Par Mamadou Biteye et Vera Songwe
L’Afrique connait une croissance mais pas assez rapide. Afin de sortir plus de 400 millions d’Africains de la pauvreté, les 54 pays africains devront augmenter leur croissance économique en moyenne de 7% par an ou plus. Le commerce est un moteur puissant de la croissance. Mais en matière de commerce, l’Afrique est la région, la moins intégrée au monde, alors que les exportations intra-africaines représentent 18% du total des exportations en 2016.
Récemment, d’énormes progrès ont été accomplis.
En mars, les dirigeants africains ont fait un grand pas en avant lorsque 44 des 54 pays africains ont signé la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), l’accord commercial le plus important, signé depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La ZLECA rassemble 1,3 milliard de personnes et un Produit intérieur brut (PIB) combiné de plus de 2 000 milliards de dollars. S’il est ratifié par chaque pays, il deviendra l’un des plus grands blocs commerciaux du monde.
La ZLECA engage les pays à supprimer les droits de douane sur 90% des biens, à libéraliser progressivement le commerce des services et à éliminer les nombreux autres obstacles non tarifaires, tels que les longs retards aux frontières nationales qui entravent le commerce entre les pays africains. À terme, la libre circulation des personnes et un marché unique du transport aérien africain pourraient se développer dans la nouvelle zone de libre-échange.
Une telle libéralisation devrait donner un fort élan au commerce intra-africain. Une modélisation récente de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) prévoit que la valeur du commerce intra-africain se situera entre 15% et 25% de plus en 2040 avec la mise en place de la ZLECA. L’analyse montre également que les pays les moins avancés devraient connaître une plus forte croissance en matière de commerce intra-africain de produits industriels – jusqu’à 35% de plus en 2040, contre seulement 19% pour les pays africains en développement.
Cependant, avant tout autre chose, l’Afrique doit s’engager dans un plus vaste effort politique visant à bâtir un consensus depuis la formation de l’Union africaine en 2002. Ceux qui cherchent à obtenir un soutien pour l’accord ont la lourde tâche de démontrer comment la ZLECA tirera parti de divers marchés individuels au profit de plusieurs secteurs. L’agriculture en est un exemple.
En matière d’agriculture, le commerce agricole intra-africain est particulièrement sous-exploité en raison des droits de douane élevés sur les importations, d’autres obstacles non tarifaires (tels que les normes de santé et de sécurité), de la faible productivité et du manque de connectivité rurale. En 2015, les pays africains ont dépensé environ 63 milliards de dollars américains en importations de produits alimentaires, provenant en grande partie de l’extérieur du continent. Les projets de modélisation de la CEA augmenteront de 20% à 30% le commerce intra-africain de produits agricoles en 2040 avec la mise en place de la ZLECA, notamment du sucre, des légumes, des fruits, des boissons et des produits laitiers. La ZLECA donnerait un accès aux marchés aux niveaux régional et international, ce qui résultera à générer des revenus pour l’État, augmenterait les revenus des exploitants agricoles et augmenterait leur capacité ainsi que celle des pays à investir dans la modernisation du secteur par la transformation et la mécanisation. La ratification de la ZLECA renforcerait la sécurité alimentaire de l’Afrique et contribuerait à la croissance économique globale par le biais du secteur agricole.
Toutefois, ratifier la ZLECA n’exclut pas ses défis. Pour réussir, il faut surmonter les nombreuses questions sur la responsabilité des Africains. Il faut surmonter les craintes que les avantages de la zone de libre-échange ne soient répartis de manière inégale. Et cela nécessite l’engagement et la participation du secteur privé au service de l’accord tout en garantissant que celui-ci apportera de vastes avantages à la société, à l’environnement et aux économies nationales.
Ne vous méprenez pas – pour que l’accord parvienne à la ratification et porte ses fruits, le secteur privé doit intervenir.
Le besoin d’éducation et de participation des secteurs public et privé souligne également l’importance de rassembler les parties prenantes concernées pour qu’elles communiquent, posent des questions et développent une compréhension des différents points de vue. C’est la raison pour laquelle le Forum sur le commerce en Afrique organisé à Lagos, au Nigéria, la semaine dernière ne pouvait pas être organisé à un meilleur moment. Organisé par le Ministère du commerce et de l’investissement du Nigéria et organisé par la Fondation Rockefeller avec la CEA et la Commission de l’Union africaine, le Forum constituait la meilleure occasion à ce jour de réunir des représentants de tous les secteurs du commerce.
La ZLECA pourrait transformer l’économie de l’Afrique en le rendant compétitif au niveau mondial et en libérant le potentiel de création et de partage de la prospérité sur le continent d’une perspective uniquement africaine. Mais pour parvenir à la ratification, il faut un processus de collaboration et une contribution de plusieurs secteurs. Le forum de vendredi à Lagos a été un effort majeur pour rassembler ces voix pour l’avenir de l’Afrique.
Vera Songwe est la Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et Mamadou Biteye est le Directeur général pour l’Afrique de la Fondation Rockefeller.