Financial Afrik a rencontré Domingos Simoes PEREIRA, président du Parti pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC). L’ancien Premier Ministre de la Guinée Bissau pose un diagnostic technique, anthropologique et politique sur son pays, joyau de la nature livré aux vents de l’instabilité des scrutins électoraux aux dates aléatoires et aux querelles de leadership. Pour ce technocrate, la rupture est possible. Entretien.
Monsieur le Premier Ministre, comment sortir la GuinéeBissau d’une instabilité que nous dirons chronique ?
Votre question est complexe. Pour moi, qui suis de mèreBalante et Mandiango et de père Banhun et Cassanga, je peuxvous dire que la Guinée Bissau profonde aspire au changement. La nouvelle génération aspire encore plus au changement et à la prospérité. Notre héros Amical Cabral avaitdevancée son temps en prônant «Unité et Lutte», la devise du PAIGC (Parti pour l’indépendance de la Guinée Bissau et du Cap Vert). Force est de le dire, en dépit des postures, il n’y a pas encore eu un travail de réconciliation en Guinée Bissau. L’on pensait que tous les problèmes du pays seraient résolusen chassant les portugais. Plus de quarante ans plus tard, les problèmes subsistent et pèsent sur la cohésion sociale.
Pourquoi, quatre décennies après son indépendance, le Portugal reste un paramètre de la politique Bissau guinéenne ?
Les faits historiques ne s’effacent pas du jour au lendemain. Les portugais ont accosté la côte Bissau guinéenne dans les années 1 400. Les colons y ont trouvé les autochtones, les Brahmes, après les Mandingues et, progressivement, les peuls, dans des territoires mouvants. La colonisation portugaise a eucela de particulier qu’elle s’est bornée dans le cas de mon pays à une approche commerciale sans vision administrative et, je dirais, sans véritable ambition de domination politique. Le souci premier de l’envahisseur était de construire des forts pour se protéger (celui de San José fut célèbre) et de faire le commerce en contractant des alliances avec certains groupes.
Qu’est ce qui explique que l’instabilité politique soitpresque une règle en Guinée Bissau?
Il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’au fin des années 70, on était considéré comme îlot de stabilité alors que la guerre civilesévissait en Angola et au Mozambique. Mais comme ditl’adage, du passé l’on tire des enseignements pour le présent. Nous avons proclamé notre indépendance le 24 septembre1973. En se retirant, le colon a semé les germes des conflitsfuturs.
Votre parti, le PAIGC, peut-il réconcilierles Bissau guinéens et les conduire vers le développementéconomique et social ?
Je n’en doute pas une seconde. Encore faut-il que nous rompons avec les méthodes du passé. Traditionnellement, on désignait un coupable idéal et l’on croyait qu’en le changeanttout irait mieux. Or, changer un pays relève d’une question structurelle, d’une planification stratégique et d’une dynamique. L’histoire heurtée de notre pays a engendré des phénomènessociaux et des réflexes qui complexifient encore plus la spécificité du tissu social Bissau Guinéen.
Il faudra tenir compte, comme disait Cabral, de nos structures traditionnelles de pouvoir, verticales chez les groupesmusulmans et horizontales chez les Balantes et les autrespeuplades. Le colon a exploité efficacement ces différencespour s’imposer. En plus de ces structures traditionnelles, il y a le rapport des Bissau guinéens à l’armée. Les Balantes ontfourni le gros des troupes pendant la guerre de libération maisils n’ont pas développé de mécanismes de relation avec le pouvoir.
A l’indépendance, la Guinée Bissau comptaitseulement 14 lycéens et un contexte de violence engendré par onze ans de guerre. Dans les années 90, l’alternance politique s’est traduit par unevolonté de dépolitiser l’armée et démilitariser les partispolitiques.
Le temps le montre, toute vision à long terme nécessite la paixsociale et la stabilité. Ce sont des ingrédients nécessaires pour rétablir la confiance entre la Guinée Bissau et ses partenaireset mettre en place un programme de développementharmonieux. L’impact social, l’inclusion et le développementhumain sont les trois axes de notre programme.
L’incertitude sur la date des législatives n’est –il pas le signe que la Guinée Bissau n’est pas encore au bout du tunnel ?
C’est vrai, il y a une certaine incertitude entretenue autour de ces élections. Sur cette question, notre parti partagepleinement les résolutions de l’accord de sortie de crise de la CEDEAO arrêtées en Mars 2018 et stipulant que des électionsaient lieu au plus tard avant la fin 2018. Nous soutenons la feuille de route de la sortie de crise.