Propos recueillis par Nephthali Messanh Ledy, Envoyé spécial à Nairobi
« Il y a des femmes exceptionnelles qui ont une grande performance scientifique de découverte et une excellence scientifique qu’on voudrait mettre en valeur. »
La Fondation L’Oréal décerne ce jeudi à Nairobi, des bourses aux 14 lauréates retenues pour l’édition 2018 du programme L’Oréal-Unesco For Women In Science. Un programme qui, d’après Alexandra Palt, la vice-présidente, a été élaboré face au « constat de l’invisibilité de femmes scientifiques », et dont deux anciennes lauréates sont devenues Prix Nobel. « Il y a des femmes exceptionnelles qui ont une grande performance scientifique de découverte et une excellence scientifique qu’on voudrait mettre en valeur », déclare-t-elle dans cet entretien exclusif accordé à Financial Afrik en marge des activités.
Vous êtes la vice-présidente de la Fondation L’Oréal qui organise ici à nairobi, son programme L’Oréal-Unesco For Women In Science avec des bourses à 14 lauréates. Pourquoi avoir instauré un tel prix ?
Nous sommes une fondation qui existe depuis 10 ans ; mais le prix For Women In Science existe depuis 20 ans. Le concept de ce prix a été élaboré face à un constat qui est l’invisibilité de femmes scientifiques. Si vous pensez à un scientifique le plus connu, celui qui vous vient à l’esprit est forcément un homme. Et il faut chercher vraiment longtemps pour trouver une femme scientifique. Pourtant, il y a de femmes exceptionnelles qui ont une grande performance scientifique de découverte et une excellence scientifique qu’on voudrait mettre en valeur pour lutter contre cette invisibilité de femmes scientifiques dont je parlais.
Et pourquoi un tel engagement en faveur précisément des femmes?
D’une part, parce que c’est une question d’égalité et de promotion de la femme, mais également parce que dans des équipes diversifiées, la présence de femmes chercheures est nécessaire pour avoir des meilleures recherches. Comme toujours, si on a qu’une perspective sur le sujet, on ne répond pas à tous les enjeux et à tous les besoins. Surtout quand on regarde les enjeux auxquels on fait face, le changement climatique, la rareté des ressources, les enjeux de l’agriculture, de santé publique, de pauvreté, etc. Donc il y’a énormément d’enjeux qui nécessitent même d’avoir tous les talents et toutes les capacités dédiés à résoudre. Ça explique pourquoi on a décidé de nous engager tout particulièrement pour les femmes scientifiques sur le contient.
Quel est aujourd’hui l’impact de ce prix que vous décernez chaque année ?
Avec ce prix qui existe depuis 20 ans en partenariat avec l’Unesco qui nous a toujours soutenu, on regarde quelles sont les avancées, et ce qu’on a réussi à faire. On peut affirmer que le chiffre des chercheures a augmenté, et on a parmi les femmes à qui on a donné le prix « l’oréal unesco pour femme et la science », deux qui sont devenues « Prix Nobel » par après. On a une plus forte visibilité de femmes scientifiques qu’il y a 20 ans ; mais c’est toujours insuffisant. Il y a également plusieurs endroits dans le monde où c’est plus insuffisant que d’autres. Un endroit où on sent plus particulièrement que l’absence de femmes dans le domaine est encore plus inquiétante est certainement l’Afrique subsaharienne.
Quel a été le processus de sélection des 14 lauréates ?
Le processus est toujours le même. Il y a eu un certain nombre de candidatures, comprises entre 480 et 500. Il y a eu une première analyse par des experts sur la qualité des dossiers, et ils font une short-liste qui est soumise à un jury constitué de différents scientifiques de différents pays. Ils ont une expertise et une légitimité pour évaluer la qualité scientifique de ces dossiers-là. Il s’agit d’un jury indépendant, de scientifiques de grande renommée ; et le critère de choix, c’est notamment l’excellence scientifique.
C’est la première édition que vous n’organisez pas en Afrique du sud. Pourquoi avoir porté votre choix sur le Kenya ?
C’est surtout lié à notre présence locale. L’Oréal a une filiale East Africa basée au Kenya, ce qui fait qu’on a des équipes sur place, et nous a permis d’avoir davantage de contacts. Mais au-delà, il y a un dynamisme local qui est très important dans la technologie et dans la science ici au Kenya. Tous ces facteurs nous semblent des conditions propices pour démontrer notre attachement et engagement pour l’Afrique subsaharienne à partir de ce pays.
Vos perspectives avec ce prix ?
Comme vous pouvez le voir, il y a beaucoup de lauréates sud-africaines où il y a de forts investissements sur la recherche. Sur le très court terme, nous avons décidé de séparer le programme. Si on a un pays où il y a beaucoup d’investissements, on a automatiquement plus de scientifiques qui peuvent prétendre à une excellente qualité scientifique. Nous allons donc séparer l’Afrique du sud qui aura un programme national dans lequel les sud-africaines entre elles vont être en compétition, et on aura un autre pour les autres filles de l’Afrique subsaharienne. Ce sera un programme régional qui sera donc animé par la fondation directement, avec une option d’augmentation du nombre de bourses et de la dotation qui sera comprise entre 10 et 15 milles euros.
Dans presque toutes vos interventions, vous affichez personnellement un certain intérêt à l’Afrique subsaharienne. Pourquoi cette région vous tient tant à cœur ?
(Rires) C’est quelque chose qui s’explique difficilement. Il est vrai que j’ai un engagement particulier à l’Afrique, mais je pense aussi que si l’Afrique sombre, l’Europe va sombrer, et le monde va sombrer. Il est alors essentiel de soutenir toute cette créativité et toute cette capacité d’innovation qu’on trouve en Afrique pour répondre aux problématiques qui se posent indéniablement sur le continent, pour répondre aux enjeux et je pense que c’est essentiel pour l’avenir de l’Afrique et de l’Europe.