Nommé il y a tout juste un an à la tête de l’Organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), le malien Hamed Diane Séméga revient sur les enjeux et les défis d’une institution qui regroupe quatre pays (Guinée, Mali, Mauritanie et Sénégal) et joue un rôle de premier plan dans la mise en valeur des ressources hydriques communes. Exclusif.
Monsieur le haut -commissaire, une année c’est bien peu pour parler de bilan. Quelles sont néanmoins les faits marquants à relever entre juin 2017 et juin 2018?
Comme vous le dites, un an n’est pas certainement l’heure du bilan pour un mandat qui dure quatre ans. Mais l’on peut faire le point sur ce qui a été fait depuis ma nomination à la tête de cette institution. Après 46 ans d’existence, cette organisation de bassin citée en exemple dans le monde en matière de gestion des eaux transfrontalières a engrangé des acquis solides. Sous d’autres cieux, les eaux partagées sont source de conflit. Au sein de notre organisation, l’eau est un facteur de paix et de stabilité. Nous devons cela à la solidité du socle juridique sur lequel repose l’organisation et à la vision des pères fondateurs. Nos chefs d’Etat actuels s’inscrivent dans la continuité et connaissent parfaitement l’organisation. Aujourd’hui, je suis persuadé que l’OMVS est à la croisée des chemins.
Comment se traduit cette reconnaissance à laquellevous faites allusion?
L’OMVS a été plusieurs fois primée pour la qualité de sa gestion solidaire des eaux transfrontalières. Son expérience lui a valu d’être distingué en 2015 et 2017 comme meilleur organisme de bassin au monde par le think tank indien Strategic ForSight Group. De mêmel’initiative Blue Peace, initiée auprès des Nations Unies et portée par la coopération suisse, a démontré que l’OMVS est un acteur majeur à l’échelle internationale en matière de coopération inter-Etats sur les eaux transfrontalières. Mais malgré tous ces acquis, l’organisation est encore peu connue de son public cible, à savoir les populations riveraines et, par-delà elles, les populations des pays concernés.
L’ensemble de ces populations bénéficie directement ou indirectement de l’impulsion des activités de l’OMVS, à travers les barrages de Diama de de Manantali. L’effet combiné de ces ouvrages génère de l’hydroélectricité mise à disposition des sociétés nationales d’électricité des différents pays. L’impact s’apprécie aussi sur l’eau potable. Très peu de gens savent qu’une ville comme Nouakchott tire 100% de ses besoins en eau potable du barrage à Diama à travers le projet Aftout Sahli. De même Dakar tire environ 60% de ses besoins à partir du fleuve Sénégal via le Lac de Guiers. En clair, les activités de l’organisation ont une incidence directe sur ces systèmes d’approvisionnement. Au final, nous tirons l’enseignement qu’il nous faut améliorer notre visibilité auprès de ces populations pour qu’elles connaissent les enjeux et les défis de l’organisation. Nous parlons notamment des défis environnementaux et sécuritaires.
Peut-on dire aujourd’hui que le fleuve Sénégal est menacé à l’instar du Lac Tchad ?
En effet, le fleuve Sénégal est menacé dans ses affluents à cause des effets du changement climatique, de la faible maîtrise de la régulation et, entre autre, de l’envasement résultant de l’effet mécanique des activités d’orpaillage et des pollutions chimiques. La situation est critique sur la Falémé, l’un des principaux affluents du fleuve. D’autres activités comme l’irrigation intensive encouragée par les États dans le cadre des politiques agricoles nationales requièrent une approche environnementale rigoureuse. C’est pourquoi nous appelons à la mobilisation autour de la Falémé, mais aussi autour du Bakoye et du Bafing, autres grands affluents qui se trouvent en Guinée et qui subissent les conséquences d’une forte poussée démographique mettant à mal les ressources disponibles. D’ailleurs nous réunissons bientôt les parties prenantes à Dakar (les 25 et 26 juillet 2018) pour sensibiliser nos États sur l’importance de la préservation du fleuve et de ses affluents.
Quels sont les moments marquants de cette première année d’exercice ?
L’année fut riche en enseignements et en réalisations, avec une certaine effervescence dans notre communication et les relations extérieures. Nous avons ainsi organisé pour la première fois les journées de l’OMVS. Ces commémorations, au delà des moments de communion qu’elles occasionnent, sont aussi des moments de sensibilisation à la valeur ajoutée de l’organisation dans l’économie des Etats. Nous avons aussi reçu au mois d’avril dernière la 6 ème session de l’association Initiative pour l’Avenir des Grands Fleuves (IAGF), présidée par l’écrivain Erik Orsenna. Elle regroupe un panel international et multidisciplinaire d’experts qui se sont penchés sur l’expérience et les projets concernant le fleuve Sénégal, notamment sur la question de la navigation où leurs contributions nous permettront certainement d’éviter les erreurs. Plus récemment, en mai, une délégation de pays d’Asie du sud-est parrainés par la Suisse est venue s’inspirer de notre expérience en matière de gestion des eaux transfrontalières. De même une délégation du bassin de la Volta a effectué une mission de prospection chez nous pour s’enquérir de notre approche dans plusieurs domaines. Sur le plan institutionnel, chantier fondateur, l’OMVS doit parachever sa mutation pour que le système puisse retrouver son dynamisme et être en phase avec les défis actuels. Nous avons bouclé des études stratégiques relatives à la réforme institutionnelle et à l’autofinancement du système. Il reste à les soumettre à l’approbation du conseil des ministres.
Faudrait-il accorder plus de prérogatives au haut commissariat de l’OMVS?
Pas forcément. Ces changements doivent permettre à notre organisation de préparer les défis d’aujourd’hui et de demain. L’Omvs a un patrimoine constitué de plusieurs sociétés de gestion. Ainsi, nous avons créé la Société de gestion et d’exploitation de la navigation (Sogenav) pour gérer le volet navigation, la SOGED pour la gestion du barrage de Diama, La société de gestion et d’exploitation de Manantali et Félou, SOGEM, et sa filiale la société d’exploitation SEMAF ; la société de gestion des ouvrages du haut bassin guinéen, Sogeoh en abrégé, est la dernière-née venue ancrer définitivement la Guinée dans l’organisation. Les réformes institutionnelles évoquées devront permettre au haut-commissariat d’assurer une meilleure coordination de toutes ces structures de partage.
Quel est l’état actuel des projets et des parcs de barrage de l’OMVS?
Nous pouvons dire avec beaucoup de fierté qu’en un an nous avons pu, enfin, faire démarrer les travaux de Gouina lesquels comme vous le savez ont pâti d’un important retard. La construction de ce barrage va apporter 140 MW supplémentaires à nos Etats. Cet ouvrage devra livrer son premier productible en 2020. Autre bonne nouvelle, la finalisation du processus de sélection pour Koukoutamba, le plus grand barrage hydroélectrique de la région avec 294 MW. C’est un projet monumental au regard de l’envergure des financements à mobiliser.
Peut-on considérer que ce processus d’attribution est définitivement terminé ?
Certainement, avec la notification de l’adjudication à la société chinoise Sinohydro décidée par la commission régionale des marchés qui est présidée par le haut -commissaire adjoint. Cette commission des marchés regroupe les représentants des 4 pays membres de l’Omvs, les coordinateurs nationaux assistés des experts techniques et financières des États. C’est elle qui approuve les marchés de l’Omvs avant validation par le Conseil des ministres. Ce marché avait pour particularité que c’est au soumissionnaire d’apporter le financement. Les Etats ont estimé que l’offre de Synohydro, qui par ailleurs a construit Felou, qui est entrain de construire Gouina, est la plus avantageuse.
Le processus suit désormais son cours normal. Nous sommes en négociation avec l’entreprise sur les modalités de financement. Toutes les études de faisabilité sont bouclées.
Par ailleurs, nous avons lancé, sur la base du même mode de financement, le projet de barrage de Gourbassi qui est essentiel pour maitriser davantage le fleuve et donner au projet de navigation un plan d’eau suffisant toute l’année.
Quel est l’état d’avancement du projet de navigation ?
Le projet structurant de navigation est entré dans sa phase d’exécution. La feuille de route instruite par le conseil des ministres est déroulée dans les délais. Nous sommes en négociation avec la société indienne Afcons dont l’offre financière et technique a été retenue. En vue de ces négociations, un comité regroupant les experts techniques et financiers ainsi que des représentants des ministères des finances est mis en place. Le contrat sera soumis au conseil des ministres. Parallèlement, nous allons enclencher le processus de mobilisation des financements auprès d’Eximbank Inde. Ce projet va transformer l’ensemble du trajet de parcours sur les deux rives du fleuve Sénégal et booster considérablement le développement de toutes les villes riveraines.
Les modes de financement retenus semblent privilégier l’endettement des États et non des PPP?
Pour le moment les États devront emprunter. Par la suite, il est tout à fait possible, en s’appuyant sur le produit de nos services marchands, d’aller vers d’autres modes de financement. Les États continuent d’investir via un mécanisme d’endettement lourd mais nécessaire. Cet endettement leur permet de résoudre la question de l’Energie, nécessaire pour tirer la croissance vers le haut. Aujourd’hui l’OMVS, avec son parc de production et ses 1 600 km de lignes de transport construites, et presque autant en cours de construction, est l’acteur le plus outillé pour le futur marché régional d’interconnexion électrique. C’est pourquoi je milite pour la dissociation entre production et transport de l’énergie. La création d’une entité dédiée exclusivement au transport permettrait à l’OMVS d’être un des leaders de ce futur marché régional.