De notre envoyé spécial à Erevan, Antoine Lawson
Le ballet des chefs d’État qui a débuté jeudi à Erevan où se tient le 17e sommet de la Francophonie, les 11 et 12 octobre 2018, devrait s’achever ce vendredi par l’élection, par consensus, de Louise Mushikiwabo soutenue par la France au détriment de la Canadienne Michaëlle Jean. Les 54 membres de plein droit devraient, en effet, désigner la Rwandaise secrétaire générale de l’organisation pour les quatre prochaines années.
Dans les coulisses du Sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et des assises de l’Union de la presse francophone (UPF), les avis sont partagés, et l’on spécule encore sur le départ de la Canadienne Michaëlle Jean, désignée secrétaire générale de la Francophonie le 30 novembre 2014 à Dakar, devenant ainsi la première femme nommée à ce poste. C’est le même consensus, ou presque, qui devrait sortir du sommet d’Erevan pour désigner «la protégée de Kagamé» pour conduire l’Organisation.
Au départ de Paris avec une longue escale à Moscou, à bord de l’un des appareils ayant transporté la presse dans la capitale arménienne, les discussions étaient passionnées, voire tendues entre les journalistes en provenance de la Caraïbe, et fervents supporters de Michaëlle Jean, et leurs confrères français et africains… mais en toute courtoisie.
Ce sommet, c’est aussi l’occasion des retrouvailles entre les chefs d’Etat et de gouvernements ayant en partage le Français. C’est après tout un grand rendez-vous, un moment fort avec pour principal enjeu, l’élection d’une secrétaire générale de l’organisation.
Jeudi, juste après le traditionnel protocole de bienvenue réservé aux chefs d’Etat, Michaëlle Jean a déclaré qu’« une organisation qui ruse avec les valeurs et les principes est déjà une organisation moribonde», dans une attaque à peine voilée. Et sachant lâchée…. par le Canada, notamment. Le vin était tiré et l’assistance a tout de même applaudi.
«Le bilan de mon mandat est aussi votre bilan», a-t-elle souligné. La suite de ses propos fut critique, notamment sur le thème du non-respect de la démocratie et de la gouvernance, de la montée des replis nationalistes et des inégalités.
« Sommes-nous prêts à affronter les grands enjeux ? (…) De quel côté de l’histoire voulons-nous être ?», s’est-elle interrogée. Des propos presque sibyllins, suivis d’une dure critique de la real politik et des «petits arrangements entre Etats».
La polyglotte a évoqué les prémices de la Francophonie sur les ruines de la colonisation. Elle évoque le passage d’une langue de domination à une langue de partage. Et d’insister sur la dignité des peuples. «Nous sommes chaque jour debout et à pied d’œuvre, tout sauf fatigué», avant de citer Léopold Sédar Senghor, père fondateur de l’OIF.
La Canadienne n’a pas omis d’adresser quelques mots aux victimes du génocide arménien et à la diaspora, qui a donné à l’Arménie la «dimension du monde». « Aujourd’hui, c’est le monde qui vient à vous », lance-t-elle, au nom des peuples de la Francophonie.
Il a été noté la présence du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, qui a salué, à la tribune, le travail effectué par la secrétaire générale sortante. Il assure ses pairs de l’adhésion totale de son peuple aux valeurs universelles de démocratie et d’État de droit.
Comme un air de campagne, plusieurs femmes francophones du monde entier se sont, tour à tour, exprimées sur le podium pour évoquer un combat chère à Michaëlle Jean : l’égalité des genres et le droit des femmes.
Le président libanais Michel Aoun a partagé avec l’assistance la situation politique et communautaire particulière de son pays, avec un pouvoir partagé entre chrétiens, sunnites et chiites. Et d’inviter les générations à protéger la richesse linguistique du monde à l’heure des réseaux sociaux.
Seul le chef de l’État nigérien Mahamadou Issoufou s’est arrêté longuement sur l’environnement. « Nous devons gérer notre planète avec responsabilité », plaide-t-il, insistant sur le respect nécessaire des accords de Paris sur le climat. Un plaidoyer vibrant.
Après avoir évoqué l’engagement du Canada aux côtés de ses partenaires africains, et notamment le Mali, par exemple en faveur des droits des femmes, le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a rendu un hommage fort à Michaëlle Jean pour son travail remarquable, et notamment sa défense ardente de la cause des femmes.
« Si les Francophones ne sont pas d’accord sur tout, ils ont développé dans leur espace dédié la culture du consensus », a poursuivi le Premier ministre canadien. Une référence au débat de ces derniers temps autour de la désignation de la secrétaire générale de l’organisation.
Enfin, pour Emmanuel Macron, le français doit être une langue de combat contre l’obscurantisme et pour le destin commun des Francophones. Il rappelle que si l’anglais est une langue d’usage, de consommation, le français a un petit quelque chose de plus. Il s’agit, selon lui d’une «langue de création».
le chef de l’Etat français a également plaidé pour la création d’un congrès des écrivains français, rappelant que cela n’a jamais existé en 50 ans. Avant de proposer de lancer un chantier pour une révision de la Charte de l’OIF pour l’adapter aux nouveaux enjeux du monde actuel.
Difficile en pareille circonstances de ne pas rendre hommage à Charles Aznavour dont la musique est distillée dans les halls de la plupart des hôtels en Arménie. Le chef du gouvernement arménien Nikol Pachinian s’est exprimé en français et fait part de son émotion. Il rend hommage à Charles Aznavour, lien éternel entre la France et l’Arménie.
La soirée du jeudi 11 octobre a été ponctuée par un grand concert à Erevan auquel ont pris part des chefs d’Etat et la plupart des journalistes accrédités au Sommet de la Francophonie, non sans oublier ceux présents aux 47èmes assises internationales de la presse francophone réunie pendant trois jours à Tsaghkadzor, ville située à une soixantaine de kilomètres de Erevan, autour du thème « Medias et Migrations ». En attendant la désignation officielle de la nouvelle secrétaire générale de la Francophonie.