Dans un rapport bien documenté sur l’entrée en vigueur des normes Bale 2 et Bale 3 en zone UEMOA, le cabinet financier Finafrique fait le point sur les limites et les faiblesses du nouveau dispositif prudentiel.
Le rapport, portant la signature d’Idrissa Coulibaly, directeur associé Afrique de l’Ouest, présente présente les faits saillants de ce nouveau dispositif et quelques challenges pour l’ensemble des parties prenantes de l’environnement financier : Banques et Etablissements de Crédit assujettis, Régulateurs, Investisseurs, Marchés Financiers.
I-Aller plus loin dans la mesure du risque opérationnel
Le document recommande au législateur d’aller plus loin dans la mesure du risque opérationnel, intégré désormais dans les exigences du dispositif prudentiel, ce qui constitue l’une des évolutions notables du processus de supervision des établissements de crédits; . « En effet, poursuit le rapport, la sévérité des pertes survenues sur la place bancaire ces 5 dernières années (UEMOA et [2]CEMAC) et liées uniquement à la fraude[3] confirment la nécessité de gérer de manière prudente les risques opérationnels.
En la matière, la commission bancaire propose aux établissements 2 approches d’évaluation des risques opérationnels basées sur des pondérations appliquées au Produit Net Bancaire (PNB) de l’établissement. Ces pondérations sont identiques à celles définies par le Comité de Bâle à savoir 15% pour l’approche basique et un niveau variant entre 12% et 18% pour l’approche standard.
Source : Annexe dispositif prudentiel : Tableau 15 : pondérations de l’approche standard
Elle exige, entre autres, aux établissements souhaitant utiliser l’approche standard, la mise en place d’une fonction gestion des risques opérationnels avec une forte implication de l’organe exécutif qui définit les rôles et les responsabilités de chaque acteur.
Pour aller plus loin dans la mesure du risque opérationnel, les Etablissements pourraient intégrer dans leurs cartographies des risques, des éléments liés au contexte local et impactant directement leurs résultats et fonds propres. Il s’agit des «scénario» de risques majeurs tels que définis dans le cadre du Pilier 1 d’approche avancée de Bâle 2 ou des «test de résistance» exigé dans le Pilier 2 (surveillance prudentielle).
- Le départ ou la disparition d’une ressource clé dans l’organisation,
- L’épidémie EBOLA,
- La gestion du risque de rupture de compétences en lien avec la gestion du capital humain qui a récemment fait l’objet d’une réflexion par un grand Groupe bancaire d’Afrique Centrale lors de son assemblée annuelle.
Enfin, les pondérations de l’approche standard devraient faire l’objet d’un examen approfondi par la commission bancaire sur la base de données disponibles, peut être après la phase transitoire, afin d’évaluer leur pertinence vis-à-vis du contexte local et par rapport aux mutations du secteur bancaire et financier.
A titre d’exemple, la pondération de 15% attribuée à la ligne d’activité Banque Commerciale n’est peut-être pas suffisamment prudente dans la zone UEMOA, car cette ligne d’activité représente en moyenne plus de 80% du résultat des Etablissements bancaires.
II: les agences de notation régionales et locales n’y sont pas mentionnées
Sur le périmètre du risque de crédit et en approche standard, l’évaluation précise du risque repose essentiellement sur les pondérations des contreparties fixées par la Commission Bancaire. Ces pondérations dépendent de la notation établie par des Organismes Externes d’Evaluation de Crédit (OEEC) ou Agence de Notation qui se distinguent de 2 façons :
- Les Agences de Notation Internationales : La Commission Bancaire de l’UEMOA autorise 4 agences dont les Big Three (Standard & Poor’s – S&P, Moody’s Investors Service, Fitch Rating Services) et Dominion Bond Rating Service (DBRS).
- Les Agences de Notation Régionales/Locales : Malheureusement la liste n’est pas encore publiée, ni sur le site internet de la BCEAO, ni sur le site du régulateur en charge des marchés financiers (le Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés Financiers – CREPMF), contrairement à l’article 173 :
« Article 173. Une évaluation externe de crédit d’OEEC autres que ceux cités au paragraphe 172 ne peut être utilisée pour définir la pondération de risque applicable à une exposition que si l’OEEC concerné est agréé par la BCEAO. La liste des OEEC reconnus dans l’UEMOA est établie par la BCEAO et publiée sur son site internet. »
Source : Annexe dispositif prudentiel, Article 173
Or, 2 Agences de Notation Régionales/Locales sont agréées par le CREPMF (Bloomfield Investment Corporation et West Africa Rating Agency) et interviennent depuis plusieurs années dans la zone UEMOA. A la différence des 4 Agences de Notation Internationales cités ci-dessus, ces deux Agences de Notation Rgionales/Locales émettent des notations sur la santé financière de plusieurs entreprises africaines y compris certaines PME définis au sens de la commission (chiffre d’affaires inférieur à 1 Milliard).
La publication officielle de ces Agences de Notations Régionales/Locales directement dans les textes et au même titre que les 4 Agences de Notations Internationales, militeraient en faveur de la transparence au titre du Pilier 3[1] de Bâle 2. Elle s’inscrirait également dans le cadre de la promotion de la notation financière, un élément clé dans le dispositif d’évaluation et d’atténuation du risque de crédit tel qu’illustré dans le paragraphe II.
III. Pas de traitement spécifique dans l’évaluation du risque crédit PME
Selon la Commission Bancaire, la PME se définit comme une entreprise autonome, productrice de biens et/ou services marchands, immatriculée au registre du commerce, dont le chiffre d’affaires hors taxes annuel n’excède pas un milliard (1.000.000.000) de FCFA. Avec l’approche standard proposée dans le nouveau texte, le risque de crédit est évalué par l’exposition du client à laquelle s’applique une pondération entre 0% et 150% et qui dépend de la notation externe de la contrepartie.
Ainsi, un prêt de 100 Millions de FCFA accordé à une PME qui est notée « A – » bénéficiera de la même pondération qu’une Grande Entreprise (plus de 1 milliard de chiffres d’affaires) qui est également noté BBB + : 50% selon la grille présentée ci-dessous.
En réalité, la pondération des PME opérant dans la zone UEMOA, serait maximale (100%) car très peu sont encore notées par des agences de notation régionales et encore moins par les agences internationales. Pour une meilleure discrimination de la qualité du crédit des emprunteurs et surtout la clientèle PME, les établissements doivent faire usage de modèles de notation interne[1], un dispositif plus pertinent dans l’évaluation du risque. Toutefois, les critères de transposition de ce système d’évaluation ne sont pas encore définis dans les textes. Ce système prévoit pour la clientèle PME, par exemple, une pondération croissante avec un chiffre d’affaires de l’entreprise jusqu’ à un certain seuil, comme illustré dans le tableau ci-dessous :
Entre 5M€ et 50 M€ de chiffre d’affaires (définition de la PME au sens de Bâle 2), la pondération croit avec le chiffres d’affaires, et au-delà de 50 M€, le chiffres d’affaires n’influence plus la pondération.
Néanmoins, les Etablissements ont la possibilité d’utiliser des techniques d’atténuation du risque de crédit dans certaines conditions fixées par la commission bancaire. Le principe général est le suivant ;
- Si l’exposition du client est totalement couverte par une sûreté ou par une garantie éligible, alors le risque est évalué par l’exposition du client à laquelle est appliquée la pondération du garant ;
- Si l’exposition est partiellement couverte, alors la partie couverte bénéficie de la pondération du garant et la partie non couverte de celle du client ;
Ainsi, le prêt de 100 millions de FCFA accordé à la PME notée « A- » mais maintenant garanti à 50% (soit 50 millions de FCFA) par une Institution Financière telle que le Fonds Africain de Garantie (AGF) bénéficiera de la pondération du Fonds Africain de Garantie à hauteur de 50%. Dans le cas présent, AGF étant noté « AA- » par l’agence Fitch Ratings [2], 50 millions de FCFA sont pondérés à 20% (soit 10 millions FCFA) et les 50 autres millions de FCFA sont pondérés à 50%, soit un risque final de 35 millions contre 50 millions en l’absence de garanti.
III. Vers un renforcement de la structure du capital
Le nouveau dispositif prudentiel introduit plusieurs modifications s’appuyant à la fois sur les exigences de Bâle 2 mais également de Bâle 3 en vue d’une mise en œuvre progressive à horizon 2022. Parmi les modifications majeures, on note le renforcement du capital de base à mobiliser par les Banques au titre des exigences du Pilier 1 (exigences minimales en fonds propres).
En effet, les Banques doivent détenir un niveau de fonds propres de base durs ou Commun Equity Tiers 1, CET1[3] correspondant à un seuil minimum de 5% du montant de leur exposition aux risques de crédit, de marché et opérationnel contre un niveau de 4,5% en Europe et de 8% au Kenya.
Ce ratio est renforcé par l’introduction d’un coussin de conservation, un matelas de fonds propres supplémentaires permettant de préserver les fonds propres de base pendant les périodes de crise : le coussin de conservation est établi à un niveau maximum de 2,5% de l’exposition totale de la Banque au risque à l’instar du seuil définit par Bâle 3.
Source : Annexe dispositif prudentielle Tableau 22 : Dispositions transitoires relatives aux exigences minimales de fonds propres
Deux autres cousins sont rajoutés pour compléter la structure du capital global : le coussin de fonds propres pour contrer les effets du cycle économique sur l’activité des prêts ou coussin contra cyclique établi à 2,5 % et le coussin systémique visant les établissements bancaires d’importance systémique régionale dont le seuil est fixé par la Commission bancaire.
Source : FinAfrique Research
En définitive, les Banques de la zone UEMOA devront mobiliser à fin 2018 un niveau de fonds propre minimum de 8,625% de leurs risques pondérés dont 5% dédié au fonds propre de base (CET1) et 0,625% de coussin de conservation avec une cible de 11,5% à horizon 2022. En Afrique Subsaharienne, ce seuil oscille entre 8% et 15% selon des zones monétaires et dans certains pays d’Afrique anglophone comme le Nigeria, il prend en compte l’origine de l’établissement financier (Banque Nationale, Sous Régionale ou filiale de Banque Internationale). Le principe étant d’appliquer un niveau d’exigence en fonds propre plus élevé à un Etablissement à capitaux étranger par rapport à une Banque locale.
A fin décembre 2016, les 113 Banques de la zone UEMOA détenaient un niveau de fonds propres correspondant à 11% de leurs risques, soit supérieur au seuil global de 8% attendu.
Source : Rapport annuel Commission bancaire UEMOA 2016
Quelles sont les implications de ces nouveaux ratios pour les Etablissements qui doivent répondre à la fois aux exigences de solvabilité et atteindre les objectifs de rentabilité ?
- Développer une meilleure compréhension de la structure du capital (les composantes du numérateur du ratio CET1) pour optimiser les fonds propres. Il s’agit en particulier de la composition des fonds propres de base qui doivent représenter à minima 5% des risques pondérés. A titre d’exemple, un établissement pourrait décider une d’augmentation de son capital et de ne pas verser de dividendes en dépit de belles performances commerciales pour renforcer ses fonds propres de bases.
- Renforcer le dispositif de gestion des risques (mieux gérer le dénominateur du ratio) suppose la mise en place d’un système pertinent d’évaluation à minima du risque de crédit, du risque de marché et du risque opérationnel. Cela se traduit par le respect des procédures et des limites de crédit, la formalisation de l’appétence au risque[4] de la banque en lien avec sa stratégie de développement, le renforcement de son capital humain, etc…
Illustration du cadre des niveaux d’appétences aux risques d’un Etablissement
Le dispositif prudentiel a bien pris en compte, de façon normative, les évolutions des accords de Bâle 2 et de Bâle 3 dont l’intégration du risque opérationnel dans le calcul exigences en fonds propres. Toutefois, la lecture des principales évolutions soulève quelques interrogations quant à la transposition pratiques et la mise en œuvre opérationnelle de certains éléments clés au sein des Etablissements de l’espace UEMOA. Ces éléments concernent les niveaux de pondérations affectés dans l’évaluation des risques, l’environnement bancaire et économique avec l’évaluation du risque de crédit des PME et le positionnement des agences de notation locales.
Arrête du 20 février 2007 relatif aux exigences en fonds propres :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000021766459
Dispositif prudentiel revu avec les exigences de Bâle 2 et Bâle 3 :
https://www.bceao.int/index.php/fr/reglementations?field_hashtags_target_id=43
Etude : L’impact des réglementations internationales BÂLE I, II & III sur le système bancaire africain : http://www.finafrique.com/Impact_de_Bale_I_II_III.pdf
Dispositif prudentiel CEMAC :
https://www.beac.int/download/RgltCOBAC_%20R_2010_01_couvrisq.pdf
[1] Confère Etude Bâle pour plus de détails : http://www.finafrique.com/Impact_de_Bale_I_II_III.pdf
[2] Voir paragraphe III sur les agences de notation
3 le CET1 est composé des éléments suivants : le Capital, les Primes, les bénéfices intermédiaires, réserves, ect.
[4] Seuil et limites de risques que la Banque est prête à assumer avec une définition précise des plans d’action en cas dépassement de seuil.
[1] Une discipline de marché en termes de transparence et de communication d’informations entre les différents établissements bancaires et avec le régulateur.
[1] Le risque de pertes résultant de carences ou de défaillances attribuables à des processus, des personnes, des systèmes internes ou à des événements externes
[2] La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
[3] L’événement le plus récent étant la fraude à la carte bancaire déjouée par le Groupe BGFI Bank d’un montant estimé à 1,9 Milliards de FCFA.
[1] Union Monétaire Ouest Africaine
[2] Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale
Un commentaire
Excellent article sans doute le meilleur qui résume la réglementation. Je me demande aussi
1) pourquoi la BCEAO n’a pas inclus un exemple hypothétique dans les annexes
2) pourquoi elle a laissé sur le tas les approches fondations et avancées
SD