Le continent africain ne doit plus «sous-traiter sa sécurité», déclarait, en Janvier 2017, Cheikh Tidiane Gadio, ex-chef de la diplomatie sénégalaise, neuf années durant, sous le régime du président Abdoulaye Wade. Ces propos, tenus lors de la séance inaugurale de la quatrième édition d’un Salon international dédié à la sécurité et à la défense, organisé à Abidjan, signalaient une urgence : il nous faut trouver des solutions endogènes, face à nos problèmes de défense et de sécurité, contrairement à la triste réalité qui
prévaut actuellement au Sahel, notamment au Mali.
Constat désolant, dans un contexte où le fonctionnement de l’Union Africaine (UA), un budget annuel d’environ 700 millions de dollars (616 millions d’euros), est financé à hauteur de 59% par la Communauté internationale. Une contrainte également valable pour nombre de pays africains dont 60% des budgets sont tirés de ressources
consenties par des partenaires internationaux.
D’où l’obligation d’une inévitable rupture, à traduire par l’imagination de mécanismes endogènes et innovants de financements, tant au niveau national que régional.
Un déclic à Addis-Abeba ?
Les résultats du 11ème Sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine (UA), dont les assises se sont tenues à Addis-Abeba (Ethiopie), les 17 et 18 Novembre dernier, engagent l’Afrique dans une nouvelle voie. Un changement de
paradigme qui amène le Continent à financer enfin sa propre sécurité.
C’est dans cette nouvelle dynamique que s’inscrit le lancement du Fonds de l’Union Africaine pour la Paix (FUAP), désormais crédité de 60 millions de dollars US, soit 53 millions d’euros, et qui devrait atteindre la barre des 100 millions de dollars, avant la fin
de l’année. On peut parler de «victoire d’étape», tant il est le fruit d’un long et difficile cheminement. Une espèce d’accouchement par césarienne. Car, sur le papier, ce fonds existe depuis1993, Mais il n’a jamais été alimenté par le moindre dollar ou euro, depuis sa
fondation.
En fait, c’est à partir de 2016 que son opérationnalisation est devenue une priorité, dans la stratégie de l’organisation panafricaine. Du point de vue des objectifs, le Fonds de Paix de l’UA vise «à prévenir les conflits qui ravagent l’Afrique, par des actions de médiation, à travers l’envoi d’émissaires ; des interventions pour le maintien de la paix ; le retour de celle-ci, après l’éclatement de la guerre, et l’assistance des Etats en situation post-conflictuelle, grâce à des actions de reconstruction».
Une affaire de duos
Au-delà de la déclinaison d’objectifs aussi ambitieux, il fallait naturellement penser au nerf de la guerre, l’argent, dont la mobilisation est une condition existentielle d’une telle œuvre. L’organisation panafricaine décide alors de confier le processus d’opérationnalisation du fonds au duo Paul Kagamé, président du Rwanda,
et Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union
Africaine (UA), à partir de l’année 2016. C’est à l’ombre de cette paire que s’en est activée une seconde, véritable cheville conceptuelle du projet.
Donald Kaberuka, ancien ministres des finances du Rwanda et ex-président de la Banque Africaine de Développement (BAD), fut chargé du montage financier de l’affaire et confia le volet juridique du dossier à maître Gadio Kalidou, un mauritanien diplômé en droit
financier de l’Université de Harvard, ancien conseiller juridique général de la BAD, et actuellement en poste au cabinet d’affaires américain « Manatt, Phelps &Philips » dont la structure centrale se trouve à Washington.
L’ancien dirigeant de la banque panafricaine proposa un modèle inspiré du financement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), une entité au dynamisme reconnue, en dépit de quelques problèmes. A signaler au passage qu’au rang des états de service du Duo Kaberuka/Gadio, la conduite réussie de l’opération d’augmentation du capital de la BAD, passé de 50 milliards à 100 milliards de dollars en
2010.
Obstacles
Dans son rapport, Donald Kaberuka appelait à la constitution d’un fonds de 400 millions de dollars US, représentant 25% des besoins de l’institution panafricaine. A l’origine, ce fonds devait être alimenté par une taxe de 0,2%, connue sous l’appellation de «Taxe
Kagamé », prélevée, par les douanes des pays du Continent sur les importations ; envoyée vers les centrales des Etats-membres puis reversée sur le compte de l’Union Africaine (UA). Mais cette proposition fut contrecarrée par trois types d’obstacles.
Les premières réserves étaient de nature constitutionnelle. Les pays d’Afrique Australe ont ensuite mis en avant un mécanisme régional de prélèvement des droits de douanes, rendant «impossible» la perception d’une telle taxe. Le troisième type de contraintes a été
soulevé par quelques Etats signataires d’accords commerciaux bilatéraux, pour lesquels le prélèvement aurait pour conséquence une mesure similaire du partenaire, en vertu du principe de la réciprocité.
Face à cette série d’obstacles, le Sommet extraordinaire de novembre2018 a décidé de refiler la question du financement au prochain sommet ordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA, prévu fin Janvier.
En attendant cette échéance, il faut retenir que le Conseil d’Administration du FUAP a été constitué. Il est composé de sept personnalités : deux représentants «extérieurs», Nations Unies (ONU) et Union Européenne (UE), et un représentant pour chaque région d’Afrique. Il existe également un Conseil de Gestion, présidé par le président de la commission de l’UA, où siègent le président du Conseil de Paix et de Sécurité et un Secrétariat Permanent.
Sy Mohamed Djibril, Addis Abeba