La Zone de libre échange continental Africaine a été signée le 21 mars à Kigali par 44 pays africains. Ce pas de géant est freiné par le Nigeria, première économie du continent, qui a brusquement suspendu sa participation à la veille du sommet des chefs d’Etat sous la pression de son association des industriels.
Ceux-ci dénoncent la non implication du secteur privé dans les négociations et conditionnent toute adhésion à la ZLECA, processus devant conduire à la suppression de 90% des droits de douane, à la clarification des règles d’origines.
Beaucoup parmi les observateurs rappellent qu’en boycottant Kigali, le géant Ouest africain, parrain du Plan de Lagos de 1980 et du traité d’Abuja de 1991, rompt avec sa tradition d’Etat avant-gardiste dans les questions de solidarité et d’intégration africaines.
Signataire du Tarif Exterieur Commun (TEC) en vigueur au
sein de la CEDEAO, le Nigeria subit une concurrence directe
du poulet brésilien et de divers produits importés au Bénin puis réexportés dans les marchés de Lagos et d’Abuja. Inutile d’évoquer les règles d’origines dans ce cas puisque les produits qui quittent le Bénin vers son puissant voisin, tout comme ceux qui en proviennent (carburant) ,empruntent la voie de la contrebande.
En fait, le Nigeria gagnerait en poussant la CEDEAO et l’UEMOA vers l’harmonisation des règles et procédures du commerce des biens et des services. Or les anachronismes font légion.
Ainsi, le poids au châssis sur les camions n’est pas le même entre la zone et la sous zone. La CEDEAO fixe la hauteur à 4,5m, l’UEMOA l’arrête à 4m. Autre frein relevé
par des opérateurs, l’aberration des zones franches. Si ces centres de production se sont multipliés, ils n’ont pas facilité le commerce inter-regional. Un biscuit fabriqué dans une zone franche au Togo s’acquitte de 50% de taxes (TVA et douane) s’il veut enjamber la barrière physique qui sépare ce pays du Ghana. Conséquence, en dépit des efforts consentis par les États pour attirer les industriels dans ces zones franches, celles-ci sont peu compétitives. Le biscuit fabriqué dans une zone franche ouest-africaine revient plus cher que le biscuit fabriqué en Turquie et exporté dans la région. Le statu quo actuel sur ces questions réduit la portée de la CEDEAO et nourrit les appréhensions du secteur privé quant aux utilités des grandes signatures.
La CEDEAO constitue à notre sens un modèle réduit
de la ZLECA. Or, ce laboratoire peine à faire tomber les barrières douanières en dépit encore une fois du TEC. Bien au contraire, les barrières non tarifaires ont tendance à se multiplier. L’on se rappelle de la guerre des huiles entre Abidjan et Dakar, de la non libéralisation du parc des camions entre les pays.
En fait la CEDEAO reste une belle union à parfaire, en libérant les flux de capitaux, en harmonisant les sûretés et les garanties bancaires, les conditions d’exercice des compagnies d’assurance, les règles sur l’exercice comptable,en parachevant l’open skyetc.
Par la règle du droit, l’on gagnerait à généraliser l’OHADA ou à trouver un compromis pour faciliter les affaires entre les zones sous juridiction du droit continental et la common law. La question de la monnaie unique ou commune ne doit pas occulter ces aspects.
Un point positif à l’actif de la CEDEAO est la libre circulation des personnes qui reste freinée par des procédures différentes selon les aéroports et pays. Le droit d’établissement reste lui aussi théorique.
Ces freins, nous les retrouvons à Kigali où seuls 27 pays ont signé le Protocole de l’Union africaine sur la libre circulation des personnes, qui complète la ZLECA en prévoyant pour les ressortissants des pays signataires la suppression des visas, le droit de résidence, le droit de créer des établissements professionnels.
La réserve par rapport à ce protocole exprime la peur irrationnelle du«plombier polonais» diagnostiquée dans le débat politique européen lors de l’élargissement de l’UE à l’Europe de l’Est. Cette peur est encore forte dans l’univers de certains pays réfractaires à la ZLECA par une analyse purement statique.
Le dynamisme d’une telle union, sensée, selon la Commission économique africaine, accroître potentiellement le commerce intra-africain de 52,3% en éliminant les barrières tarifaires
et multiplier par deux le volume des échanges si les barrières non tarifaires sont également levées, mérite une analyse froide. Ces peurs irrationnelles au niveau continental parasitent au niveau régional, le débat intense sur l’adhesion du Maroc à la CEDEAO. Les industriels Ouest africains craignent d’être phagocytés par leurs homologues marocains
plus développés. Certes, mais le danger serait d’arrêter l’analyse à ce niveau.
C’est aux négociateurs de la CEDEAO et du Maroc de donner un sens à leur convergence en favorisant l’établissement
des joint venture pour la transformation des matières premières, le transfert de technologie et la mise en place de diverses règles bénéfiques aux deux parties. Car, avec ou sans le Maroc, l’embryon de l’industrie du textile habillement Ouest-africain a disparu face aux produits chinois bon marché et aux ballots des habits usagers en provenance des USA. Avec ou sans le Maroc, le secteur du BTP est dominé par les chinois et les turcs faute, là aussi, de règles propices aux opérateurs locaux.
Par exemple, le Maroc exporte annuellement 1 million de dollars de produits agricoles vers le Sénégal dont 2/3 sont constitués de phosphates, le reste d’oranges provenant en généralement d’Agadir. Notons que le même Sénégal enregistre 6 milliards de dollars de déficit avec la Chine et 3,5 milliards de dollars avec la Turquie.
Peut être, qu’en conduisant des négociations techniques sérieuses et transparentes, la CEDEAO, pourra entériner des schémas de partenariat équilibré permettant aux privés marocains et ouest-africains d’unir leurs forces dans la transformation des produits agricoles locaux,
du cacao ivoirien (5% seulement transformés localement ) à la noix de cajou et aux mangues.
Déjà signataire de plusieurs accords avec les pays de la CEDEAO, l’adhésion du Maroc, premier investisseur dans la région, ne fait en fait que légaliser un concubinage en mariage en bonne et due forme.
Sur le plan macroéconomique, le Maroc et le Nigeria formeraient ce couple franco-allemand sensé tirer toute la sous région vers le haut. Peut être, pour matérialiser
ce rêve, la CEDEAO aura besoin de se doter d’un ministère des Affaires étrangères, afin d’unifier sa vision politique et de présenter un front uni dans les négociations internationales. La désastreuse division manifestée à Bruxelles lors de la négociation sur les APE l’a montré, sans convergence politique, la convergence économique reste précaire.