Par Dr Daby POUYE, Ouagadougou
Il ne peut y avoir de développement économique durable et pérenne en Afrique sans l’existence de places financières africaines à taille critique d’efficience. Sa création passera par la valorisation du capital humain, la mise en place d’un environnement propice au développement des affaires, la création d’un secteur financier à dimension internationale et enfin un travail en profondeur sur la réputation de l’Afrique.
La croissance africaine1 s’est accélérée en 2017. Cette tendance devra se poursuivre en 2018 et 2019 selon la BAD2. Toutefois, sa pérennisation nécessitera une diversification dans la complémentarité des économies africaines qui devra passer par la mobilisation de moyens de financement à la mesure des défis économiques qui attendent l’Afrique.
Les deux premières priorités affichées par M. Akinwumi Adesina 3 sont d’une part la lutte contre le chômage et d’autre part la valorisation du dividende démographique, notamment par le développement des compétences entrepreneuriales des jeunes. Plusieurs chantiers (la santé, l’éducation, la valorisation des ressources naturelles, le développement des infrastructures routières et téléphoniques) définis comme prioritaires exigent la mobilisation d’investissements importants : pour preuve les besoins de financement des infrastructures en Afrique sont estimés entre 130 et 170 millions de dollars par an 4.
Or, l’absence en Afrique de places financières à taille critique d’efficience entraîne deux handicaps majeurs : d’une part une méconnaissance des réalités et perspectives de développement en Afrique des investisseurs qui œuvrent depuis les principales places financières internationales et d’autre part une forte asymétrie d’information entre les investisseurs et les agents économiques à besoin de financement.
La conséquence est une augmentation des taux d’intérêt et donc du niveau d’endettement des économies africaines et son corollaire, à savoir, le renforcement de la dépendance des économies africaines à la finance internationale. La solution réside dans la création d’une réelle indépendance financière qui devra passer nécessairement par la création de places financières africaines à taille critique d’efficience.
Comment ?
Aujourd’hui il existe en Afrique des investisseurs privés capables de mobiliser des sommes conséquentes. La capacité financière de la diaspora n’est pas en reste. Par une réelle volonté politique et à travers un PPP (Partenariat Public Privé), les États africains, en concertation, peuvent et doivent mettre en place les conditions d’une part pour attirer les investisseurs africains (notamment par une fiscalité attractive et un accompagnement administratif) et d’autre part en sécurisant les investissements à travers une plus grande protection juridique des investisseurs contre les agents économiques à besoin de financement.
La place financière dans le dispositif économique
La place financière est le lieu de rencontre entre les deux principales parties prenantes que sont les agents économiques à besoin de financement et les agents économiques à capacité de financement ainsi qu’une multitude d’intermédiaires (juristes, analystes financiers, informaticiens, analystes du risque, …) aux services à haute valeur ajoutée. Le taux d’intérêt, les montants financés et les délais de réalisation des investissements sont impactés d’une part par la qualité de l’information en circulation et d’autre part par le niveau de risque.
Places financières et centres de décisions stratégiques
Parmi les principales financières mondiales, on retrouve Londres (1ère place financière) suivi de New York, Hong Kong et Singapour. Et dans le TOP 20 des places financières (GFCI 23) on ne retrouve aucune place financière africaine. CFC (Casablanca Finance City), l’unique place financière dans le top 40 du vingt-troisième Global Financial Center Index (GFCI) est au 32ème rang. Johannesburg, deuxième place financière africaine est à la 52ème place tandis que Maurice, la troisième occupe la 56ème place.
Les centres de décisions économiques mondiales sont incontestablement situés dans les lieux où se situent les principales places financières.
En prenant le cas de la City de Londres qui demeure la place financière internationale la plus aboutie, son analyse permet de dégager les conclusions suivantes :
• La banque d’Angleterre d’Angleterre supervise la plupart des opérations financières internationales qui dépassent largement le périmètre britannique.
• Le pouvoir décisionnel sur le cours des matières premières (cacao, café, sucre, pour ne citer que des exemples de ressources en provenance de l’Afrique) se situe à Londres. Autrement dit, les orientations économiques stratégiques africaines dépendent dans une large mesure de Londres et des principales places financières internationales.
• Londres affiche la plus forte concentration bancaire au monde, ce qui lui confère avec les autres principales places financières internationales, un rôle décisif dans le financement de l’économie mondiale et par conséquent de l’économie africaine.
Pourquoi une place financière africaine à taille critique d’efficience est une obligation ?
a) Les chantiers de l’Afrique : d’après une étude de la Banque Mondiale, la pérennisation de la croissance économique africaine sera fonction de la priorité donnée aux quatre I : Renforcement des Infrastructures ; Amélioration du climat de l’Investissement ; Promotion des Innovations et enfin le Renforcement des capacités Institutionnelles.
b) Une place financière africaine à taille critique d’efficience, en collant aux réalités de son environnement, sera un véritable levier de croissance. Les places financières internationales abritent en même temps les plus grandes banques internationales et les plus grandes entreprises internationales. Cette proximité (y compris la proximité géographique) permet une meilleure circulation de l’information entre les acteurs économiques (qui est, rappelons-le, l’une des fonctions d’une place financière) tout en étant un réducteur de risque.
Par ailleurs, tout en minimisant les coûts de transaction, la proximité entre les différentes parties prenantes, en renforçant les liens par une meilleure connaissance des projets des agents économiques à besoin de financement, permet une diminution des délais de réalisation des projets. Le résultat final étant aussi une réduction des taux d’intérêt.
L’Afrique a besoin d’investisseurs et l’Afrique a aussi des investisseurs africains tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du continent. Il s’agit donc de les attirer. Comment ? D’une part en mettant à l’échelle du continent des mesures fiscales attractives et discriminantes en faveur des investisseurs africains et d’autre part en renforçant à l’échelle africaine le pouvoir des investisseurs sur celui des emprunteurs et en sécurisant les investissements par une meilleure prise en charge juridique des doléances des financiers.
Autrement dit, le financement des infrastructures est indissociable de la sécurisation des investissements et du renforcement des institutions, notamment des institutions juridiques. Le fonctionnement cohérent et efficient de cette trilogie nécessite non seulement la création de places financières africaines mais devra aussi et obligatoirement passer par une valorisation du dividende démographique à travers une formation adéquate.
Pour conclure, la création de places financières africaines permet :
– De renforcer les liens entre les différentes parties prenantes grâce à une proximité géographique ;
– De diminuer l’asymétrie d’information ;
– De réduire les risques ;
– D’attirer les centres de décisions économiques ;
– De favoriser l’implantation des banques ;
– De raccourcir les délais de réalisation des projets ;
– De favoriser la valorisation du capital humain.
La création des places financières africaines à dimension internationale doit être une priorité si l’Afrique ne veut pas hypothéquer sa croissance en la mettant sous-tutelle de la finance étrangère surtout si cette dernière est à dominante spéculative. C’est aussi la condition sine qua non de son indépendance économique.
Dr Daby POUYE.
Docteur en Sciences de Gestion Spécialité Prospective, Innovation, Stratégie, Organisation.
Notes
-1 La croissance économique africaine est depuis 2005 en moyenne de 5% par an, ce qui constitue une réelle opportunité pour le continent. Par ailleurs, dans le Top 10 de la Banque Mondiale des pays ayant les taux de croissance les plus élevés en 2018, 6 sont africaines (Le Ghana : 8,3% ; l’Éthiopie : 8,2% ; la Côte d’Ivoire : 7,2% ; Djibouti : 7% ; le Sénégal : 6,9% ; la Tanzanie : 6,8%).
-2 Rapport 2018 de la BAD (Banque Africaine de Développement).
M. Daby POUYE
3 Président de la BAD dont nous saluons l’initiative d’être dorénavant la première organisation à publier les données macroéconomiques majeures de l’Afrique chaque année. C’est ce qui explique la parution du rapport annuel en janvier et non plus en mai.
4 Estimation de la BAD