« La réussite du PND dépend de la réussite de ses projets structurants »
Admis depuis quelques mois à la présidence togolaise où il officie en qualité de conseiller de Faure Gnassingbé, Kanka-Malik Natchaba prend la parole. Fort actif dans la délégation officielle qui s’était rendue en Chine début septembre, l’ex-directeur général de la Société aéroportuaire de Lomé parle du Business Forum que le Togo a organisé à Hangzhou, et le Plan national de développement adopté il y a quelques semaines par le conseil des ministres. Exclusif !
Le Togo vient de tenir à Hangzhou, un premier business forum avec la Chine. Quels ont été les objectifs que vous vous êtes assignés en organisant cet évènement ?
Le Togo a organisé un business-forum en continuité du sommet Chine-Afrique et l’objectif général est de capitaliser sur la présence des plus hautes autorités togolaises en terre chinoise pour tirer le meilleur parti des annonces qui ont été faites par le président chinois dans le cadre de ce sommet. Il a effectivement eu à annoncer huit initiatives qui permettraient de consacrer 60 milliards de dollars à l’Afrique en matière d’investissements, de dons, et de prêts pendant les trois prochaines années. Les 60 milliards de dollars sont alloués à toute l’Afrique, mais il revient à chaque pays, par sa mobilisation et par son dynamisme, de pouvoir en bénéficier. Ce forum a donc été organisé dans l’idée de capitaliser sur ces annonces et permettre au Togo de se positionner efficacement de façon diligente.
De manière spécifique, le Business Forum avait trois objectifs. Le premier est de positionner le Togo et son nouveau plan national de développement (PND) vis-à-vis des investisseurs chinois. A cet égard, ce fut une réussite dans la mesure où on a eu une bonne mobilisation du secteur privé chinois. Ensuite il s’agissait de nouer et de concrétiser un partenariat stratégique avec la province de Zhejiang qui représente le 4e PIB provincial de la Chine. Notre avis est que cette province est suffisamment développée pour appuyer et accompagner le développement du Togo dans la mise en œuvre du PND. Le troisième objectif était la mise en place d’un partenariat stratégique avec un acteur institutionnel chinois dans le domaine du financement des projets FOCAC ; le China African Development Fund.
Ces trois objectifs spécifiques ont été atteints grâce au travail de fonds que les togolais ont mené dans la phase préparatoire : que ce soit les ministères, le secteur privé qui s’est fortement impliqué tant lors de la préparation que du forum, la Cellule climat des affaires, la Cellule de promotion des Investissements, Togo Invest, la Cellule Présidentielle d’Exécution et de Suivi sans oublier les experts et conseillers auprès du chef de l’Etat. Cette synergie d’action a facilité l’atteinte de nos résultats.
La mobilisation a-t-elle vraiment été au rendez-vous de la part des opérateurs privés chinois ?
Notre stratégie a été le ciblage et la focalisation. Pour nos cinq projets prioritaires, nous avons pré identifié les entreprises qui pourraient être intéressées et leur avons adressé des invitations au Business Forum. Toutes les entreprises que nous avons approchées étaient présentes. Nous pouvons donc dire que la mobilisation a été effective. La première étape, est de présenter le pays puis énoncer les opportunités et avantages comparatifs du Togo. Pour que le Business Forum soit une réussite, il nous revient de poursuivre nos actions avec ces entreprises pour concrétiser leur engagement vis-à-vis du Togo.
Nous comptons désormais sur ces contacts établis pour amener ces investisseurs à venir au Togo étudier de manière concrète nos propositions afin de réaliser les investissements attendus. Ces visites devraient se faire sous peu, nous l’espérons.
Le Plan national de développement que vous évoquez a été précédé d’un plan quinquennal, qui est la Stratégie de croissance accélérée et de promotion de l’emploi (SCAPE). Quel bilan peut-on faire de ce cadre de référence ?
De façon générale, la mise en œuvre de la Scape a permis, selon les dernières enquêtes, de réduire la pauvreté de trois points. Dans les enquêtes Quibb de 2015, notamment sur la plupart des indicateurs, le Togo a pu progresser et il est manifeste que la mise en œuvre de la Scape, si elle a été une réussite sur un certain nombre de sujets, nécessite que nous changeons de paradigme pour accélérer la croissance et la création de la richesse.
Notre enjeu et notre objectif par rapport à la population jeune que nous avons, sont de créer des emplois pour réduire la pauvreté. D’où le changement de paradigme que le chef de l’Etat a impulsé avec le PND en se disant qu’il faut se focaliser sur quelques axes stratégiques en l’occurrence : l’axe I le développement logistique et du centre d’affaire, l’axe II le développement de l’industrialisation agricole et manufacturière, et l’axe III le renforcement des mécanismes d’inclusion.
Ces axes stratégiques sont les axes au travers desquels nous allons adresser les différentes problématiques que ce soit la réduction de la pauvreté, ou la création d’emplois. Des progrès ont été faits avec la SCAPE mais des efforts restent à faire comme le Chef de l’Etat l’a affirmé lors de son discours d’ouverture du business forum, en invitant le secteur privé chinois à venir ajouter de la valeur au socle économique existant. Il s’agit, par exemple de mieux valoriser les infrastructures de transport, mieuxcapitalisersur nos capacités agricoles notamment au travers de la mécanisation. Tous ces éléments sont issus de la vision du président de la République qui a su orienter l’ensemble de l’appareil administratif et technique de l’Etat désormais vers une vision non plus sectorielle, mais une vision intégrée à travers des projets structurants.
Ce qui permettra la réussite du PND, c’est la réussite de ses projets structurants.
Dans son discours d’ouverture au Business Forum, le président Faure Gnassingbé a invité les investisseurs chinois à s’intéresser au Togo. Quels sont les atouts que votre pays offre en ce sens par rapport aux autres Etats de la région ?
Je pense qu’il y a un atout indéniable, évoqué d’ailleurs par la plupart des intervenants, que ce soit le professeur Carlos Lopes, ou Monsieur Shi, le président de la CAD Fund : c’est la cohérence de la vision. Il faut un leadership politique, éclairé, pour pouvoir donner une vision aussi cohérente. Et ça, c’est quelque chose de déterminant. Le professeur Carlos Lopes nous a fait l’honneur de dire que c’était l’un des meilleurs plans nationaux de développement qu’il ait vu. En considérant sa grande expérience et les fonctions qu’il a eu à occuper, ce commentaire en dit long sur la qualité de la vision.
En complément de cette vision, il y a la cohérence technique ; la cohérence dans les axes de développement et la déclinaison de cette vision en projets concrets et structurants. C’est un atout pour le Togo d’avoir une vision claire accompagnée d’actions. Ceux-ci ont démarré depuis un certain temps, notamment pour améliorer les investissements. Nous sommes conscients qu’aujourd’hui, le secteur privé sera le moteur de la croissance économique et de la transformation structurelle de l’économie togolaise. En cela, on peut citer les différentes réformes sur le climat des affaires, notamment la création des entreprises qui est beaucoup plus facile dans notre pays depuis un certain temps, le raccordement à l’électricité qui est un facteur de production souvent rédhibitoire pour les entreprises, l’acquisition du foncier avec l’adoption récente du code foncier, la protection des investisseurs avec les garanties qu’offrent les tribunaux, que ce soit les tribunaux commerciaux, ou la cour d’arbitrage. Donc, le Togo offre en matière de sécurité et de cadre réglementaire, des avantages.
Et naturellement, il y a d’autres avantages comparatifs qui s’ajoutent à cela. Il s’agit la position stratégique du Togo dans le golfe de Guinée qui n’est pas une position particulière, mais unique. Aucun pays n’a les avantages que le Togo a vis-à-vis de son port en eau profonde. Un autre avantage, c’est l’histoire du Togo qui fait qu’il a toujours eu cette culture de terre de transit ou de connexion entre les pays de l’hinterland qui n’ont pas accès à la mer, et les produits commerciaux. Le Togo a toujours eu ce positionnement. En termes de commerce dans la région ouest-africaine, il faut noter que le Togo est une terre de commerce, et donc un pays d’ouverture qui permet à tout investisseur de se rapprocher d’un marché de 300 millions d’habitants. Il aura les avantages du marché, sans avoir les inconvénients de l’appareil administratif. Nous pensons offrir une agilité administrative et technique qui permet justement de faire en sorte que ceux qui viennent s’installer ici, aient des avantages en termes de souplesse. Ils se rapprochent du marché ouest-africain, c’est vrai, mais aussi des marchés américain, chinois ou européen. Le port de Lomé est l’un des ports les plus connectés à ces régions, sans parler des mesures dont le Togo est bénéficiaire comme le visa textile dans le cadre de l’Agoa et l’acte qui permet d’exporter librement vers l’Union européenne.
Enfin, il y a également des avantages sur lesquels il n’y a pas eu besoin de discuter. China Merchants et BBOX qui sont déjà au Togo ont eu à le dire lors du Business Forum ; les uns et les autres l’ont confirmé : il s’agit de la qualité de la ressource humaine et de la vie au Togo en termes de sécurité et de stabilité. Il ne faut pas oublier le cadre financier qui offre une palette d’établissements financiers avec lesquels on peut travailler.
Vision Togo 2030, où en êtes-vous ?
Fondamentalement aujourd’hui, nous nous focalisons sur le PND, qui nous parait plus orienté vers nos objectifs immédiats et l’urgence que nous avons à répondre aux besoins de la population. Le long terme oui, mais l’exécution stratégique d’abord.
Vous coordonnez une cellule mise en place par le chef de l’Etat chargé de l’exécution et du suivi de projets prioritaires. Quels sont, aujourd’hui, les projets prioritaires du Togo, et quels sont leurs niveaux d’exécution ?
En effet. J’ai l’honneur d’avoir été désigné pour animer cette équipe en charge de l’exécution et du suivi des projets prioritaires. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il s’agit d’un travail d’équipe qui a la chance de bénéficier d’une très grande attention des plus hautes autorités qui s’impliquent au quotidien pour nous faciliter les actions.
Il faut d’abord comprendre l’esprit de la cellule qui est de permettre de réduire les goulots d’étranglement pour la mise en œuvre des projets. Le rôle de la Cellule est essentiellement d’accompagner et d’appuyer les institutions de l’Etat, des institutions publiques, mais aussi certaines institutions privées dans le cadre de la mise en œuvre de projets que le Chef de l’Etat aura identifié ou souhaiterait suivre plus particulièrement. ceci sur la base de comptes rendus réguliers que nous sommes amenés à faire pour permettre la visibilité de ces projets et faciliter le règlement d’un certain nombre de difficultés auxquels les projets sont confrontés. Pour qui connait la vie administrative et économique, il y a des difficultés qui surgissent parfois sans qu’on ne puisse nécessairement les anticiper.
Pour revenir à votre question, je ne vais peut-être pas lister tous les projets que nous suivons, mais globalement nous avons des projets qui sont plutôt alignés sur le PND et la cellule elle-même a été très impliquée dans ce plan parce que c’est le document cadre duquel nous nous inspirons. Nous avons des projets dans le domaine agricole ; par exemple, le projet d’agropole de Kara qui est dans sa phase préparatoire avec des accords de financement déjà obtenus. Il est chiffré autour de 60 milliards de FCFA et devrait achever cette phase préparatoire dans quelques mois. Une agence est mise en place par le gouvernement qui est en train de procéder aux différents recrutements des opérationnels qui vont contribuer au développement de l’agropole. Il faut savoir que la cellule n’est pas forcément celle qui agit directement dans le cadre de la mise en œuvre de ces travaux, mais fait plutôt un suivi et apporte un appui, quand c’est nécessaire, aux différents acteurs. C’est important de montrer qu’il s’agit avant tout de projets qui ont un impact sur les populations.
Le deuxième projet que je peux mettre en exergue, toujours dans le domaine agricole, c’est celui du développement de la plaine de Djagblé qui a été lancé cette année par le chef de l’Etat et que nous suivons. Ce projet aujourd’hui est en phase de mise en œuvre avec la réception de deux bâtiments scolaires pour le CEG de la zone, construit dans le cadre de ce projet. Il y a aussi le projet Mifa sur lequel nous sommes intervenus et nous continuons à intervenir en termes de suivi.
Dans le secteur de la santé, nous suivons le projet que nous appelons Muscoka, relatif à la santé maternelle et néonatale. Il est financé par l’AFD et mis en œuvre par le ministère de la santé. Le projet vise la reconstruction et la réhabilitation d’une dizaine de maternités dans la région maritime, et une douzaine dans la région des plateaux. Là aussi, c’est des petits projets dans des villes ou villages, mais ils sont importants pour le Président de la République de faire en sorte que ces problèmes quotidiens en termes de santé puissent être réglés. A côté, nous avons des projets dans le domaine des services comme le projet d’identification biométrique qui va être lancé par le gouvernement, et que nous accompagnons et suivons.
Dans l’industrialisation, nous avons un projet de parc industriel qui, cette fois-ci, est géré directement par la cellule qui le suit en même temps. Un terrain a été identifié à cet effet à Adétikopé. Des études sont réalisées en partie de même que la recherche de financement. Les travaux devraient pouvoir démarrer bientôt.
Interview réalisée par Nephthali Messanh Ledy