Un mois avant son enlèvement à Dar es Salam, jeudi 11 octobre par des inconnus cagoulés, le plus jeune milliardaire africain s’était confié à Financial Afrik (Voir FA du 15 septembre au 14 octobre) sur son parcours et ses perspectives.
Propos recueillis par Szymon Jagiello, correspondant aux affaires européennes de Financial Afrik.
Pourriez-vous nous dire brièvement la manière dont s’est développée votre société depuis que vous l’avez rejointe en 1999 pour devenir cette société qui pèse aujourd’hui 1,5 milliards de dollars?
Mohammed Dewji : C’est sous l’insistance de mon père, lequel dirigeait un commerce spécialisé dans l’import/export de matières premières et dont le revenu tournait approximativement autour de 29 millions de dollars, que je suis revenu en Tanzanie pour me consacrer au développement de la société familiale. Tout en grimpant dans la hiérarchie de celle-ci, j’ai contribué notamment à ce que l’entreprise élargisse sa gamme de produits distribués, à plus d’une centaine aujourd’hui.
En résumé donc, nous avons développé notre maison denégoce en une manufacture qui atteint le chiffre d’affaires mentionné dans votre question et qui est propriétaire de plus de 31 industries actives dans le textile, l’agro-alimentaire, etc. Toutefois, ce qui me rend particulièrement fier, c’est qu’au fil du temps nous sommes devenus le premier employeur privé du pays avec 28.000 travailleurs sur un continent où l’accès au travail demeure l’un des thèmes les plus importants.
Qu’est ce qui a motivé votre volonté de vous tourner vers la manufacture au lieu de continuer à vous concentrer sur l’import/export des matières premières ?
M.D : L’une des principales causes qui m’a motivé à faire évoluer la société familiale vers d’autres activités résidait dans les marges de plus en plus petites que nous allions faire dans les années à venir à cause de la présence accrue de plus grands acteurs, comme Cargill, qui se font des marges bénéficiaires plus grandes sur le dos d’acteurs de moindre ampleur. Pourquoi avoir décidé de me lancer dans la manufacture? Pour la simple raison que les Etats d’Afrique de l’Est avaient décidé à la fin des années 90 d’instaurer, par exemple, des taxes sur les bienssemi-finis et finis à hauteur de 10% et 25% respectivement. Des mesures donc qui m’ont incité à me lancer dans la fabrication de produits.
Saviez-vous directement quels biens alliez–vous confectionner ?
M.D. : C’était cela la question à un million de dollars à l’époque! Toutefois, nous sommes partis d’un constat simple. Le revenu par tête d’habitants à la fin des années 90 s’élevait en moyenne à 50 dollars par mois en Tanzanie. La majorité des dépenses se concentraient sur les denrées alimentaires. Donc, nous nous sommes rapidement tournés vers la production de produits tels que le sel voire le sucre avec pour objectif de proposer bien de très bonnes qualités à des prix concurrentiels. Avec le temps qui a vu le revenu moyen par habitantsaugmenté à 85 dollars aujourd’hui, nous avons diversifié notre production pour fabriquer des biens tels que des produits détergents. En somme, nous avons su nous adapter à l’évolution des demandes du consommateur en proposant constamment des produits de bonne qualité à bas coût et nous sommes à l’heure actuelle en concurrence directe avec des grandes sociétés telles que Pepsi, Coca-Cola voire Proctor and Gamble. Plus encore, nous avons même réussi à dépasser ces marques dans certains produits, comme les savons.
Comment?
M.D : Les sociétés internationales mentionnées misent beaucoup sur des éléments, comme le marketing, qui rend leurs coûts d’opérations plus élevés. A contrario, nous avons parié sur le volume et des coûts d’opérations plus petits, ce qui de facto nous donne la possibilité de vendre nos produits moins chers.
Vous venez de parler de marketing. Il semble que la marque « MO » a joué un rôle prépondérant dans le succès de votre entreprise.Pourquoi?
M.D. : A l’époque où nous nous sommes penchés sur notre stratégie marketing, nous fabriquions plus de 250 produits différents impliquant 250 marques distinctes. Plutôt que de dépenser des millions de dollars dans la promotion d’un produit donné à chaque fois, nous avons décidé d’opter pour une stratégie de consolidation par l’extension d’un mot associé au produit. Assez rapidement, nous avons trouvé un consensus autour de deux éléments. Premièrement, il ne devait pas être trop long car plus le mot est long, plus compliqué est de le prononcer pour les africains. Deuxièmement, il ne devait pas obligatoirement pas faire référence ou avoir une signification en lien avec nos produits de grande consommation.
Par exemple, si vous prenez Nike, le nom ne signifie pas chaussure. Après une longue réflexion, nous sommes venus avec l’idée de développer la marque « MO », qui était le surnom que l’on me donnait lorsque j’étais étudiant aux Etats-Unis. Du jour au lendemain, nos produits sont donc devenus des « MO-Cola », des « MO-Dent, » et ainsi de suite. Ceci nous a permis d’épargner de l’argent pour l’investir dans le développement de la société et d’associer les consommateurs, non plus avec un produit, mais avec notre groupe.
Il semble donc la stratégie marketing adoptée ainsi que la possibilité de proposer des produits de bonne qualité à bas coûts sont parmi les éléments qui ont grandement contribué à la réussite de votre entreprise. Y en a-t-il d’autres?
M.D. : Certainement le facteur logistique et notre réseau de distribution fait partie des composantes importantes. Notre flotte de 2000 véhicules, par exemple, nous permet d’accéder vers des marchés locaux et des points ruraux éloignés où peu de concurrents sont présents.
La vie d’un entrepreneur est composée de succès, mais aussi d’échecs. Quels ont été vos plus gros revers à ce jour ?
M.D. : Je ne dirais pas que j’ai connu des échecs notables car, Dieu merci, mon entreprise s’est bien développée quand je regarde l’évolution de cette dernière. Par contre, j’ai le sentiment d’avoir raté deux grandes opportunités dans ma carrière d’entrepreneur. La première est liée à l’industrie des télécoms. Si j’avais investi dans les licences des télécoms, je suis convaincu que j’aurais pu devenir un « Vodacom » en Tanzanie voire un « Safaricom » au Kenya.
Quel facteur a influencé votre décision de ne pas investir dans ce secteur ?
M.D. : Je ne pensais pas que le pouvoir d’achat des gens évoluerait d’une telle manière qui leur permettraient d’allouer si rapidement une partie de leur revenu à l’achat d’un téléphone portable, de passer des appels, etc. Au vu du nombre de portables qu’il y a sur le continent, on peut dire que j’ai raté une grande occasion.
Vous avez parlé d’une deuxième opportunité manquée. Quelle est-elle ?
M.D. : Elle porte sur les services financiers. Un secteur aujourd’hui en pleine transformation et en plein boom, notamment lorsqu’il s’agit des banques. De plus, l’acquisition d’une institution financière aurait été une synergie profitable à ma compagnie.
Lorsque vous analysez vos expériences et votre parcours, quels sont les facteurs qui contribuent à la réussite dans les affaires et quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes désireux d’embrasser la voie de l’entreprenariat ?
M.D. : La route qui mène au succès n’est certainement pas une tâche aisée. Si vous me permettez une métaphore, devenir un entrepreneur performant n’est point un processus où l’on prend un ascenseur ou un escalator dans lequel on monte aisément vers le succès. Il s’agit plutôt d’un long escalier où il faut poser son pied sur chaque marche pour se diriger pas à pas vers le haut. Cela requiert beaucoup de vigilance, des efforts constants, une grande dose d’éthique et énormément de discipline. Par-dessus tout et face aux concurrents, la crédibilité est le facteur déterminant. En résumé donc, si un jeune désireux de se lancer dans les affaires se concentre sur ces points et qu’il garde dans l’esprit que le succès ne vient pas rapidement car c’est un long parcours, peu de choses sont susceptibles de l’arrêter.
Prenons le cas d’un jeune qui emploie votre recette et connait le succès. Comment faire pérenniser son entreprise ?
M.D. : Le développement d’une société ne se fait pas tout seul. Celle-ciévolue aussi grâce aux personnes qui y travaillent. Il est primordial donc de créer un environnement au sein duquel les employés développent un sentiment d’appartenance à l’entreprise. Ils doivent pouvoir s’identifier à la compagnie pour laquelle ils travaillent. Cette adhésion des collaborateurs est l’un des éléments clés dans l’évolution de la société de l’entrepreneur car ils auront une tendance plus aisée à adopter la culture, les valeurs et les codes de sa compagnie. Dans un tel contexte, ils trouveront un sens à leurs agissements professionnels, ce qui aura pour effet d’augmenter leurs performances qui ne peuvent être que bénéfiques pour la pérennité d’une société. Toutefois, la création d’un tel climat demeure un objectif des plus difficiles à atteindre.
Depuis quelques années, il semble que le volet philanthropique prend une place de plus en plus marqué dans vos activités. Pensez-vous suivre les pas de Bill Gates, lequel s’est retiré des affaires avecMicrosoft pour se consacrer entièrement aux œuvres caritatives?
M.D. : Je pense que lorsqu’un homme d’affaires atteint un certain seuil de richesse, il est un principe éthique qu’il doit adopter, lequel peut se résumer en ces mots : « au lieu de chercher constamment à élever son niveau de vie, il y a un moment où il doit s’évertuer à augmenter son niveau de générosité.» Qu’on le veuille ou non, nous serons tous amenés un jour à nous retrouver devant Dieu et nous devrons rendre des comptes sur les l’impact que nous avons laissé dernier nous. Donc oui, il est très probable que dans quelques années, je me retirerai entièrement des affaires pour me focaliser à aider mes semblables.
En parlant de vos activités philanthropiques avant le début de l’interview, vous m’avez mentionné qu’il est plus épineux de gérer une fondation comparativement à une entreprise. Pourquoi?
M.D. : C’est vrai. Dans les affaires, la règle parait simple car elle consiste à faire de l’argent. Peu importe la stratégie ou les actions qu’on adopte, le principe reste toujours le même : avoir un retour sur investissement, que cela soit à court, moyen voire à long terme. En philanthropie par contre, les sujets apparaissent infiniment plus complexes. Chaque domaine où des problèmes humanitaires subsistent, qu’il soit dans l’éducation ou un manque d’accès aux soins de santé, requiert des besoins différents et des méthodes d’interventions distincts. De ce fait, il semble très compliqué de s’assurer une optimisation de l’investissement. Dans ce contexte, il faut consacrer beaucoup de temps afin d’étudier astucieusement pour qye chaque dollar donné résulte sur un impact recherché, non pas pour soi mais pour le bien collectif.
Quelques chiffres sur le MeTL Group