Par Cheihna Bounajim Cissé.
Gouvernance ?! Tout a été écrit ou presque sur cette locution “très tendance” qui fait florès partout. Elle est utilisée par tous et pour tout comme l’ingrédient magique ; ou tout simplement comme appât pour dissimuler l’hameçon conçu, à dessein, pour attraper petits et gros “poissons” dans les eaux glauques de la corruption. Même ceux qui récusent la gouvernance, non pas le concept mais sa boursouflure, en usent et en abusent dans des déclarations sentencieuses et au cours des cérémonies licencieuses.
Pourtant, les questions de gouvernance doivent être prises très au sérieux. Partout, et surtout en milieu bancaire. On ne peut pas s’y engager avec l’intention de faire un tour de piste, le temps d’imprimer sa marque de fabrique, de garnir ses épaulettes et les plaquettes de son établissement, pour finir par raconter une belle histoire aux collaborateurs, aux administrateurs, aux actionnaires et aux médias. Et, plus tard, se dégonfler comme un ballon de baudruche pour s’arranger avec la réalité. La bonne gouvernance ne saurait être une chemise qu’on peut changer à sa guise et même s’affranchir de porter et de supporter. Elle n’est pas, non plus, une option, un vélo d’appartement où les animateurs des structures de contrôle rongent leurs freins, faute de trouver mieux. La gouvernance, ce n’est pas de la paille, ni de la fumée, encore moins de l’enfumage. Elle ne saurait être un jeu, une affaire d’improvisation comme si on jouait à la roulette russe. C’est du costaud. C’est pour avoir été négligé et même oublié, que le concept revient en force dans la réglementation bancaire.
La gouvernance est un tout. On ne peut pas la mettre en pièces détachées, prendre la partie gratifiante et laisser “l’os” à plus tard. Les révélations récurrentes, les manquements répétés et autres coups de canif portés à son encontre ne peuvent être une tempête circonscrite dans un verre d’eau. Ils toucheront, tôt ou tard, avec un effet amplifié, l’image et la réputation de l’établissement de crédit. Pour la simple raison qu’ils remettent en cause la confiance, indispensable pour bâtir de relations sérieuses et durables entre toutes les parties prenantes.
En vérité, la gouvernance dans les banques en Afrique est un vrai sujet. Et, elle est ultrasensible. Est-ce à dire, au motif d’une prudence du serpent, qu’il faut en faire un fétichisme ? Point du tout ! Ce n’est pas parce que c’est délicat qu’il ne faille pas la traiter. « Le comble de la prudence est de se faire couper une jambe de peur de la casser un jour », disait le littérateur suisse François-Rodolphe Weiss. Et il faut féliciter la Commission Bancaire de l’UMOA d’avoir pris la pleine mesure de la situation en revisitant totalement le dispositif de supervision des établissements assujettis pour l’adapter au nouveau contexte international et aux exigences du marché sous-régional
Nous avons l’habitude de dire que le « secret bancaire » ne doit pas transformer la banque en « boîte à secrets ». La banque, avant d’être une redoutable industrie de transformation du capital financier, est d’abord et avant tout une entreprise de prestation de services. Sa vision, sa stratégie et son organisation doivent être « centriques », c’est-à-dire orientées « Client ». Il faut donc la « démystifier » en la présentant comme une entreprise ouverte, transparente, disponible et accessible. Ceux-là, au-dedans comme au-dehors, qui prêchent sous la cape que les banquiers doivent se taire, et même se terrer dans leur confort douillet, loin du débat monétaire et financier, ont totalement tort. Tout au moins, ce n’est pas notre conception. D’ailleurs, la plupart d’entre eux sont fiers d’abhorrer les publications des banquiers occidentaux, et même d’en faire référence à travers de généreux passages essaimés lors de retrouvailles sublimées par un savoir qui n’est que loué.
Qu’il est de plus en plus difficile pour un banquier africain d’écrire sur sa profession ! Depuis plusieurs années, nous résistons à la conspiration à pas feutrés, aux attaques à fleurets mouchetés et aux intimidations à peine voilées, par de la privation et de la sédation à forte dose. Soyez assurés, partisans comme pourfendeurs, aucune concession ne sera faite aux perfidies, roueries et autres fourberies. Alors de grâce, ne combattez pas la vérité exprimée ; acceptez-la, il se peut qu’elle soit d’une bonne compagnie, à vous et à ceux que vous prétendiez défendre. Bonne action !
Introduction
Le 2 juillet 2018 restera une date historique dans la supervision des établissements de crédit en activité dans la zone UMOA. C’est effectivement la date choisie par la Commission Bancaire de céans pour lancer la mise en application de cinq importantes circulaires, à savoir :
- Circulaire n° 01-2017/CB/C relative à la gouvernance des établissements de crédit et des compagnies financières de l’UMOA du 27 septembre 2017 ;
- Circulaire n° 02-2017/CB/C relative aux conditions d’exercice des fonctions d’administrateurs et de dirigeants au sein des établissements de crédit et des compagnies financières de l’UMOA du 27 septembre 2017 ;
- Circulaire n° 03-2017/CB/C relative au contrôle interne des établissements de crédit et des compagnies financières dans l’UMOA du 27 septembre 2017 ;
- Circulaire n° 04-2017/CB/C relative à la gestion des risques dans les établissements de crédit et des compagnies financières dans l’UMOA du 27 septembre 2017 ;
- Circulaire n° 05-2017/CB/C relative à la gestion de la conformité aux normes en vigueur par les établissements de crédit et des compagnies financières dans l’UMOA du 27 septembre 2017.
Six mois après un réveillon bancaire plus que difficile marqué par le démarrage du nouveau Plan Comptable Bancaire (PCB) et du dispositif prudentiel bâlois (Bâle II et Bâle III) que les établissements de crédit de la zone peinent à ingérer et à digérer, voilà que s’invitent de nouveaux textes réglementaires plus contraignants et plus exigeants, émanant cette fois-ci de la Commission Bancaire de l’UMOA. Fini le temps du fonctionnement en roue libre ! L’âge d’or des banques en freelance est révolu. L’Organe de supervision a décidé de renforcer le dispositif de supervision et de contrôle des établissements de crédit.
Il est vrai que les « services de la météorologie bancaire » avaient lancé, depuis le 27 septembre 2017 (date de signature des nouvelles circulaires), un avis de tempête sur l’ensemble du système bancaire de la sous-région. D’après les prévisions, les cumulus devraient s’effacer au profit des cirrus et des arcus. Déjà, il commence à pleuvoir des hallebardes. Appelez-le comme vous le voulez, orage, tornade, tempête, typhon ou ouragan, ce cyclone bancaire que j’ai baptisé « Circob » vient d’atteindre les côtes africaines. Chez l’Oncle Sam, on a suffisamment surélevé les digues après le passage agité de Bâle III. En Europe, on continue à serrer les dents après la terrible crise financière de 2007. Là, on susurre même l’arrivée de Bâle IV.
Dans la zone UMOA, aux économies fragiles et vulnérables, le cyclone a déjà atteint sur l’échelle de Saffir-Simpson la catégorie 5 (niveau d’intensité le plus élevé). Il a débuté par une dépression cyclonique, suite à l’effet combiné du nouveau dispositif prudentiel et de l’interaction avec le nouveau PCB. Il pourrait s’intensifier à partir de 2022, à la fin de la période transitoire. Par exemple, à cette date, aucun établissement de crédit de l’UMOA ne pourra octroyer à une seule signature (un client ou un groupe de clients liés) plus du quart (25%) de ses fonds propres de base, contre une norme de 75% à fin 2017 et 65% actuellement. A l’instar du coefficient de division de risques, le niveau du ratio de solvabilité a été aussi revisité. Il devrait être au minimum de 9% dans quatre ans, contre 8% cette année. Ce relèvement de 100 points de base est très significatif, pour au moins deux raisons. Premièrement, la base de calcul du ratio a complètement changé. Pour ne citer qu’un seul exemple, au lieu des « fonds propres effectifs » dans l’ancien dispositif, c’est maintenant les « fonds propres de base (Tiers 1) » plus restrictifs. La différence pour certaines banques est un rapport de 1 sur 2.
D’autre part, à en croire la situation prudentielle du système bancaire de l’UMOA fournie par la Commission Bancaire dans son dernier rapport annuel, 12 établissements de crédit (sur 113), représentant 8,6% des actifs bancaires de la zone, étaient en dessous du seuil minimal du ratio de solvabilité. A l’échelle communautaire, il y avait deux pays, à savoir la Côte d’Ivoire (7,9%) et le Togo (5,8%), qui ne respectaient par le niveau minimum requis (8%). Ces deux pays représentaient 37,6% du marché bancaire de l’UMOA à fin 2016.
A la différence de Katrina, Mitch ou Andrew, l’ouragan Circob devrait être salutaire et même salvateur pour le système bancaire de la sous-région. A travers ses rafales de vent, il vient dépoussiérer un dispositif de supervision, vieux de plus d’un quart de siècle, qui a montré ses limites, même s’il a été partiellement revu en 2001 et en 2011.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, autorisons-nous un rapide survol de l’état des lieux. Il nous est fourni par les rapports annuels de la Commission Bancaire de l’UMOA.
I. Etat des lieux : Une gouvernance bancaire très fragile
Régulièrement, l’Organe de contrôle souligne dans ses rapports annuels les graves manquements qu’il a pu observer dans l’application des textes réglementaires, particulièrement ceux relatifs aux questions de gouvernance.
Ainsi, au cours de l’exercice 2016, la Commission Bancaire de l’UMOA a pris des décisions importantes au titre des mesures administratives et des sanctions disciplinaires, à l’encontre de plusieurs établissements de crédit. On peut citer, entre autres :
- la démission d’office d’un Président de Conseil d’Administration, eu égard aux «griefs relevés à son encontre concernant la perception de nombreux avantages sous forme de rémunérations ainsi que l’immixtion quotidienne dans la gestion de l’établissement en violation des textes en vigueur» ;
-
la démission d’office d’un Directeur Général aux motifs d’«actes irréguliers commis engageant sa responsabilité personnelle» ;
-
la délivrance de 8 injonctions, en augmentation de 60 % par rapport à 2015. Ces mesures administratives ont concerné des établissements de crédit et de microfinance installés au Bénin (1), au Burkina (2), au Niger (1), au Sénégal (3) et au Togo (1). Elles visaient, entre autres, à «assurer une gestion des risques conforme à la réglementation en vigueur», et à «améliorer la gouvernance et à renforcer le dispositif de contrôle interne».
-
l’audition (simple) de plusieurs dirigeants de banque (4), des mises en garde à 9 établissements de crédit et le maintien de la mesure de surveillance rapprochée de 2 établissements assujettis au Burkina et au Niger.
En 2015, l’Organe de contrôle communautaire avait prononcé l’interdiction d’exercer les fonctions d’administration, de direction ou de gérance d’établissements de crédit et de systèmes financiers décentralisés de l’UMOA, à l’encontre d’un ex-Directeur Général, en raison des «manquements graves relevés dans la gestion de l’établissement portant sur les actes de mauvaise gestion qui engagent sa responsabilité personnelle».
En 2014, la Commission Bancaire de l’UMOA a infligé 6 blâmes à 3 banques installées respectivement au Mali, au Niger et au Togo et à 2 établissements de microfinance de Côte d’Ivoire et du Togo, ainsi qu’au dirigeant d’un système financier décentralisé de Côte d’Ivoire. Selon l’Autorité de Contrôle, ces décisions ont été prises en raison, entre autres, «des nombreuses insuffisances relevées dans la gouvernance, la gestion des risques et autres actifs et d’actes de mauvaise gestion». Elle a prononcé 3 démissions d’office concernant l’Administrateur Provisoire d’une banque installée au Togo, eu égard à des «actes de mauvaise gestion engageant directement sa responsabilité personnelle et accomplis dans des conditions contrevenant gravement aux règles de gouvernance (…) ainsi qu’aux bonnes pratiques pour une saine gestion des risques», le Directeur Général d’un système financier décentralisé du Togo, en raison d’« actes irréguliers de gestion relatifs à l’attribution d’importants bonus, primes et gratifications non prévus par la politique de rémunération de l’établissement ainsi que de fausses déclarations de diplômes faites aux Autorités nationales et de contrôle entachant son honorabilité», le Président du conseil d’Administration d’une institution de microfinance installée en Côte d’Ivoire, aux motifs d’«actes irréguliers commis, afférents notamment à l’utilisation des ressources de l’institution à son profit personnel et l’encaissement de chèques libellés au nom de l’établissement dans son compte d’épargne». Au cours de l’année, la Commission Bancaire a même infligé la sanction suprême (le «retrait d’agrément») à une banque en Côte d’Ivoire, au regard notamment « de la persistance des manquements graves à la réglementation bancaire et de l’absence de perspectives de redressement».
Rassurez-vous, vous avez bien lu et vous êtes bien dans le système financier, censé être un espace fortement régulé et protégé : « fausses déclarations de diplômes », « utilisation des ressources de l’institution à son profit personnel », « encaissement de chèques libellés au nom de l’établissement dans son compte d’épargne », « nombreux avantages sous forme de rémunérations », « immixtion quotidienne [d’un PCA] dans la gestion de l’établissement », et j’en passe et des meilleurs.
Arrêtons-nous à ce niveau, et autorisons-nous quelques questions simples pour nous aérer l’esprit :
- Qui a proposé et nommé les dirigeants qui ont posé les actes incriminés ?
- Pourquoi le Conseil d’Administration, si prompt à distribuer des quitus, n’a pas pris la décision qui s’imposait en procédant aux vérifications nécessaires ?
- Les Commissaires aux comptes, au rapport haut comme trois pommes à genoux, ont-ils refusé de certifier les comptes, au regard de graves manquements relevés dans le dispositif de gouvernance et de contrôle interne ?
- Les faits révélés relèvent-ils de la spontanéité, de la providence, ou se sont-ils déroulés sur plusieurs mois voire plusieurs années ?
- Pourquoi les alertes légales et réglementaires n’ont-elles pas fonctionné ?
- Où étaient les structures de contrôle internes et externes au moment des faits ?
- II. Les grandes innovations du nouveau cadre de supervision
A)- Au titre du Conseil d’Administration
Fini le temps des PDG de banques où une seule personne peut cumuler les fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général, accumuler gains et profits, trémuler la gouvernance de son entreprise, par finir par dissimuler comptes et mécomptes. La Commission Bancaire a levé toute ambiguïté sur ce point en tranchant pour le système dual (gouvernance dissociée) au détriment du monisme (gouvernance réunie).
D’après l’article 16 de la Circulaire sur la gouvernance, le Président du Conseil d’administration doit être « un administrateur non exécutif ou un administrateur indépendant ».
Fini le temps des administrateurs, à la compétence confuse et/ou à la disponibilité diffuse qui découvrent ou lisent, bien souvent, les dossiers dans la salle du conseil. Désormais, le conseil d’administration des établissements de crédit doit être composé de compétences avérées. L’article 12 de la Circulaire sur la gouvernance le précise : « Les membres de l’organe délibérant doivent disposer individuellement ou collectivement de compétences appropriées notamment dans les domaines des opérations de crédit, de l’analyse financière, des technologies de l’information, de la planification stratégique, de la gouvernance, de la gestion des risques, du contrôle interne, des marchés de capitaux ou des politiques de rémunération.
Les membres de l’organe délibérant, pris dans son ensemble, doivent : (a) avoir une bonne connaissance de l’économie et des marchés dans lesquels l’établissement opère ; (b) maîtriser les textes juridiques en vigueur régissant les activités de l’établissement dans l’UMOA et dans les pays d’implantation de ses filiales. » S’y ajoute à l’article 13 de la dite circulaire : « L’organe délibérant doit être doté de pouvoirs lui permettant de s’assurer que les administrateurs nommés par les actionnaires sont qualifiés pour le poste ». Mieux, même après leur nomination, les administrateurs doivent suivre une formation continue : « L’établissement est tenu de mettre en place des programmes de formation continue à l’intention des membres de l’organe délibérant ou de prendre toutes mesures visant à leur assurer l’accès aux connaissances nécessaires pour exercer pleinement leurs responsabilités (article 14) »
Fini le temps des « petits arrangements entre amis », transformant le conseil d’administration en une « chambre d’enregistrement » des décisions discutées et convenues autour du petit feu des petits fours. Les voix dissonantes sont éconduites à la première occasion. L’Autorité de supervision s’est voulue très claire sur le sujet. Dans la Circulaire sur la gouvernance, elle indique à l’article 13 que « les membres de l’organe délibérant ont des obligations vis-à-vis des intérêts de l’établissement dans son ensemble et ce, indépendamment de l’instance qui les nomme».
Plus spécifiquement, l’article 16 stipule que le président du conseil d’administration doit veiller «à l’expression et à l’examen des avis divergents». Ainsi, « les administrateurs nommés par des actionnaires d’influence dominante doivent conserver leur impartialité et exercer intégralement leurs obligations de diligence et de loyauté vis-à-vis de l’établissement (article 41) ».
Au surplus, le Conseil d’administration doit «veiller à ce qu’une seule personne ou un groupe de personnes ne domine l’organe délibérant au détriment des intérêts de l’établissement dans son ensemble» (article 24). Mieux, dans le nouveau dispositif de supervision, les administrateurs indépendants ont fait formellement leur apparition pour équilibrer les enjeux et protéger les intérêts des minoritaires : «Pour renforcer l’impartialité et l’objectivité de ses décisions, le tiers des membres de l’organe délibérant doit être composé d’administrateurs indépendants (article 10). Ceux-ci ne doivent pas avoir directement ou indirectement, avec l’établissement, une relation d’affaires en cours ou durant les quatre années précédentes (article 11).
Fini le temps où le poste d’administrateur de banque était très convoité pour faire du trafic d’influence, trainer des tonnes d’ardoises sans se soucier de les effacer. Désormais, la Commission Bancaire oblige chaque administrateur à soumettre « avant son entrée en fonction et annuellement à l’organe délibérant une déclaration sur l’honneur, dans laquelle il atteste notamment ne pas disposer de créances en souffrance dans un établissement de crédit de l’UMOA (article 40 de la Circulaire sur la gouvernance) ».
Plus loin, l’article 42 ajoute que «les membres des organes de gouvernance ne doivent pas être en défaut de paiement sur leurs engagements auprès de l’établissement ou en situation d’interdiction bancaire dans l’UMOA. En pareil cas, ils doivent être suspendus de leurs fonctions. La Commission Bancaire doit être informée par le Président de l’organe délibérant dès leur survenance».
Fini le temps des administrateurs « affairistes » qui pouvaient se contenter d’observations molles sur les rapports de gestion de la Direction Générale, en contrepartie de juteux contrats de prestation. «Préalablement à son entrée en fonction et chaque année durant son mandat, l’administrateur soumet à l’organe délibérant une déclaration de conflits d’intérêts relative aux liens de toute nature qu’il entretient directement ou indirectement avec l’établissement, ses dirigeants, ses partenaires, ses concurrents et ses cinquante plus gros clients (article 40 de la Circulaire sur la gouvernance)».
Fini le temps où un administrateur pouvait faire le « conseil buissonnier », en se faisant représenter presque ad vitam aeternam, ou en s’emmurant dans un silence presque assourdissant lors des échanges et des délibérations, tout en engrangeant au passage d’épaisses liasses de billets curieusement appelées jadis «jetons de présence», pour ne pas susciter, certainement, l’émoi de certains curieux. L’article 15 de la Circulaire sur la gouvernance a tranché la question : «L’organe délibérant doit édicter des mesures permettant d’assurer la présence et la participation effective de ses membres aux réunions. (…) La Commission Bancaire peut exiger des modifications dans la composition de l’organe délibérant si elle constate que certains de ses membres ne s’acquittent pas de leurs obligations (…) ». La Commission Bancaire a même prévu, au-delà de la simple lecture de procès-verbaux du conseil d’administration qui doivent lui être communiqués, de « participer, à titre d’observateur, aux réunions de l’organe délibérant lorsqu’elle le juge nécessaire ».
B)- Au titre de la Direction Générale
Fini le temps des directeurs généraux de «pleins pouvoirs» qui s’autorisaient, sans coup férir, des recrutements à prix d’or, basés sur des considérations bien souvent éloignées des préoccupations et des besoins réels de leurs entreprises, et qui s’étonnent après de l’allure de la «maison commune» : un PNB qui peine à s’extraire du rez-de-chaussée tandis que le coefficient d’exploitation campe au penthouse. L’Autorité de Supervision a fait obligation au Conseil d’Administration de «surveiller et évaluer les performances des principaux membres de l’organe exécutif (article 8)». On entend par organe exécutif, « l’ensemble des structures qui concourent à la gestion courante d’un établissement et assurent l’application effective de l’orientation de l’activité définie par l’organe délibérant. Sont notamment considérés comme membres de l’organe exécutif le Directeur Général, les Directeurs Généraux Adjoints, le Secrétaire Général et les Responsables des fonctions de contrôle (article 3) ».
Fini le temps des doublures – ces seconds couteaux sans lame – et même des triplures qui ferraillent dans les plis de l’organisation au point d’en créer des fêlures. Un PDG de banque, dans le cadre d’une opération de croissance externe, interpella ses collaborateurs sur le sens du «binôme». Le plus vif d’entre eux, et de loin le plus concerné, répondit avec spontanéité : «Un binôme c’est deux monômes». Le destin décida plus tard d’inverser les rôles. L’heure de la responsabilité a sonné. Et pour ceux qui en douteraient encore, ils pourront faire une lecture heureuse de la nouvelle Circulaire sur la gouvernance : «Pour les dirigeants, la Commission Bancaire se prononce, d’une part, sur la compétence des personnes pressenties au regard des critères de diplômes et d’expérience professionnelle définis par la loi portant réglementation bancaire pour les non-ressortissants de I’UMOA et, d’autre part, sur la moralité et l’absence de condamnation entraînant l’interdiction d’exercice prévue par la loi susvisée (article 14) ».
C)- Au titre des fonctions de contrôle
Fini le temps du Directeur Général aux «pouvoirs hégémoniques» où les fonctions de contrôle sont mises au pilori. Dans les différents comités de gestion, à la composition et au règlement intérieur aussi profus que diffus, la volonté du président de séance s’imposait à tous les membres tenus à bonne distance par ses pouvoirs discrétionnaires de sanction, de rétorsion et de révocation. Et son simple avis (même bancal et radical) pouvait valoir décision finale. Tout cela relève du passé.
La Commission Bancaire indique clairement que le Directeur Général doit «respecter et promouvoir l’indépendance des fonctions de contrôle et ne pas interférer dans l’exercice des responsabilités qui leur sont dévolues» (article 27 de la Circulaire sur la Gouvernance). Mieux, les responsables des fonctions de contrôle sont désormais liées à l’organe délibérant qui est responsable de leur sélection, de la supervision de leur performance ainsi que de leur révocation (article 30, al. 1). Spécifiquement, les responsables des fonctions de contrôle des filiales de groupes bancaires dépendent, d’un point de vue hiérarchique et fonctionnel, des fonctions de contrôle de la maison-mère dont elles font partie et lui rendent compte. Ils doivent également rendre compte aux organes de gouvernance de leur établissement (article 30, al. 2). Ainsi, la désignation, la mutation ou la révocation des responsables des fonctions de contrôle doit être soumise à l’approbation préalable du Conseil d’Administration, sur proposition dûment motivée du Directeur Général ou du Comité d’Audit. Ces décisions doivent être portées à la connaissance de la Commission Bancaire (article 31). Cette dernière peut convoquer chaque responsable d’une fonction de contrôle pour examiner tout sujet relatif à ses missions et aux dispositions juridiques. (article 30, al. 4)
Fini le temps où les fonctions de contrôle étaient perçues comme des «garages», où toute mutation dans ces services était perçue par l’intéressé et ses collègues comme une sanction. L’article 16 de la Circulaire sur le contrôle interne lève toute ambiguïté sur ce point en valorisant la fonction de contrôle : «Chaque auditeur interne doit posséder les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’exercice de ses responsabilités. La fonction d’audit interne doit disposer collectivement d’une compétence suffisante pour pouvoir examiner tous les domaines d’activités de l’établissement. L’établissement doit prendre les dispositions pour que les auditeurs maintiennent à jour leurs connaissances.».
La Commission Bancaire a même prévu que le Conseil d’Administration se réunisse et échange périodiquement avec les responsables des fonctions de contrôle (article 7 de la Circulaire sur la gouvernance). La Circulaire sur le contrôle interne est plus explicite en son article 4. L’organe délibérant doit « examiner, au moins une fois par an, l’efficacité du système de contrôle interne en s’appuyant en partie sur les informations transmises par la fonction d’audit interne, les commissaires aux comptes et la Commission Bancaire ; et mandater, au moins tous les cinq ans, une revue externe d’assurance qualité de la fonction d’audit interne ». A nouveau, la Circulaire sur la gouvernance précise en son article 29 que « chaque fonction de contrôle, placée sous l’autorité d’un responsable distinct, doit (…) être dotée de ressources humaines compétentes et quantitativement suffisantes pour mener à bien sa mission ». L’article 31 introduit une innovation majeure en soustrayant du périmètre de la direction générale les mouvements de personnel au sein de l’Audit interne : « La désignation, la mutation ou la révocation du responsable de la fonction d’audit interne et celle des auditeurs internes doit être soumise à l’approbation préalable de l’organe délibérant, sur proposition dûment motivée du Comité d’audit. Ces décisions doivent être portées à la connaissance de la Commission Bancaire ».
Fini le temps où les informations financières sur les banques étaient inaccessibles au public et même cachées à la majorité du personnel. Les NTIC sont là, Bâle II et III aussi, il ne reste plus qu’aux banques de s’y employer et, in fine, de s’y déployer. La Commission Bancaire les y oblige. En effet, d’après la Circulaire, « les organes de gouvernance doivent assurer la diffusion en temps opportun d’informations exactes sur tous les sujets significatifs concernant l’établissement, notamment son actionnariat et sa gouvernance » (article 47). « Les informations doivent être accessibles sur le site internet de l’établissement, dans ses rapports financiers annuels et périodiques et par tout autre moyen adéquat » (article 48). La Circulaire sur le contrôle interne indique en son article 12 que « les canaux d’information et de communication établis au sein de l’établissement doivent permettre à tout membre du personnel de disposer des informations dont il a besoin pour effectuer les activités de contrôle qui lui sont assignées. »
Mieux, et c’est suffisamment rare pour être souligné, la Commission Bancaire a institué et protégé le rôle de « lanceur d’alerte » dans les établissements de crédit. L’article 44 de la Circulaire sur la gouvernance encadre ce nouveau dispositif : «L’organe délibérant doit veiller à la mise en place d’un dispositif interne de collecte d’informations sur les dysfonctionnements. Ce dispositif doit permettre à tout acteur de l’établissement de lui communiquer sans délai, directement, en toute confidentialité, et sans suivre la voie hiérarchique ou indirectement, par l’intermédiaire des fonctions d’audit interne ou de conformité, les pratiques contraires au code de déontologie ainsi que tous faits, gestes, actions ou circonstances, pouvant porter atteinte aux intérêts ou à la réputation de l’établissement. Le dispositif doit être connu de tous les acteurs de l’établissement et intégrer des mécanismes conformes aux bonnes pratiques pour veiller, dans les meilleurs délais, à la prise de mesures correctrices consécutivement aux informations sur les dysfonctionnements. Il doit, en outre, protéger l’anonymat des lanceurs d’alertes et interdire toute forme de représailles ».
- III. Et la corruption et la sorcellerie ?
Deux sujets d’une réelle gravité pour l’écosystème financier n’ont pas été explicitement traités dans le nouveau cadre réglementaire. Il s’agit de la corruption et de la pratique de la sorcellerie en milieu bancaire. C’est dire que tout n’est pas encore parfait. Qui peut d’ailleurs le prétendre ? Mais, en adoptant ces nouvelles mesures réglementaires dissuasives, persuasives et curatives, l’Organe de supervision a marqué un grand pas dans l’assainissement des banques, dans le renforcement de leur gouvernance et dans la stabilisation du système financier de la zone.
La corruption est aujourd’hui un secret de polichinelle, tant elle s’est généralisée et banalisée dans tous les secteurs de la vie économique et sociale du continent. Au point qu’elle s’est invitée au 31e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine (UA), comme thème principal de la rencontre : « Remporter la lutte contre la corruption, une voie durable vers la transformation de l’Afrique ». Après ça, qui peut raisonnablement croire que tel pays ou tel secteur en Afrique est épargné par la pandémie de la corruption ? Le sujet a été effleuré à l’article 43 (« Code de déontologie ») de la Circulaire sur la gouvernance de l’UMOA. Il aurait pu être approfondi en incluant, entre autres, la déclaration de patrimoine et de conflit d’intérêts, obligation à laquelle devraient être assujettis tous les dirigeants de banque (au sens réglementaire du terme), avec une mise à jour annuelle étendue à leur famille, avec des moyens conséquents donnés au Responsable de la Conformité (ou au Déontologue s’il en existe) d’investiguer pour s’assurer de l’authenticité et de l’exhaustivité des biens ayant fait l’objet de déclaration. D’autres textes sous la forme d’instructions peuvent y remédier.
Le sujet relatif à la sorcellerie (au sens large du thème) est tabou et très sensible dans les milieux intellectuels en Afrique de l’Ouest. A la décharge de la Commission Bancaire, il pouvait difficilement être traité dans le nouveau cadre de supervision. L’Afrique du Sud a été précurseur dans ce domaine. Depuis, plusieurs années, on y enseigne la sorcellerie. Dans ce pays, il y a plus de 200 000 « sangomas » (guérisseurs mystiques) légalement reconnus. D’après certaines sources d’information, plus de 80 % de la population sud-africaine rend visite à un sangoma plus de trois fois par an. Le 20 mars 2017, la nation arc-en-ciel a franchi un nouveau cap en ouvrant la toute première école publique de sorcellerie sur le continent. Aux dires de ses initiateurs, cet établissement se fixe comme objectif de «former des sorciers et délivrer des diplômes ès sciences en sorcellerie». Les autorités du pays ont justifié la création de cette école dans le but d’assainir et de promouvoir le secteur de la sorcellerie : « Tout comme les ingénieurs et les médecins, ainsi que des pasteurs qui vont à des universités pour apprendre davantage sur leur profession, les sorciers et sorcières devront suivre des formations pour mieux utiliser leurs dons en conséquence ».
La Zambie vient d’arpenter dans le même sillage avec un financement de… l’UNESCO. En novembre dernier, le ministre zambien de l’Enseignement supérieur déclarait que la recherche et l’étude de la sorcellerie sont «une science pouvant être utilisée de manière productive pour le bien du pays». Sur le «Vieux continent», censé être pour beaucoup le réceptacle de la rationalité et le creuset de la logique cartésienne, on y enseigne depuis la nuit des temps les sciences métaphysiques et la magie blanche. Par exemple, dans le sud de l’Angleterre, des étudiants et des managers accourent du monde entier pour suivre les stages d’apprentis sorciers. A l’école de sorcellerie de Bothwell, derrière les murs du château de Herstmonceux, l’immersion dans l’univers de la sorcellerie s’offre à prix d’or. Il faut débourser entre 600 et 1 000 euros par personne pour trois jours de formation.
En Afrique de l’Ouest, la sorcellerie reste l’apanage du mythique et du mystique. Pourtant, son secteur bancaire à l’image des autres franges de la société, n’échappe pas à ce phénomène. Sous la cape, il est difficile de trouver un banquier qui ne pourrait conter et raconter «ses incroyables histoires», aussi hallucinantes les unes que les autres. Pourtant, en public, on botte en touche, la mâchoire serrée et le visage fermé, feignant d’ignorer en s’ignorant soi-même et les autres, ces pots et ces suppôts, ces décoctions et lotions, ces fragrances enivrantes et envoutantes qui fument et enfument, ces bains rituels quotidiens, ces litanies murmurées à fort débit, ces visites nocturnes et diurnes chez les oracles, ces gris-gris, amulettes et talismans soigneusement dissimulés dans les bagues, les bracelets et même… les ceintures. Et j’en passe et des meilleurs. Tout cela sous les prédictions des génies censés assurer pouvoir et savoir, richesse et noblesse, protection et affection, et tutti quanti. A tel point qu’on ne croit plus à la force de ses neurones mais plutôt à l’efficacité de ses aumônes. A cet exercice, certains ont pu se forger des positions inexpugnables. Qui s’y frotte, s’y pique, prévient-on dans la riveraineté. Les victimes de leurs imprécations et de leurs exécrations, tiennent comme par extraordinaire leur santé en bandoulière, déambulant entre praticiens de ville et tradipraticiens de brousse.
Les lieux de sacrifice et d’offrande ne se comptent plus dans les villages comme en plein centre-ville. Les berges rocailleuses des cours d’eau, les flancs des collines, les creux des arbres, les croisements de routes, les fourmilières et les termitières, bref tous les lieux sacralisés censés abriter les pénates des démons les plus redoutables, sont pris d’assaut par les devins, les bovins et les ovins. Le sang coule, le lait s’écoule, le client s’écroule et le devin se défoule. Et des scènes ubuesques de ce genre, dignes des célèbres films de Bollywood, ne se comptent plus.
En vérité, la pratique de la sorcellerie, lato sensu, est un paramètre essentiel à intégrer dans la gestion des banques en Afrique. Un dirigeant de banque, très au fait des arcanes de sa profession, nous définissait la banque comme le « carrefour de toutes les tentations ». Il ne pouvait mieux dire. Certains de ses collègues se sont enfermés dans le déni, d’autres ont tenté de minimiser la réalité, presque tous y ont laissé des coquards et méditent à mille lieux les mystères des lieux jadis vantés aujourd’hui hantés puisque soi-même déchanté. Un autre manager, qui n’avait cure de ces histoires à deux balles, dut se raviser en se tirant une balle dans le pied. Nous allons tenter de lever un coin de voile sur ces différents sujets dans nos prochains ouvrages (« Le Banquier et le Sorcier » et les « Fables folâtres de la gouvernance bancaire »), à travers une centaine d’histoires réelles collectées et traitées pendant près de trois décennies de vie professionnelle. En attendant, pour ceux qui pourraient être tentés de se complimenter ou de s’innocenter, voici un avant-goût de l’odyssée folâtre :
«Un dirigeant d’un établissement bancaire, la vaisselle bien en poche, s’adonnait régulièrement à des pratiques très étranges. Pour ce dandy, la foi religieuse n’avait rien d’incompatible avec l’observance de certaines pratiques traditionnelles. Un beau dimanche ensoleillé, il sacrifia à un repos bien mérité pour prendre la direction de ses bureaux. Avant de monter dans la voiture stationnée à la porte de sa somptueuse demeure, il sacrifia à un geste rituel devenu presque habituel : il jeta derrière lui un œuf et par devant un autre, tout en veillant à psalmodier une ritournelle. Les gardiens de céans se tordirent le cou au point d’attraper le torticolis, de peur de susciter le courroux du «patron». Ainsi rassuré, ce dernier pris place confortablement à l’arrière de sa limousine, accompagné de son fidèle chauffeur quelque peu habitué à ses brusqueries. Arrivé à la banque, contrairement à ses habitudes, il demanda de le conduire dans l’arrière-cour. Surprise ! Toujours camouflé à l’arrière du véhicule aux vitres surteintées, il avala d’un trait les lieux. A la vue de l’étrange manège, les fayots accoururent pour, certainement, apporter confort et réconfort au patron. Ils furent invités, sans ménagement, à se faire occuper. Les salamalecs à se faire arracher les godillots sont remis à plus tard. Comme quoi Coluche a peut-être raison : « Les gardiens de la paix, au lieu de la garder, ils feraient mieux de nous la foutre ! » L’horizon ainsi dégagé, notre DG fit sortir du coffre de sa voiture d’étranges colis contenant… du sel à tire-larigot. D’un pas ferme et décidé, il alpagua un des sacs, sous les yeux riboulants de son factotum qui aurait bien voulu, à l’instant, être édenté. Peine perdue ! Il portera, pour de longues années, le fardeau de sa vue suspendu à sa langue. Sur les préconisations des oracles censés superviser l’opération à distance, il commença à « assaisonner » (pardon à saliner) le sol du précieux produit, point pour fondre la neige – il n’y en a pas dans cette partie du monde – mais, pour semble-t-il, exorciser ses démons qui, chassés de son bureau, avaient pris place dans la cour de la banque… »
Conclusion
La Commission Bancaire de l’UMOA a eu le nez fin et l’œil avisé en rompant le paradigme du cadre réglementaire. Elle a introduit des modifications majeures dans le dispositif de supervision bancaire pour prévenir, et au besoin corriger, tout comportement déviant des organes exécutif et délibérant des établissements de crédit. Sur ce point, l’avènement dans la zone des normes bâloises a été un prétexte heureux. Sans nul doute, l’objectif recherché en matière de gouvernance, c’est l’intégrité et la rectitude morale des dirigeants de banque, à travers l’instauration d’une culture d’imputabilité et de redevabilité. Cela s’appelle de l’exemplarité : servir, et non se servir, encore moins asservir. Pour le Nobéliste français Albert Schweitzer : « L’exemplarité n’est pas une façon d’influencer, c’est la seule ». Son compatriote, le praticien universitaire Hervé Sérieyx prolonge : « Etre exemplaire c’est à la fois être économe de ses propos, ne dire que ce que l’on est décidé à faire soi-même, et s’engager dans ce que l’on dit. » L’ancien dirigeant du groupe Lesieur poursuit : « Comment donner du sens aux autres quand on en est soi-même dépourvu, quand aucun système de valeurs ne nous oblige à nous tenir droit et à nous dépasser nous-mêmes ? (…) Les dirigeants creux, réductibles à leurs seules compétences techniques, cela se repère presque au premier coup d’œil. Au temps où les galons, les titres et les statuts impressionnaient encore, ils pouvaient aisément se maintenir à la tête d’organisations pyramidales. Dorénavant, ils sont incapables de donner du souffle, vie, âme à des organisations en réseau, et leur autorité y apparaît purement formelle. »
A l’évidence, dans le système bancaire de la sous-région, il souffle un vent à faire décorner les buffles et chaque acteur calfeutré dans des tranchées calfatées soigne son habitus. Une sagesse burkinabè nous enseigne : « Quand le canari se casse sur ta tête, il faut en profiter pour te laver ». Gare aux établissements assujettis qui se hasarderaient à braver les alertes et les avis de tempête ! En cette période de canicule, il faut surtout hydrater les « vieilles personnes » (banques historiques) et les « jeunes enfants » (nouvelles banques). Il faut même, si nécessaire, les réveiller de nuit (après le départ de la clientèle) pour les faire boire de l’eau, beaucoup d’eau. De même, pour éviter l’inondation en cette période d’hivernage – de quoi de plus simple mais de plus complexe – il faut renforcer les fondations des édifices bancaires (par un apport substantiel en fonds propres) ou en faire évacuer les parties les plus exposées (par la diminution d’actifs moins rentables).
Les prochains mois seront décisifs pour le secteur bancaire de l’UMOA. S’adapter ou être absorbée restent la seule règle qui vaille pour une banque. Gageons, conjurons et adjurons que les nouvelles exigences réglementaires puissent contribuer à la solidité et à la stabilité de l’industrie bancaire d’une part, et à la bancarisation et au financement des économies de la sous-région d’autre part. Il faut cependant rappeler une vérité primaire. Quelle que soit la qualité des textes et la robustesse de la supervision, rien ne peut arrêter un dirigeant de banque décidé à passer entre les gouttes. D’une manière ou d’une autre, il tartinera sur les interprétations des « parties molles » de la nouvelle réglementation, quitte à faire payer plus tard le prix fort à son entreprise. Il faut donc veiller, en permanence, à l’indépendance et au bon fonctionnement des fonctions de contrôle. Et ce n’est pas seulement aux Autorités de supervision (Commission Bancaire, Banque Centrale, Ministère en charge des Finances) de s’en assurer et de s’en préoccuper. C’est d’abord et avant tout la responsabilité des organes de gouvernance interne à l’établissement de crédit. Et dans cet exercice, les Commissaires aux comptes sont fortement interpellés dans leur rôle légal de lanceur d’alerte.
Pour mimer une écologiste française, oui à une gouvernance de combat, non à une gouvernance de coups bas. Les sages rappellent ces préconisations de bon sens : « Qui boit sans soif vomira sans effort » et « qui tue ivre est pendu sobre ». Que les dirigeants se le tiennent pour dit !
A propos de l’auteur
Cheickna Bounajim Cissé, l’émergentier.
Ancien membre du Comité scientifique Bâle de la FAPBEF-UEMOA, il est économiste et essayiste. Titulaire d’un MBA de l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris (Université Panthéon-Sorbonne) et détenteur d’un Master professionnel en Sciences Politiques et sociales – option Journalisme – de l’Institut Français de Presse (Université Panthéon-Assas), il a une Maîtrise en gestion des entreprises de l’ENA de Bamako et est diplômé d’études supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il est aussi l’auteur de plusieurs publications et est contributeur pour plusieurs médias. Son dernier ouvrage « Construire l’émergence, un pacte pour l’avenir » a été publié en octobre 2016 aux éditions BoD.