Au forum des marchés organisé par la Fédération des Sociétés d’Assurances de Droit National Africaines (FANAF), les 8 et 9 novembre 2018 à Cotonou, la CIMA a présenté un état des lieux de la mise en œuvre de la décision prise par le Conseil des ministres des assurances de la zone Franc, de relever le capital social des sociétés d’assurances et le fonds social des mutuelles d’assurances pour se conformer aux normes internationales et pour la solidité financière des sociétés d’assurances (l’intégralité du document est accessible sur le site fanaf.org). FinancialAfrik est allé à la rencontre d’Abdou Cissé, un expert reconnu sur le marché de la zone CIMA, qui a participé au forum et qui nous livre ses impressions.M. Cissé, vous revenez du forum de Cotonou où la CIMA a présenté la situation des compagnies d’assurances relative à l’augmentation de capital : quelles sont vos premières impressions ?
Cissé Abdou : A la synthèse des informations fournies par les compagnies concernées (rapports trimestriels au 31 juillet 2018), la CIMA fait le constat suivant :
- 87 sociétés anonymes sur un total de 180 entités assujetties ont transmis au Secrétariat General de la CIMA un rapport, soit un taux de transmission de 48%.
- L’analyse des rapports permet de constater que sur ces 87 entités, seulement 20 sociétés dont 4 sociétés d’assurance Vie, ont le capital minimum de 3 milliards de FCFA exigé pour 2019 par la nouvelle réglementation. Ce nombre est réduit à 14 entreprises d’assurances lorsque l’on tient compte de l’exigence de fonds propres du règlement n’007 /CIMA/PCMA/CE/2016.
- Des efforts de recapitalisation s’avèrent donc nécessaires (selon la CIMA) pour 73 des 87 entreprises d’assurances ayant transmis leur rapport dans les délais au Secrétariat General de la CIMA, soit une proportion non satisfaisante de 84%
Par ailleurs, à la revue des fonds propres des entreprises d’assurances sur la base des dossiers annuels transmis par ces dernières a la clôture de l’exerce 2017, la CIMA fait le constat suivant :
- 42 sociétés anonymes d’assurances sur 172 ayant transmis le dossier annuel, soit 24%, disposent d’un capital social supérieur ou égal à 3 milliards de FCFA. Cependant, seules 33 d’entre elles respectent le ratio minimum des fonds propres de 2,4 milliards de FCFA (80% de 3 milliards de FCFA)
- 3 sociétés d’assurances mutuelles sur 8 ayant transmis le dossier annuel, soit 38%, disposent d’un fonds d’établissement d’au moins 2 milliards de FCFA.
Sur la base des statistiques présentées par la CIMA au forum, le constat est clair : la convergence des compagnies vers la nouvelle règlementation ne sera pas uniforme car le marché des assurances est très loin du compte ; si la CIMA souhaite accompagner les compagnies vers une solution, elle doit favoriser des études d’impacts pour revoir les principes de la nouvelles règlementation. Pour réformer en profondeur la zone CIMA, il est nécessaire de réaliser des études d’impacts tant quantitatives que qualitatives, à travers des projets auxquels les cadres supérieurs des compagnies d’assurances seront associés. Aussi, La CIMA et la FANAF doivent impérativement tracer une trajectoire pour inciter les Etats africains à s’investir dans le marché des assurances (en rendant obligatoire certaines garanties) ; en effet, tant que le chiffre d’affaires des compagnies n’aura pas atteint un certain niveau, le secteur ne jouera pas son rôle dans l’émergence économique.
FinancialAfrik : Pour les raisons de l’augmentation de capital, la CIMA évoque la conformité aux normes internationales et la solidité financière des sociétés d’assurances. En quoi ces deux raisons peuvent-ils engendrer une exigence de capital de 5 milliards FCFA?
Cissé Abdou : Pour la solidité financière, le capital requis ne doit pas être arbitraire, mais fixé en adéquation avec les risques encourus par les compagnies d’assurance. Or, à ce jour, nous n’avons pas connaissance d’études d’impacts qui justifient les 5 milliards de capital.
Au sujet de la conformité aux normes internationales, aujourd’hui deux normes sont d’actualité : les normes comptables internationales, IFRS (marquées par la juste valeur) et le projet européen SOLVABILITE 2 (marqué par une exigence de capital).
A ce stade de la réflexion, je pense qu’il est nécessaire de comprendre la philosophie de la réforme Solvabilité 2. En effet, l’absence de sensibilité à l’ensemble des risques inhérents au bilan des compagnies d’assurances européennes est une des principales raisons de l’abandon du régime prudentiel Solvabilité 1 au profit du projet de réforme Solvabilité 2.
Il faut reconnaître aujourd’hui que le marché des assurances de la zone CIMA est encore sur une variante du régime Solvabilité 1, calqué sur le modèle français, qui avait été bâti dans les années 1970, révisé en 2002, sous les caractéristiques suivantes : des provisions suffisantes, des actifs admissibles comptabilisés en coûts historiques et une marge de solvabilité indexée sur les provisions en assurance vie et sur les cotisations et les charges de sinistres en assurance non-vie. L’actif du bilan est marqué par des placements sécurisés, liquides, rentables et dispersés, permettant le règlement intégral des engagements de l’assureur ; le passif caractérisé par des fonds propres supérieurs au minimum de marge, des provisions techniques suffisantes et évaluées en hypothèses prudentes.
La convergence européenne du régime de Solvabilité 1 vers le régime de Solvabilité 2 s’appuie sur les principes majeurs suivants :
– une vision économique du bilan (juste valeur à la place d’une comptabilité en coût historique)
– une approche fondée sur des principes plutôt que sur les règles
– des exigences de capital en conformité avec le profil de risque des compagnies
– un renforcement de la gouvernance pour une bonne gestion des risques par les compagnies
– un réel contrôle des groupes
Cette réforme impose aux compagnies européennes un capital de solvabilité requis (SCR) et un capital minimum requis (MCR) en complément.
Le SCR est conçu comme le capital économique nécessaire à une compagnie d’assurance ou de réassurance pour exercer son activité et continue à l’exercer. Techniquement, il doit correspondre au montant de fonds propres à détenir pour limiter à 0.5 % la probabilité de ruine de la compagnie, sur un horizon d’une année (alors que le taux de défaut sur les 150 dernières années est de 0,03% en moyenne pour le secteur assurance en Europe, très éloigné de la norme Solvabilité 2 qui veut garantir un environnement à 0,5%).
Le MCR est conçu comme un niveau minimum de sécurité en dessous duquel les ressources financières de la compagnie d’assurance ne devraient pas tomber ; c’est donc une exigence de capital sensible aux risques, et fondée sur un calcul prospectif (un niveau d’alerte permettant à l’autorité de contrôle d’intervenir à temps).
Rappelons que sous solvabilité 2 (comme d’ailleurs sous le régime prudentiel solvabilité l) les exigences de SCR et MCR devront être couvertes par des fonds propres (ressources disponibles pour faire face aux risques encourus et pour absorber les éventuelles pertes financières si nécessaire).
Il faut bien noter que pour les compagnies européennes, qui peuvent souscrire partout sur le continent, le seuil de plancher absolu prévu par la norme Solvabilité 2 ne dépasse pas 2,5 milliards de francs CFA (en assurance non-vie et en réassurance) et ne dépasse pas 3,7 milliards de francs CFA (en assurance vie) ; une raison de plus pour revoir les 5 milliards en zone CIMA.
Aussi, Solvabilité 2 est en projet depuis plus de 14 années et n’est toujours pas bouclée (ma position par rapport à cette réforme est détaillée dans mon article de février 2017 publié dans votre journal).
Donc, se conformer à des normes internationales peut être entendu, mais en tenant compte de la structure économique de l’espace CIMA et des réalités que vivent les compagnies africaines.
FinancialAfrik : Comment jugez-vous la comparaison effectué par la CIMA avec le marché nigérien où le régulateur a triplé ses exigences de capital ?
Cissé Abdou : Personnellement, je ne suis pas favorable à une telle comparaison. L’assurance se mesure selon le contexte économique, social, culturel et financier de l’environnement où elle est pratiquée. L’activité économique de la seule région de Lagos génère un PIB qui dépasse celui de Côte d’Ivoire, Sénégal et Cameroun réunis.
FinancialAfrik : La conclusion de cette note de la CIMA est marquée par l’attachement du conseil des ministres des assurances à la mise en œuvre de la réforme et traduit une possible mise sous administration provisoire pour les compagnies ne respectant pas la règlementation à l’échéance, en vue d’un transfert d’office du portefeuille à des sociétés agréées qui en feraient la demande et d’une liquidation pour les autres. C’est quand même inquiétant ?
Cissé Abdou : Effectivement, une telle décision peut déstabiliser nos assureurs. C‘est d’autant plus inquiétant pour des acteurs comme le groupe CISCONSULTING-SOLVUSEO, car nous avons le devoir d’accompagner le marché vers des solutions durables et tangibles permettant aux assureurs de participer à l’émergence de l’Afrique et surtout éviter que nos compagnies soient absorbées par des multinationales. Mais une porte de négociation nous est ouverte car, comme l’indique la note, le conseil des ministres a demandé par ailleurs au secrétariat général de réfléchir déjà aux solutions ou mesures pour les sociétés défaillantes à la date butoir ; il faut en profiter.
FinancialAfrik : Que propose le groupe CISCONSULTING-SOLVISEO ?
Cissé Abdou : Nous proposons une solution en deux étapes :
Etape1 : Les marchés de la zone peuvent solliciter la CIMA, afin qu’elle autorise les assureurs, comme c’est le cas en Europe, à couvrir sans limite leur marge de solvabilité avec leur valeur actionnariale classique (Capital Social + Réserves + Report à nouveau) complétée par le Fonds de Commerce de l’assureur (Valeur Actuelle des Profits Futurs nets du coût du capital et nets d’impôts). Cette valeur actionnariale complète (encore appelée valeur libre d’engagement) est considérée sous la norme Solvabilité 2, comme des capitaux propres de première qualité. Une telle mesure est acceptée sur le plan international et se justifie financièrement.
Cette valeur actionnariale complète, en vision économique du bilan de l’assureur, mesure exactement la marge Actif-Passif de l’assureur. Ce passage du bilan comptable classique au bilan économique obligera toutes les compagnies à pratiquer la Gestion Actif / Passif.
La CIMA doit l’accepter car, elle doit reconnaître qu’en faisant évoluer le capital de 1 à 5 milliards, elle demande aux assureurs de mettre en pratique l’optimisation de leur marge Actif-Passif, de limiter les coûts de Fonds Propres relatifs à la réalisations de leurs risques, de mettre en pratique une gestion rigoureuse de leur Marge de Solvabilité, de mettre en pratique la mesurer de la Richesse Patrimoniale de leur entreprise par la valorisation économique et prospective, de créer une valeur actionnariale croissante et régulière : elle demande donc implicitement aux compagnies de mettre en pratique la Gestion Actif-Passif. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons consacré tous nos séminaires 2018 à la pratique de la gestion Actif-Passif.
Etape2 : En partenariat avec deux entités financières d’Afrique subsaharienne, la branche Cabinet d’Affaires du groupe CISCO²NSULTING-SOLVISEO propose une offre technique et une offre financière aux compagnies qui souhaitent compléter progressivement leur capital économique, afin de respecter la règlementation.
L’offre technique consiste à Valoriser périodiquement, via un logiciel de gestion Actif-Passif, l’ensemble des portefeuilles de toute compagnie demandant un financement. La valorisation qui sera effectuée servira aussi de piste d’audit pour la CIMA. (Le logiciel en question est déposé à l’INPI).
L’offre financière consiste à monétiser cette valeur de la compagnie par le biais d’un FONDS de financement que notre cabinet d’affaires a adossé à des banques et autres entités financières de la zone. Les mandats de financements sont déjà déposés auprès de notre banque partenaire.
Nous exposerons ultérieurement les conditions de financement, les modalités de remboursement de l’assureur ainsi que les options en cas de défaut de remboursement de l’assureur.
FinancialAfrik : Comment décrivez-vous brièvement la mise en œuvre d’une telle solution ?
Cissé Abdou : Nous commencerons par demander à la CIMA de mettre en place une cellule de travail qui regroupera le comité des experts zone CIMA et nous, (nous acceptons éventuellement la présence des experts en Solvabilité 2 venant de Paris, au choix du conseil des ministres), pour fixer les grandes lignes de la solution et un chronogramme d’exécution. Parallèlement, nous restons disponibles pour parcourir l’ensemble des marchés de la zone CIMA et exposer notre solution.
Abdou Cissé est dirigeant du Groupe CISCO²NSULTING
Actuariat – Finance
ALM – Stratégie – Investissement – Fusion – Acquisitions