nous a donné des instructions pour un laboratoire mystère où nous avons créé des fragiles de cacahuètes sans le savoir. Cela m’a fait très triste pendant un instant, puis un peu en colère, puis extrêmement motivé pour que ce ne soit pas le cas pour mes étudiants. J’ai l’impression d’avoir été volé de quelque chose dans mon enfance. Avais-je des enseignants motivés qui m’ont fourni des leçons engageantes en tant qu’étudiant si je pouvais devenir un scientifique? A travailler pour la NASA? Découvrir le remède contre le cancer? J’étais tellement conditionné à associer la science à des livres ennuyeux et à des termes qui devaient être mémorisés mais jamais vraiment compris. Comment étais-je supposé me sentir vraiment différent?
Maintenant, avec la puissance de ma propre salle de classe, je suis déterminée à m’éloigner aussi loin de ce «culte du sérieux» comme l’a dit le conférencier. Je suis toujours à la recherche de méthodes intéressantes pour enseigner les concepts aux étudiants. Je fais autant d’expériences que possible et j’adore donner du temps d’apprentissage exploratoire qui donne aux étudiants le temps d’arriver à leurs propres conclusions et de satisfaire leur curiosité. En fait, cela m’a également poussé à rendre chaque sujet aussi attrayant et amusant pour les étudiants que possible. « J’aime l’école » et « Vous êtes le professeur le plus cool », ces commentaires sont devenus mes plus grands facteurs de motivation dans ma carrière. Je veux que les élèves voient l’apprentissage comme une occasion d’explorer leurs idées et leurs curiosités, en apprenant à la fois de moi et des autres.
Maria Nadolu