Par Christine Holzbauer, à Paris.
Formellement approuvé lundi 10 décembre après la proclamation orale et le traditionnel coup de marteau, devant 159 pays sur 193 réunis à Marrakech en conférence intergouvernementale, le Pacte mondial sur les migrations est loin de faire l’unanimité.
« Ce moment est le produit inspiré d’efforts« , a déclaré le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, à l’ouverture des débats qui doivent durer jusqu’au mardi 11 décembre. « Nous ne devons pas succomber à la peur ou aux faux narratifs » sur la migration, a-t-il ajouté dénonçant les « nombreux mensonges » propagés sur cet accord, qui sera soumis à un ultime vote de ratification, le 19 décembre à l’Assemblée générale de l’ONU.
Un rapport conjoint OCDE-UE, rendu public dimanche soir, montre au même moment que l’intégration des immigrés et de leurs enfants sur le marché du travail s’est améliorée dans de nombreux pays ainsi que leurs conditions de vie. Cependant « de nombreuses difficultés persistent », précise ce rapport, car les compétences que les immigrés apportent avec eux «restent largement inexploitées, entravant à la fois la croissance économique et l’inclusion sociale.»
Etape formelle
Ce qui devait être une simple étape formelle du processus d’adoption de ce Pacte par la conférence intergouvernementale des Etats membres des Nations unies a polarisé les critiques des nationalistes et des anti-migrations, notamment en Europe. Une quinzaine de pays ont ainsi fait part de leur retrait ou du gel de leur décision. « Il est étonnant qu’il y ait eu autant de désinformation à propos de ce que le Pacte est et de ce qu’il dit (…), il ne crée aucun droit de migrer, il ne place aucune obligation sur les Etats« , a martelé Louise Arbour, la représentante spéciale de l’ONU pour les migrations, dimanche soir au cours d’une conférence de presse à Marrakech.
Non contraignant, le Pacte recense des principes – défense des droits de l’homme, des enfants, reconnaissance de la souveraineté nationale – et liste des propositions pour aider les pays à faire face aux migrations – échanges d’information et d’expertises, intégration des migrants. Il interdit les détentions arbitraires, n’autorisant les arrestations qu’en dernier recours. A ce stade, neuf pays se sont retirés du processus après avoir approuvé le texte le 13 juillet dernier à New York (Autriche, Australie, Chili, République tchèque, République dominicaine, Hongrie, Lettonie, Pologne et Slovaquie) et sept autres ont souhaité plus de consultations internes (Belgique, Bulgarie, Estonie, Israël, Italie, Slovénie et Suisse), a précisé Louise Arbour.
Critiqué par les défenseurs des droits de l’Homme qui le trouvent insuffisant, notamment sur l’accès des migrants à l’aide humanitaire et aux services de base ou sur les droits des travailleurs migrants, ses détracteurs le voient en revanche comme un encouragement à un flux migratoire incontrôlé. Malgré la crise sociale qui sévit actuellement en France avec la révolte des gilets jaunes, Paris est l’une des rares capitales européennes à soutenir ouvertement ce Pacte. Dimanche, la coalition au pouvoir en Belgique a implosé après la démission des ministres nationalistes flamands. La veille, des échauffourées s’étaient produites à Ottawa entre groupespro-immigration et militants de droite opposés à l’adhésion au Pacte. Tandis qu’à Washington, qui s’était déjà retiré de l’élaboration du texte en décembre 2017, le jugeant contraire à la politique d’immigration du président Donald Trump, de nouvelles critiques en provenance de la Maison Blanche ont fusé contre toute forme de « gouvernance mondiale ».
Migrations sûres, ordonnées et régulières
Présentant une comparaison internationale détaillée des résultats des immigrés et de leurs enfants, ainsi que leur évolution au fil du temps, pour l’ensemble des pays de l’Union européenne (UE) et de l’OCDE, mais aussi pour certains pays du G20, le rapport intitulé Trouver ses marques 2018 : Indicateurs de l’intégration des immigrés montre que la part d’immigrés ayant un niveau d’éducation élevé a progressé de 7% au cours des dix dernières années dans les deux zones. La plupart des immigrés interrogés ont également exprimé leur attachement à leur pays d’accueil avec plus de 80 % d’entre eux déclarant se sentir « proches » voire « très proches » de ce pays.
« Les pays ont beaucoup amélioré les politiques visant à promouvoir l’intégration des immigrés et de leurs enfants dans l’éducation, sur le marché du travail et dans la vie sociale», a déclaré Angel Gurría, Secrétaire général de l’OCDE, à l’occasion du lancement du rapport à Marrakech dimanche soir. «Il reste néanmoins beaucoup à faire pour aider l’ensemble des immigrés à participer économiquement et socialement aux sociétés d’accueil. », a-t-il ajouté se réjouissant que l’adoption du Pacte de l’ONU contribue à des « migrations sûres, ordonnées et régulières ».
« L’intégration des immigrés est absolument vitale pour nos économies et nos sociétés dans leur ensemble », s’est exclamé de son côté Dimitris Avramopoulos, Commissaire européen chargé de la migration, des affaires intérieures et de la citoyenneté. « Nous devons veiller à ce que tous ceux qui ont le droit de rester et de vivre dans nos sociétés puissent y participer pleinement et équitablement. Non seulement sur le papier, mais aussi dans la réalité ».
Au travers de 74 indicateurs, le rapport examine les dimensions clés de l’intégration, notamment l’emploi, l’éducation, le logement, la santé, l’engagement civique et l’inclusion sociale. Une attention spéciale a été accordée aux jeunes descendants d’immigrés et aux disparités entre les femmes et les hommes. Il en ressort que malgré quelques améliorations, « les immigrés ne parviennent pas souvent à traduire des niveaux d’études globalement plus élevés que ceux de la population née dans le pays en de meilleurs résultats sur le marché du travail », selon les auteurs de ce rapport.