Un des enjeux de la Présidentielle du 24 Février 2019 sera de savoir si les sénégalais auront le courage de prendre leur destin en main dans une perspective libérale et patriotique ou rester dans une UEMOA libérée de la France dans une perspective libérale internationalisée. Il est intéressant de ce point de vue qu’à la veille de la présidentielle, le congrès de l’internationale libérale se tienne au Sénégal, un pays congénitalement socialiste qui l’est resté dans son mode de gouvernance. Quoi de plus normal alors que le Président Macky Sall soit le candidat des socialistes du Sénégal. Dans ce double contexte, nous faisons cette contribution qui résume la rétrospective macroéconomique que nous venons de publier «Sénégal: Bilan Socialiste et Perspective Libérale Patriotique (www.cefdel.net)».
Le Sénégal est en principe dirigé par des libéraux depuis l’alternance politique de 2000, mais nous continuons de régresser dans l’indice de liberté économique du Heritage Foundation depuis 2000. Cet indice évalue l’état de droit qui protège la propriété privée, l’efficacité réglementaire qui facilite les affaires, la taille de l’état et le fardeau fiscal qui politisent l’allocation des ressources, et l’ouverture des marchés qui facilite les échanges et la concurrence. Nous occupons le 126ieme rang mondial sur 180 pays, soit une baisse de 6 rangs depuis 2012, et le 21ieme rang sur 47 pays en Afrique. La Cote d’Ivoire, plus libérale, occupe le 85ieme rang ayant gagné 41 places depuis 2012. Par contre, nous faisons partie des pays les plus libres du monde du point de vue des libertés démocratiques selon la Freedom House. Notre libéralisme semble donc s’être arrêté au niveau politique. Les pays ayant les meilleurs scores dans l’indice de liberté économique sont également les pays les plus riches du monde, y compris émergents. Cette corrélation devrait au moins nous amener à nous poser des questions sur nos options socialistes et socialisantes des 60 dernières années.
Dans le rapport que nous venons de publier, nous montrons que le bilan macroéconomique du septennat du Président Macky Sall a été socialiste avec des tensions de trésorerie en fin de mandat du fait de politiques redistributives insoutenables et un endettement extérieur qu’on aurait pu éviter. Les analyses de la croissance, des finances publiques, et de la monnaie, convergent toutes vers le rôle central que l’état et son budget ont joué au détriment du secteur privé durant la période 2012-2017. La croissance s’est tertiairisée par l’endettement public, socialisée par les réallocations budgétaires en faveur du secteur primaire et du social, et désindustrialisée par une substitution des travaux publics aux industries dans un contexte international favorable qui est en train de changer. Ce n’est que grâce à la revalorisation de notre PIB de 30% que les ratios de nos déficits budgétaires et de notre endettement se sont considérablement réduits en 2017.
Nous avons donc une nouvelle occasion de tourner le dos à notre socialisme congénital par une renaissance doctrinale. Nous avons effectivement essayé toutes les formules du leadership d’état pour réaliser notre développement dans un ensemble ouest africain que nous a imposé les termes de cette indépendance. Ces termes ont été la non disponibilité du taux de change pour absorber les chocs extérieurs et pour soutenir les actions d’un état entrepreneur et socialiste qui avait d’abord mené une politique d’industrialisation par le protectionnisme et la substitution aux importations. Cette gouvernance avait également été caractérisée par une culture de plans de développement par le budget et à travers lui l’aide et l’endettement extérieurs ou par le crédit dirigé à travers la banque centrale et les banques publiques ou privées. Ce modèle économique ne nous a jamais réussi. Le Président Diouf a réussi l’ajustement macroéconomique et structurel au prix de grands sacrifices sur le plan social. Ce régime qu’il a progressivement mis en place pouvait déjà être qualifié de libéral social ou de social libéral puisque de culture socialiste. Cette culture est celle d’un état qui n’est pas essentiellement confiné à planifier ses dépenses en termes de biens et services publics purs, qui suppléent aux défaillances du marché, et qui n’intervient qu’exceptionnellement en appui au secteur privé leader dans la découverte des voies de notre développement. Cette culture socialiste de planification du développement découle de notre dépendance vis-à-vis de bailleurs extérieurs d’où les groupes consultatifs que notre état centralisé doit convaincre de ses plans de transformation structurelle de nos économies, n’ayant pas les moyens de sa politique.
Le Président Wade a trouvé ce libéralisme social déjà en place et l’a poursuivi, utilisant les marges de manœuvre créées en 20 années d’ajustement pour réduire notre déficit en infrastructures. Il nous aura cependant démontré que le leadership d’état et la croissance par l’investissement public et l’endettement, surtout avec une monnaie forte et figée et une administration inefficace, n’étaient pas la voie. Le Président Macky Sall, héritier d’Abdoulaye Wade, a essentiellement poursuivi la politique de ce dernier tout en augmentant le rôle redistributif de l’état, notamment en ne répercutant pas totalement la baisse des prix des produits pétroliers à la pompe, et en continuant le même niveau d’investissement et de subventions en pourcentage du PIB, alors que son budget devait être en ajustement. Le PSE n’aura ainsi pas réussi à déclencher la transformation structurelle qu’il annonçait. L’accélération de la croissance n’aura été que grâce au rattrapage du secteur tertiaire de ses performances d’avant la crise de 2008-2009, et aux politiques redistributives dans l’agriculture.
Nous avons besoin d’une renaissance doctrinale au sommet de l’état. Cette renaissance doctrinale doit considérer le budget de l’état non pas comme un instrument de planification du développement ou de transformation structurelle de l’économie, mais un instrument de planification du financement des besoins en biens et services publics en appui aux dynamiques privées en cours objets de consensus locaux et multiples. Le Président Macky Sall a affirmé en conseil des ministres le rôle désormais moteur du secteur privé qu’il souhaitait dans la conception, le financement, et l’exécution des projets de la phase 2 du Plan Sénégal Emergent. Il est cependant toujours dans une logique de plan et de projets spécifiques pour une industrialisation par le secteur privé. C’est une approche socialisante.
La question centrale que les sénégalais doivent donc se poser dans cette perspective libérale socialisante annoncée est de savoir de quel secteur privé leader il s’agira, et comment ce dernier va financer son nouveau leadership. Par ailleurs, dans la mesure où l’absence du taux de change propre comme amortisseur de chocs a été une des causes de nos échecs des 60 dernières années, nous devons décider dans quel cadre cette nouvelle voie vers le libéralisme sera empruntée. Ce cadre doit-il être celui des ensembles sous-régionaux de l’UEMOA et de la CEDEAO sans instrument de change propre au Sénégal, ou dans le cadre d’un Sénégal économiquement souverain et pour quelles raisons ? Là est l’enjeu politique majeur des élections présidentielles de 2019 au Sénégal. La contrainte d’absence d’instrument monétaire au service du budget au niveau sous-régional ne sera pas un handicap en autant que les citoyens (de l’UEMOA ou de la CEDEAO) soient inclus financièrement et en mesure de financer leurs propres plans. A défaut, nous aurons créé les conditions dans l’UEMOA ou la CEDEAO de la prise en main par des capitaux essentiellement étrangers de nos économies, le secteur privé national n’ayant pas les moyens de financer ses projets. La question de savoir de quel secteur privé leader il s’agira dans la perspective libérale trouverait ainsi sa réponse.
De ce fait, si l’inclusion financière des citoyens ne peut pas être réalisée à court terme, le rôle de l’état pour faciliter le financement du secteur privé national leader par le secteur financier national et international en complément sera nécessaire. Dans ce cas, une politique monétaire autonome et de change flexible et sénégalaise propre serait utile. Elle serait utile pour que nous puissions réussir notre transition maitrisée vers le libéralisme et éviter les échecs de nos 60 dernières années de culture de plans sans l’exutoire du taux de change pour corriger nos erreurs de choix économiques et absorber nos chocs extérieurs propres. Nous aurons ainsi fait l’option d’un libéralisme patriotique et souverain qui préserve les intérêts des communautés locales par opposition à un libéralisme internationalisé qui pourrait entrainer une oligopolisation du capital par ceux étrangers. Nous aurions également tourné le dos au libéralisme social ou socialisme tout court qui est plus sélectif et moins neutre car centralisé dans les choix de secteurs économiques à développer. La décentralisation et la multiplicité de plans locaux de développement mettant en partenariat les élus locaux et leur secteur privé local aurait plus de chances de réussir dans cette dernière option y compris dans ses politiques sociales. Le groupe consultatif de Paris aurait ainsi dû être des groupes consultatifs locaux.
Enfin, si nous craignons que la politique politicienne prenne le dessus sur une gestion rigoureuse d’une monnaie nationale, alors il serait préférable d’emprunter notre chemin vers le libéralisme dans l’UEMOA où nous avons des solidarités institutionnelles établies. Cet ensemble sera plus gérable dans la perspective d’une concurrence dans une CEDEAO libéralisée avec le Nigéria disposant de son autonomie monétaire, ainsi qu’avec le Ghana disposant des mêmes leviers. Il faudra cependant que les deux locomotives de l’UEMOA que sont la Côte d’Ivoire et le Sénégal s’engagent dans cette voie du libéralisme. La gouvernance de la banque centrale serait réformée pour qu’elle soit davantage responsabilisée avec un collège de gouverneurs et une autonomie d’objectif sur un taux de change flexible. La France ne garantira plus le taux de change de notre monnaie qui n’aura plus d’ancrage prédéterminé comme nous l’avons défendu dans une précédente contribution «Macky Sall, le Libéralisme, et la BCEAO». Dans ce contexte, notre monnaie pourra être progressivement convertible au sens que les résidents et non-résidents pourront librement acheter et vendre la monnaie nationale sur le marché pour des biens, services, ou actifs financiers. Ceci facilitera notre endettement en monnaie locale en évitant aux investisseurs une dévaluation surprise. Nous l’avons également expliqué dans notre contribution «Eurobonds, la Côte d’Ivoire et le Sénégal au secours de la BCEAO et des Banques».
Une monnaie flexible plus faible (Sénégal ou UEMOA) permettrait aussi de réduire nos tarifs douaniers sans affecter nos recettes nominales et notre protection extérieure. Les activistes anti APE et libéralisation du commerce y verront une neutralité budgétaire. Il s’agira de réduire la composante taxe des prix, formaliser l’économie sénégalaise, réduire la corruption, et stimuler l’investissement privé. Un état essentiellement orienté vers la fourniture décentralisée de services publics de qualité avec des taux d’imposition faibles et consentis fera moins l’objet de convoitises corruptrices au niveau central. Il sera également plus à même d’instaurer au niveau décentralisé une culture de performance et de résultats directement contrôlables, mesurables et comparables entre localités. Un pouvoir d’achat plus important du privé dans une monnaie plus faible et flexible augmentera la demande privée pour des produits locaux sans forcer le consommer local face à la concurrence étrangère. Une flexibilité du taux de change par une monnaie plus faible dans notre économie de rente actuelle pourra palier au coût élevé des salaires vis-à-vis de l’extérieur et promouvoir le développement d’activités nouvelles et compétitives. Des améliorations dans tous ces aspects nous donneront un indice de liberté économique plus favorable à la croissance.
Nous invitons la classe politique sénégalaise à opter pour un Sénégal de liberté économique. Nous ne sommes pas obligés de perdre le temps que les pays autrefois communistes ou socialistes ont perdu avec des zones économiques spéciales ou vont perdre dans leur marche progressive vers la libéralisation de leurs économies, la démocratie, et la responsabilisation des citoyens. Cette liberté économique, si elle doit être patriotique, nécessitera que nous sortions de l’UEMOA (SENEXIT) à moins que cette dernière n’épouse elle-même la liberté économique avec une monnaie flexible. La Côte d’Ivoire pourrait y être ouverte au vu de ses progrès dans l’indice de liberté économique. Une autonomie monétaire nationale ne nous sera cependant pas aussi utile si l’utilisation que nous voulons en faire est de perpétuer notre socialisme congénital par le financement monétaire de plans de développement. Dans ce dernier cas, une autonomie monétaire au niveau de l’UEMOA seulement serait alors préférable.
Abdourahmane Sarr