« Je voudrais vous dire, sans aucune flatterie, mon admiration pour ce qui s’est accompli ici depuis que votre pays a retrouvé la paix. (…). Les constats élogieux que font les grandes institutions internationales sont bien connus. Mais en tant qu’ancien du Fonds monétaire international, je ne peux que m’incliner plus profondément que d’habitude devant ce que je vois ici. Vous ne vous en rendez pas compte, mais les performances que l’on lit dans ces rapports sont tout à fait exceptionnelles ».
C’est par ces propos que Michel Camdessus, gouverneur honoraire de la Banque de France et ex patron du FMI, a ouvert sa conférence devant les patrons ivoiriens ce 29 mai. En séjour en terre ivoirienne, l’ex patron du FMI ne tarit pas d’éloges pour les résultats économiques enregistrés ces dernières années après le pays après une décennie de crise.
« Vous avez contribué à placer solidement votre pays sur la trajectoire qui le conduit à franchir bientôt la ligne d’arrivée de l’émergence. Je suis prêt à parier que vous allez la franchir un peu avant le temps prévu », a-t-il avancé à l’endroit des grands patrons d’entreprises locales. Des propos qui auraient pu être considérés comme flatteurs venant de quelqu’un d’autre.
La Côte d’Ivoire revient en effet de loin après une longue période de crise. Avec une moyenne de croissance autour de 9% entre 2012 et 2016, le pays a vu son PIB augmenter de 7,8% en 2017, année où elle enregistrait pour la première fois depuis 2012, à la fois un choc externe, du fait de la chute des cours du cacao – son principal produit d’exportation – et des crises internes avec la grève des fonctionnaires et les grognes dans l’armée. Une preuve de résilience qui montre que ces évolutions ne sont pas la conséquence d’un « effet de rattrapage », mais bien des signaux d’une certaine solidité des bases fondements de la croissance.
Et la perspective d’une croissance de plus de 7% sur les prochaines années viennent confirmer la bonne orientation du pays vers son projet d’émergence qui devrait se concrétiser à l’échéance 2020.
Se préparer pour le « marathon »
La Côte d’Ivoire aux « Portes du paradis » comme indiquait le titre du dernier rapport de la Banque mondiale sur l’économie ivoirienne ? Probablement oui, mais pour l’invité de marque du patronat ivoirien, l’émergence n’est pas une fin en soi, mais le point de départ d’un « marathon »
« Accéder à l’émergence, ce n’est pas seulement franchir une ligne d’arrivée, c’est franchir une ligne de départ vers un itinéraire plus ardu encore, vers un objectif de long terme (…) Mais il faut regarder les choses de près. Votre chemin a été ardu et celui qui vous attend est malaisé, escarpé », a expliqué Michel Camdessus.
Le pays doit en effet se préparer pour le « grand marathon » qui doit le conduire à l’horizon 2050, une échéance qui a fait l’objet d’une étude prospective au niveau mondiale par une équipe dirigée par M. Camdessus. Et la rencontre a été une tribune pour « dire à ceux qui porteront le maillot ivoirien dans ce grand marathon ce qui les attend en chemin ».
« Cinq hyper tendances », à la fois des défis et des opportunités, doivent en effet être intégrées dans la vision à long terme des entreprises et du pays. Il y a d’abord la démographie avec l’explosion de la population africaine d’ici 2050 qui va passer à 4,4 milliards – 50 millions d’habitants pour la Côte d’Ivoire – face à une Europe en dépeuplement. En second lieu l’enrichissement continue du monde – une croissance mondiale « de 3,25 à 3,5% » sur la période – avec ses implications sur le renforcement des inégalités et l’exacerbation de la concurrence. Ensuite la percée économique des Etats émergents ses effets sur les classes moyennes, la consommation de masse et les pressions sur les ressources de la planète. Il y a également le changement climatique et les progrès fulgurant de la technologie.
Ces champions qui doivent porter « le maillot » ivoirien
Michel Camdessus a précisé que l’horizon 2050 sera loin d’être un « fleuve tranquille » pour un pays comme la Côte d’Ivoire et pour les entreprises qui doivent « porter le maillot ivoirien » dans ce marathon.
Une perspective qu’anticipe dejà le patronat pour qui la priorité doit être la construction de « Champions nationaux ». Ces entreprises « dont l’actionnariat et le centre de décision sont contrôlés par des nationaux », qui sont les emblèmes de leurs pays à l’image de la Corée du Sud, avec Samsung, ou encore le Maroc et ses groupes bancaires, « sont quasi inexistants » en Côte d’Ivoire, a indiqué Jean-Marie Ackah, le patron des patrons ivoiriens dans son discours d’ouverture.
« Notre tissu d’entreprises ivoiriennes n’est pas encore à la dimension de la puissance économique de la Cote d’Ivoire », a-t-il déploré, quelque peu amer.
Les grands patrons d’entreprises présents à la rencontre ont eu l’occasion d’échanger, dans un huis-clos fermé à la presse, auquel ont participé le vice-président Kablan Duncan et le premier ministre Amadou Gon Coulibaly ainsi que des membres du gouvernement, sur une question cruciale au cœur des préoccupations du secteur privé local.