L’islamisme modéré aurait-il changé de référentiel en passant de son rôle de contestataire de l’ordre social à celui de gestionnaire des affaires de la cité? Le projet de société radical des années 80 semble s’être mué en une sorte de libéralisme de juste milieu, mâtiné d’un esprit à la fois moralisant et moderniste qui plait aux fidèles et aux militants. Irrésistible virage.
La formule marche. Oui pour la croissance économique, oui pour la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption. L’on croirait à un programme de Transparency International ou de la Banque Mondiale. Reste à en fixer les coûts politiques.
Car, passé l’état de grâce post printemps arabe, l’islamisme politique maghrébin fait face, aujourd’hui, à un retour de bâton. D’abord de la part des médias et, demain, de la part de ces masses populaires qui l’ont porté au pouvoir en espérant l’amélioration de leurs conditions de vie. Mais de quel islamisme parlons-nous?
L’on se doit de le constater, entre octobre 1988 et mai 2018, le populisme du FIS algérien a cédé la place au pragmatisme Erdoganien, du nom de Recep Tayyip Erdogan, président turc engagé dans des élections présidentielles anticipées du 24 juin 2018 dont il est l’instigateur et l’archi-favori.
Sur les rives du Bosphore, on le constate, Djellabas et chapelets ont cédé le terrain aux costumes et cravates. Les barbes sont plus discrètes voire élégantes. Cette mue silencieuse se ressent dans les discours. Alors que celui d’Abbas Madani semblait dater de la bataille de Badr, ceux servis aux foules à Istambul sonnent à s’y méprendre avec Keynes et prônent un Etat souverain, moderne et régulateur.
Le modèle turc qui semble avoir inspiré les islamistes marocains et tunisiens est aux antipodes, nous semble-t-il, de ce qui fut un bref ballon d’essai égyptien.
Celui-là, beaucoup plus politique, avait axé son discours sur la Palestine et l’anti-américanisme. D’où son échec en 2013. L’horizon temporel de l’islamisme moderniste maghrébin semble s’inscrire dans les réformes promues à grand coup de publicité par le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, 32 ans, et décidé à en finir avec le Wahabisme. Cet élan moderniste constitue l’une des caractéristiques du renouveau islamiste tant en Tunisie (où les dernières municipales semblaient, à l’heure où nous mettions sous presse, donner la victoire au parti islamiste Ennahda), qu’au Maroc où ceux qui annoncent d’ores et déjà la défaite des islamistes du PJD aux prochaines élections ont certainement vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Problème, l’islamisme modéré, irrésistible dans les urnes, semble avoir échoué économiquement tant au Maroc qu’en Tunisie.
De plus, son projet de société est flou. Négociant entre laïcité et sharia, partisan du profit des banques islamistes mais non de l’intérêt, ce courant révèle sa capacité de mue mais peine à rassurer toutes les franges des sociétés maghrébines. Le discours officiel s’est longtemps borné à dénoncer la corruption des élites. Aujourd’hui, il cherche à trouver une solution au chômage et à rassurer les classes aisées.
Cette interrogation angoissante a abouti, au sein du parti islamiste marocain, à la mise à l’écart, en mars 2017, du populiste Abdelilah Benkirane, remplacé par son dauphin Saadine Othmani, plus compatible, dit-on, avec le marché. Mais, semble-t-il, pas en symbiose avec les masses silencieuses et votantes.