Par Youssouf El Yedaly.
Deuxième échelon de la décentralisation en Mauritanie, les Conseils Régionaux constituent l’une des principales réformes qu’ a connue le pays suite au référendum organisé en 2017.
Ainsi, les premiers conseils régionaux de l’histoire de la Mauritanie seront investis dans environ deux mois, et ce une fois connus les résultats des prochaines échéances électorales dont les campagnes démarreront d’ici une quinzaine de jours.
Les Mauritaniens auront à choisir leurs représentants aussi bien au niveau du parlement, qu’au niveau local et régional. Un exercice un peu particulier pour une population qui, malgré l’importance qu’elle accorde à ce genre de rendez-vous, continue a faire le lien entre la suppression du Sénat et la création de nouvelles collectivités territoriales qui s’ajouteront aux communes déjà en place, et dont l’efficacité est remise en cause par une partie des Mauritaniens.
Le bilan des communes est peut être mitigé, seulement l’expérience Mauritanienne en matière de décentralisation est à capitaliser. Cette décentralisation qui, depuis 1986, mettait l’accent sur le développement des communes en vue de les aider à rendre un service public local de meilleure qualité à la population à majorité rurale.
Le présent article n’a pas l’ambition de faire la lumière sur les points forts et points faibles de l’expérience Mauritanienne en matière de décentralisation, ni de développer les raisons de la création des conseils régionaux ou ceux de la suppression du Senat. Il a pour objectif de contribuer à la compréhension du rôle des futurs conseils régionaux, leur place dans l’organisation institutionnelle, le mécanisme de financement de la décentralisation et enfin leur éventuel rôle dans le développement de l’auto-emploi au niveau régional et par conséquence la lutte contre la pauvreté.
La loi créant les conseils régionaux définit leur mission par l’article 3, qui stipule que »La région a pour mission, de promouvoir le développement économique, social, culturel et scientifique dans son ressort territorial dans le respect de l’intégrité, de l’autonomie et des attributions des autres collectivités territoriales. Elle a une fonction de mise en cohérence des stratégies de développement et d’aménagement du territoire.’‘
Ils ont compétence en matière de :
Les conseils régionaux doivent remplir leur mission dans la limite de leurs compétences avec le respect strict de l’unité de la Nation et celui des compétences dévolues aux autres collectivités territoriales et services déconcentrés de l’Etat.
Si on considère que la mise en place de ces conseils régionaux n’aura pas d’incidence sur l’unité de la Nation par ailleurs garantie par d’autres textes en vigueur, elle n’en sera pas sans difficultés au regard des éventuels chevauchement de responsabilités par rapport aux autres structures déconcentrées ou décentralisées de l’Etat.
En effet, parmi les défis majeurs auxquels ces conseils feront face, c’est celui de la difficile mise en pratique de la loi sur la régionalisation dans un environnement caractérisé, jusqu’a aujourd’hui, par une certaine faiblesse des collectivités territoriales face aux autres services de l’Etat, laquelle faiblesse trouve sa raison d’être dans celle des ressources humaines et ressources financières des dites collectivités.
Malgré l’engagement important de l’Etat pour la réussite de la décentralisation et le développement de services de proximité à travers l’action des communes, celles ci sont restées presque absentes au niveau décisionnel et ont continué, dans la plupart des cas, à subir la loi des services déconcentrés qui disposent de ressources humaines plus compétentes, de ressources financières de loin plus importantes et d’une plus grande expérience dans la conduite et gestion de projets.
L’expérience de la Mauritanie en matière de décentralisation ne date pas d’aujourd’hui, et le pays dispose d’un arsenal juridique important permettant a tout un chacun de remplir sa mission pour un meilleur développement local, régional et national.
Les conseil régionaux sont appelés à être plus présents au niveau décisionnel, à faire appel à des ressources humaines compétentes et surtout à mobiliser des ressources propres stables, seul vrai levier à travers lequel ils arriveront à remplir leur mission dans le respect de la législation en vigueur.
Au même titre que les communes, les conseils régionaux seront soumis à la tutelle du représentant de l’Etat au niveau de la région, leurs actes seront soumis à un contrôle de la légalité et auront l’obligation et l’intérêt de collaborer étroitement avec l’ensemble des structures déconcentrées de l’Etat.
Le fonds régional de développement constitue le transfert le plus important effectué sur le budget de l’Etat en direction des collectivités territoriales. Il a connu une importante évolution en terme de montant et mode de gestion. Il s’élève aujourd’hui à 350 Millions de MRU (3,5 milliards de MRO). A côté de ce fonds, l’Etat Mauritanien investit annuellement environ 400 Millions de MRU (4 milliards de MRO) dans la gestion des déchets municipaux, et participe annuellement à hauteur de 250 Millions de MRU (2,5 Milliards de MRO) dans le financement du programme PNIDDLE sur une période de 5 ans. Ainsi, un milliards de MRU (10 milliards de MRO), sur un budget d’environ 44 Milliards de MRU, est alloué annuellement et de façon direct au financement de la décentralisation.
A cela s’ajouteraient les fonds dédiés aux différents départements ministériels et agences de lutte contre la pauvreté pour les opérations réalisées au niveau régional et local, et qui sont de nature à favoriser le développement durable. On rappelle a ce niveau que, malgré le fait que les centres de santés et écoles primaires, à titre d’exemple, dont la gestion relève des compétences des communes, ces infrastructures de base continuent à être construits et gérés par les autres départements techniques et agences de lutte contre la pauvreté.
Les conseils régionaux risqueraient de se confronter à ce genre de difficultés, s’ils ne mettent pas rapidement en place les moyens humains nécessaires pour garantir le bon fonctionnement de leurs structures techniques. Cependant, les moyens humains ne sont pas suffisants à eux seuls, c’est pourquoi la loi sur la région par son article 55, définit les ressources de fonctionnement de la région : »Les recettes de fonctionnement de la Région proviennent des dotations de fonctionnement accordées par la loi des finances, et des redevances du domaine, des produits de l’exploitation de son patrimoine et des redevances pour services rendus ».
A ce niveau, il conviendrait de rappeler que la fiscalité locale gérée par ou pour le compte des communes est jugée peu rentable. Ainsi, sans le concourt de l’Etat via le FRD ou toute autre subvention, la plupart des communes n’arriveraient pas à satisfaire leurs engagements en terme de fonctionnement. Le niveau de mobilisation de ressources propres est resté faible, et ce malgré les multiples actions de renforcement de capacités réalisées à travers l’appui de la part de l’Etat et des partenaires techniques et financiers tels que la GIZ, l’AFD, le PNUD, la Banque Mondiale pour ne citer que ceux ci.
Ainsi, il est suggéré de procéder dans les plus brefs délais à une reforme de la fiscalité locale par l’introduction d’une fiscalité régionale permettant aux deux collectivités territoriales de disposer de ressources propres plus importantes et de niveau garantissant une certaine autonomie financière.
L’introduction du nouvel échelon de la décentralisation est de nature à promouvoir un développement économique local et de favoriser la création d’emplois durables. La aussi, les leçons devront être tirées des différentes expériences connues avec les communes en matière de création d’emplois.
Les communes n’ont, jusqu’a présent, pas réussi à créer des emplois au niveau local et ce malgré l’existence de ressources compétentes dans le domaine, et le besoin des mairies en matière de ressources. Ce manque de réussite est la résultante de plusieurs facteurs dont la rareté des ressources de fonctionnement au niveau des communes, le non engagement des partenaire au développement dans la prise en charge des coûts de fonctionnement liés au personnel, mais surtout le caractère non permanant des emplois crées au sein des communes du fait qu’ils sont étroitement liés aux élus dont le mandat est limité à 5 ans.
Les emplois temporaires créés suite aux activités et projets réalisés au niveau des communes restent de courtes durées et prennent fin généralement avec la clôture des projets ou réception d’infrastructures.
La solution idéale a cette situation est l’auto – emploi des jeunes. La création de petites et moyennes entreprises constitue une solution à cette équation à multiples inconnus qu’est l’emploi durable des jeunes.
Les régions auront un rôle historique à jouer dans ce domaine, et ce à travers l’encouragement d’initiatives privées émanant de jeunes désirant s’aventurier dans le domaine de l’entrepreneuriat.
Il est possible pour les régions de proposer la création d’un régime fiscal simplifié au bénéfice des jeunes entrepreneurs au niveau régional. Ce régime simplifié pourra bénéficier à toutes les parties concernées par le développement économique à travers la petite entreprise ;
La région tirera des bénéfices à travers la création d’une fiscalité rentable basée sur la création de la richesse et s’éviter ainsi de se retrouver avec des redevances et taxes peu rentables et dont le recouvrement est quasi impossible vu la nature des sanctions à mettre en place.
Les jeunes entrepreneurs bénéficieront d’exonérations fiscales sur certaines rubriques de la fiscalité de l’entreprise Mauritanienne et seront en mesure de créer des emplois durables, avec l’obligation pour eux de s’enregistrer et d’appliquer les règles de transparence en matière de comptabilité et d’informations financières.
Le régime fiscal simplifié au bénéfice des jeunes entrepreneurs permettant à la région de promouvoir un développement économique durable, et fera son chemin sur la démarche d’entreprendre à zéro Franc testée dans quelques pays de la sous région et soutenue par plusieurs partenaires au développement dont notamment la Banque Africaine de Développement.
La petite et moyenne entreprise pourra jouer un rôle économique important et historique au niveau régional, local et rural. La petite entreprise permettra au système monétaire d’être plus efficace, aux banques présentes au niveau régional de contribuer au financement du développement du pays et à la lutte contre la pauvreté.
Il est fortement conseillé d’encourager les jeunes entrepreneurs a investir à l’intérieur du pays et ce à travers des avantages fiscaux importants. S’inspirer du régime particulier de la zone franche de Nouadhibou, du régime fiscal simplifié appliqué aux sociétés pétrolières ainsi que celui des entreprises étrangères non résidentes en Mauritanie.
En guise de conclusion, on peut dire que la création des régions en Mauritanie est une action à saluer et à soutenir. Cependant, il est nécessaire de capitaliser l’expérience des communes en ce qui concerne la mise à disposition de moyens humains compétents, de mise en place d’une fiscalité régionale basée sur la création de la richesse et d’encourager l’auto emploi à travers l’adoption d’un régime fiscal simplifié au bénéfice des jeunes entrepreneurs.
Des collectivités territoriales fortes, dotées de ressources financières stables et disposant de moyens humains à la hauteur, garantiront l’atteinte des objectifs de développement visés par le Gouvernement à travers la politique de décentralisation des services de proximité de base.