Par Adama Gaye
Ce n’est jamais par hasard que le Président chinois, désormais considéré comme l’homme le plus puissant du monde*, quitte son pays. Cela donne tout le sens du séjour, aux antipodes, que Xi Jinping, effectue, à partir de ce week-end, sur le continent africain. Y vient-il pour marcher sur les pas, ou les plate-bandes, de ses prédécesseurs ayant déjà fait le safari, en réaffirmant les dogmes et paradigmes ayant irrigué la relation sino-africaine depuis, en particulier, l’instauration, en 1949, de la République populaire de Chine (RPC) suite au triomphe des communistes maoïstes contre les nationalistes de Chiang-kai Tchek? Ou sera-ce l’occasion d’une remise à plat, d’un reset, selon une stratégie popularisée par l’ancien Président américain, Barack Obama ? Il débarque sur le continent dans un contexte où s’impose l’urgence d’offrir à la relation sino-africaine de nouvelles perspectives. En un mot, de lui ouvrir de nouveaux sentiers, loin de ceux, battus, désuets et soumis à la question, en maints cercles africains.
Quatre pays -Sénégal, Rwanda, Afrique du Sud, Maurice- figurent à l’agenda de cette tournée africaine de l’homme fort du pays le plus peuplé du monde, première économie mondiale en parité de pouvoir d’achat (ppp), et enjeu planétaire des rivalités geo-économiques voire géopolitiques contemporaines.
La nécessité d’un aggiornamento n’a jamais été aussi évidente pour redonner du souffle à une relation, plus questionable qu’on ne l’imagine, même si elle est qualifiée de stratégique par les acteurs qu’elle fédère. De toute évidence, elle ne doit plus différer ce réexamen sans lequel son avenir pourrait être compromis…
Ce qui rend impératif, en le facilitant, ce coup de collier, c’est essentiellement le fait que l’homme qui dirige maintenant la Chine, fraîchement réélu à la tête du Parti communiste Chinois (PCC) et de l’Etat éponyme, a un mandat magistral lui conférant, plus qu’une légitimité, une mainmise sur tous les leviers de commandement de son pays. Jamais, depuis la mort de Mao Tse-toung, père de la Chine communiste, dont il a mené la lutte de libération, pour la tirer d’un siècle de domination quasi-coloniale (1840-1949), aucun homme n’avait eu un tel ascendant sur le milliard et trois cent millions d’habitants de la Chine. Même Deng Xiao-ping, celui de ses successeurs le plus connu, n’a pu avoir autant d’emprise sur le pays. Ce, malgré son aura de père des réformes économiques et de l’ouverture du pays, en 1978, fondements de la conversion à l’économie de marché et de la montée en puissance économique qui ont transformé la Chine. Les autres dirigeants chinois, de Zhu Rong-ji, Jiang Zemin, Wen Jia-bao ou Hu Jintao, déjà rayés des tablettes de l’histoire, sont loin derrière lui. Xi est d’une autre classe! Combien d’empereurs ancestraux ont eu autant de puissance que lui? Très peu, ou presque pas…
Nouvel empereur
L’ère Xi n’est pas seulement celle d’un princeling, un prince rouge descendant d’un des père-fondateurs de la Chine actuelle. On a affaire à un néo-empereur nanti de pouvoirs exorbitants -et craint de tous! Son nom figure sur la Constitution du PCC, privilège qu’il ne partage qu’avec Mao et Deng, en ayant sur eux l’avantage d’avoir carte blanche pour commander le pays san contrepouvoirs réels. Plus rien ne s’oppose à la prolongation ad-vitaem de son leadership, la limitation sur deux mandats de cinq ans ayant été opportunément supprimée pour le mettre à l’aise; tandis que les instances étatiques et politiques nationales et locales sont sous sa coupe, truffées de ses partisans.
Sa puissance terrifie hiérarques du PCC, businessmen locaux et gens ordinaires. Beaucoup d’entre-eux croupissent en prison, incarcérés, comme l’ancien tout puissant ministre du Commerce, Bo Xilai, pour être accusés de corruption, d’autres l’étant probablement pour avoir franchi une ligne…rouge, soupçonnés de déranger l’omnipotence du nouvel empereur.
Déjà, en décembre 2015, alors qu’il n’avait pas encore hissé son statut à un niveau stratosphérique, il avait montré sa force de frappe à ses collègues africains, soudain nains sous ses yeux, pendant qu’ils se réunissaient ensemble à Johannesbourg, dans le dialogue triennal instauré sous les auspices du Forum de coopération Chine-Afrique (Focac). Un mois plus tôt, à Malte, l’Union européenne prise dans ses peurs des migrants et ankylosée par sa croissance économique anémiée n’avait pu offrir qu’un maigre 2 milliards d’euros à l’Afrique dans un sommet centré sur la problématique de l’endiguement de la migration internationale.
Sous cape, les Européens n’en riaient pas moins, en se gaussant du reflux de la croissance chinoise et de l’effondrement de ses réserves en devises. Tous s’attendaient à un retrait de Pekin de ses massifs engagements commerciaux et diplomatiques africains. Or, surprenant ses interlocuteurs africains, et comme faisant un pied de nez aux acteurs classiques, européens et américains, se croyant en chasse-gardée sur le continent, voilà donc que devant un pupitre vers lequel tous les regards étaient tournés, au centre des conventions de la capitale économique sud-africaine, c’est un Xi Jinping impérial qui annonce que son pays consacrerait 60 milliards de dollars à l’Afrique au cours des trois années à venir. Qui n’a pas noté, ce jour-la, le large sourire et la gestuelle ample de l’alors président du Zimbabwe, Robert Mugabe? C’est comme s’il voulait dire: “voilà le vrai ami de l’Afrique!”.
Depuis lors, Xi Jinping, devenu l’équivalent, sur le papier, du Grand Timonier, que fut la référence accolée à Mao, n’est donc pas un banal visiteur qui, en ce mois de juillet, arrive en Afrique. Ici, comme ailleurs, le contexte est changeant. Il est marqué par de grandes mutations, renversements d’alliances, rivalités commerciales et économiques, sur fond de réveil des compétitions militaro-industrielles ou encore de lutte contre des dangers et pandémies asymétriques nouveaux voire émergents.
On pourrait, au prime abord, se demander pourquoi sa visite changerait-elle des relations testées depuis qu’elles ont trouvé leur socle à la conférence de Bandoeng en avril 1955 qui fit se rencontrer, en ce moment de naissance du tiers-mondisme, dirigeants chinois et nationalistes africains en quête de leur indépendance pour la plupart d’entre-eux…Un homme y représenta la Chine, Zhou Enlai. Bras droit de Mao, il fut celui qu’il envoya faire la première tournée d’un grand dirigeant chinois sur le continent. Nous sommes en 1963. L’occasion pour lui de décliner ce qui fut le fondement de la coopération chinoise en Afrique, notamment une fraternité idéologique, le refus de toute ingérence dans les affaires intérieures, la coexistence pacifique ou bien la non-négociabilité d’une seule Chine, incluant l’île de Taïwan que Pekin considère comme rebelle.
Dans la ferveur des conflits idéologiques de la guerre froide, en cultivant son originalité, pour ne plus être une dépendance de Moscou, la Chine Maoïste n’était cependant pas en mesure de faire plus qu’une coopération des pauvres avec le continent. Ses médecins aux pieds nus, ses assistants agricoles déployés dans les profondeurs africaines, furent sa signature sur place. Seuls les cliquetis d’armes livrées à ses partenaires menant des luttes de libération pouvaient signifier que ses ambitions ne se limitaient pas à des gestes symboliques. Son financement du chemin de fer Tanzanie-Zambie (Tazara), en était un autre. Il avait été décidé pour pallier le rejet de ce projet par les pays occidentaux et celui de la Banque mondiale. La Chine n’avait pas hésité à y déverser des centaines de millions de dollars, alors qu’elle traversait l’un de ses plus grands tourments, à savoir une meurtrière révolution culturelle entre 1966 et 1976.
Elle vit alors des moments tendus, proches de sa faillite. Si bien qu’à la mort de Mao, en septembre 1976, elle n’a d’autre choix que d’inaugurer ses propres réformes économiques, en 1978. Parce que sortie exangue de sa révolution culturelle, elle n’avait pas fini de payer les contrecoups de la faillite du grand bond en avant en matière agricole, stratégie de rattrapage déclenchée par Mao en 1959, qui s’etait soldée par plus de trente millions de morts.
Tout n’est pas rose
L’entrée dans les réformes la fait disparaître des radars africains. Son retour ne s’y amorça qu’à partir de 1982, avec une visite de son premier ministre d’alors, Zhao Ziyang, venu proposer un nouveau type de coopération économique, sur le modèle, en vigueur depuis lors, du gagnant-gagnant. Très vite, la fin de la guerre froide, le décrochage subséquent des pays occidentaux du continent, et, en parallèle, l’isolement diplomatique de la Chine, consécutif aux événements de Tiananmen, en 1989, se combinent pour précipiter le rapprochement sino-africain. D’autant plus facilement que son économie, proche de la surchauffe, ayant un besoin urgent de ressources naturelles pour la lubrifier et de marchés, notamment en Afrique, pour soutenir une offensive commerciale d’une ampleur jamais vue, la Chine ne pouvait que retrouver ce continent que ses propres explorateurs, dont le célèbre armateur énuque, Zeng He, avaient labouré, pacifiquement, avant que l’Europe ne vienne, deux siècles plus tard, le coloniser.
Depuis, les relations sino-africaines sont sur une pente assourdissante. De moins de 10 millions de dollars, en 1982, leurs échanges commerciaux, les premiers avec l’Afrique, se situent à près de 300 milliards de dollars. La Chine est partout. Dans le commerce de détails. La musique africaine. Les beignets. Les vuvuzelas. Et bien sûr les grands chantiers, les routes, les chemins de fer, les mines, et aussi les bâtiments administratifs, comme ces flambants neufs parlements ou palais présidentiels, ou encore ces stades dits de l’Amitié Et les grands théâtres ou musées. Sans oublier la mise en œuvre d’une grande ambition politico-diplomatique.
S’il en est ainsi, c’est parce que la Chine a besoin des ressources naturelles, énergétiques, et du soutien diplomatique, du continent. En retour, elle se pose nolens volens en modèle alternatif de développement, l’Etat développemental, en lui redonnant des couleurs. Sans elle, qui se serait encore intéressé à une Afrique décrétée en l’an 2000 comme un «continent sans espoir», selon le jugement sans appel qui avait barré la Une du magazine The Economist.
Pourtant, il faut enjamber la célébration des chiffres, souvent mirobolants, et la beauté d’une réthorique qui proscrit la conditionnalité, sauf la clause de la seule Chine, dans ce rapport entre pays en développement, comme s’en réclame Pekin.En le faisant, force est d’admettre que tout n’est pas rose à la veille de la visite de son président en Afrique.
Candide conversion
Jusqu’ici on ne peut qu’être frappé, notamment, par le racisme, que tant de Chinois affichent envers les Africains. Ne leur parlez surtout pas: d’une moue méprisante, ils -détournent la tête. Qui n’est pas aussi déçu par le cynisme, les coups de poignards, bref le non-respect de toutes les règles que les entrepreneurs chinois adoptent, comme pour dire à leurs partenaires africains qu’ils ne sont liés par rien.
Souvent, ils invoquent la culture chinoise pour justifier ce qui n’est rien d’autre qu’une froide exploitation de leurs relations. Les piètres qualités de tant de produits chinois, la corruption massive, la collusion avec des dirigeants publics, sans éthique, les sur-facturations ou les factures tronquées pour rafler les marchés avec l’aide de “bourgeois-compradores”, et, certains le disent, l’espionnage, jusqu’au cœur de l’union africaine, sont des signes de ce malaise que le discours doux ne peut plus couvrir. Comment pourrait-on, pareillement, ne pas donner droit aux sceptiques, nombreux, qui pensent que la Chine reprendrait un modèle colonial en refusant d’apporter de la valeur sur le continent? Ils lui reprochent de se contenter de reproduire le modèle colonial ancien, autrement dit d’importer des matières premières africains pour des vétilles et ensuite fourguer à ce continent en bas de la chaîne des valeurs ses propres produits manufacturés.
On peut même se demander si ce continent qui a déjà été moulé à la démocratie multipartisane a un intérêt à larguer ses acquis en la matière pour embrasser un “modèle” vertical, stato-centré, que Pekin refuse, pour sa part, de considérer exportable.
De toute évidence, sur des bases tangibles d’une relation établie voici plusieurs siècles mais consolidée par une communauté d’intérêts, idéologiques ou économiques, le temps d’une candide conversation est venue: pour ne pas se laisser bercer par les illusions d’une réthorique enivrante. Ce ne sont pas les délocalisations de parcs industriels vers l’Afrique ni les mirobolantes promesses d’investissements portées par le projet majeur de Xi Jinping -1000 millliards de dollars- pour relancer la route de la soie et préserver son pays d’un étranglement maritime américain, qui devraient faire l’impasse sur ce reset, cette redéfinition des termes du dialogue sino-africain.
Maintenant que seul le Swaziland reste sans relations diplomatiques avec elle, la Chine n’a plus de prétexte pour ne pas accepter une conversation à cœur ouvert avec l’Afrique. Sans cela, envisager le lien sino-africain sous un prisme stratégique relève des rêves d’un impossible grand soir…
Pouvons-nous remettre le métier sur l’ouvrage ? Voilà, pourquoi le séjour africain du Président Xi Jinping mérite d’être qualifié d’historique. Bien au delà des changements au sein des pays émergents réunis dans le groupe des Brics, en conclave en Afrique du Sud, facteur explicatif de son retour dans ce pays, c’est directement avec les États africains que le Président chinois est invité à poser les actes idoines pour libérer la relation sino-africaine des pesanteurs, de plus en plus visibles, qui la gangrènent. Les peuples africains, davantage que certains dirigeants africains corrompus, en sont plus que jamais, gourmands. Ils l’exigent. En silence ! Sera-ce pris en compte par la prochaine réunion à Pekin du Forum de coopération sino-africain de septembre? Un impératif. Xi est, cette fois-ci, très attendu sur le continent. Guetté même!
*Ps: L’an dernier, The Economist à désigné Xi Jinping homme le plus puissant de la planète.