Par Rodrigue Fenelon Massala, grand reporter.
Après trois ans de report, et une longue attente, la Commission électorale nationale indépendante (Céni) a finalement publié, dans la nuit du mercredi 9 au jeudi 10 janvier, les résultats provisoires de la présidentielle du 30 décembre en République Démocratique du Congo. Fait historique, c’est l’opposant Félix Tshisekedi qui a été proclamé vainqueur, avec, selon la Céni, 38,57 % des suffrages.
Un scénario sans précédent en RDC
Cette victoire récompense plus de 40 années de luttes politiques menées par son père, Ethienne Tshisekedi, fondateur de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).
« Ayant obtenu 7 051 013 suffrages valablement exprimés, soit 38,57 % des voix, est proclamé provisoirement élu président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi Tshilombo Félix », a déclaré le président de la Céni, Corneille Nangaa.
Ce scénario sans précédent en RD Congo et rarissime en Afrique centrale, peut encore faire l’objet de recours devant la Cour constitutionnelle qui proclamera les résultats définitifs d’ici le 18janvier eu égard au fait que l’opposant Martin Fayulu, arrivé deuxième avec 34% des suffrages, a introduit un recours en annulation.
La prestation de serment du nouveau président élu pour un mandat de cinq ans est prévue le 22 janvier. Aussitôt le résultat du scrutin publié, la coalition Lamuka portée par Martin Fayulu , créditée de 34% des voix, a catégoriquement rejeté les résultats arguant qu’il s’agissait d’un putsch électoral.
En attendant, la RDC est en voie de franchir une étape pas historique. C’est la première fois en effet que l’on assistera à une passation de pouvoir entre deux chefs d’Etat et il a fallu attendre quasiment 60 ans après les indépendances pour en voir le contour.
C’est dire si cette alternance au sommet de l’Etat constitue un tournant décisif. Le peuple Congolais qui, hier, a empêché l’actuel locataire du Palais de la Nation à modifier la constitution pour briguer un troisième mandat, s’est aussi chargé de reléguer à un rang inférieur le candidat présenté par le régime Kabila, en la personne de l’ancien ministre de l’intérieur, Ramazani Shadary, arrivé troisième avec 23% des suffrages exprimés.
Depuis la proclamation du résultat des élections, nous assistons à un emballement médiatique et diplomatique du dossier électoral de la Rdc. La clameur a donné lieu à une réunion du conseil de sécurité de l’ONU au cours de laquelle on a pu observer une approche diplomatique de la gestion de ce dossier pour éviter toute crise pos-télectorale. Le ton ayant changé car l’ensemble des organisations internationales et les états ont salué la participation déterminante du peuple congolais au processus électoral puis pris acte des résultats déclarant l’opposant Félix Tshisekedi vainqueur et enfin exhortés les contestataires à saisir les voies légales pour introduire leur recours conformément à la loi Congolaise .
La position de l’Union Africaine
A ce stade, nous percevons très bien que l’ensemble des états qui se sont exprimés en dépit de la sortie de route du ministre Français des affaires étrangères , Jean Yves Le Drian, ont tenu à s’aligner comme le veut la coutume diplomatique sur la position de l’Union Africaine laquelle, mettant en avant la souveraineté de la Rdc, recommande le règlement du contentieux électoral à travers les procédures et les organes constitutionnel du Congo.
La Ceni qui s’est longuement exprimée sur la question de la fiabilité des résultats devant le conseil de sécurité de l’Onu a dénoncé les fakes news, la divulgation des chiffres non fondés et a mis quiconque à défi de produire des procès verbaux contraires aux résultats qu’elle a proclamés officiellement dans la nuit du 9 au 10 janvier.
Cette pique de Corneille Nanga, le président de la Céni, était lancée sans aucun doute à l’endroit de la Conférence épiscopale du Congo (Cenco), une structure de l’église catholique qui a certes pris acte des résultats proclamés par la Céni mais tout en estimant que ceux-ci ne correspondaient pas avec ses observations.
Cette déclaration surprenante de l’église a suscité des réactions diverses et variées. Pour rappel, depuis 2006, l’église tient le même discours sans jamais révéler le véritable vainqueur. Il y a douze ans, c’est un homme de Dieu désigné par les confessions religieuses, Abbé Malu Malu, qui organisa les élections opposant au second tour Joseph kabila et Jean Pierre Bemba .
En 2011, ce fut encore un autre homme de Dieu, le Pasteur Ngoye Mulunda, qui organisa les élections opposant Kabila à Tshisekedi et à plusieurs autres candidats. « Ces deux hommes de Dieu a l’époque nous avaient sorti la vérité des urnes », opine un diplomate en poste à Kinshasa. Que ce soit en 2006 ou en 2011, la Cenco, rappelle ce fin observateur , avait tenu le même discours sans jamais franchir le rubicon. L’attitude de l’église en 2019 semble rompre avec une tradition de médiation et de compromis.
La Conférence épiscopale du Congo (Cenco) en question
Il sied de souligner qu’au lendemain de la fin du mandat constitutionnel de Joseph Kabila, le 19 décembre 2016, l’église catholique, pour préserver la paix dans le pays, initia le dialogue politique qui abouti à la signature de l’accord dit de la «Saint Sylvestre» .
Ledit accord maintenait Kabila au pouvoir et, en contre partie, ce dernier devait nommer un premier ministre proposé par le leader de l’opposition de l’époque, Ethienne Tshisekedi.
La Cenco révéla à l’époque à l’opinion détenir une lettre du président Tshisekedi dans laquelle ce dernier désignait le nom du premier ministre.
Tshisedi est mort sans que l’opinion ne sache le nom de ce fameux premier ministre. Encore un autre secret de confession détenu par la Cenco.
Selon nos sources, l’église congolaise n’a ménagé aucun effort, d’une part pour œuvrer à la garantie de la transparence du processus électoral mais, d’autre part, elle a tenté de jouer les bons offices entre les principaux leaders de l’opposition en les encourageant à faire bloc autour d’une candidature commune face au poulain du pouvoir sortant.
En effet, après l’échec de la candidature unique à Genève, l’église a tenté une médiation en pleine campagne électorale entre Félix Tshisekedi, le vainqueur, et Martin Fayulu en vu de s’accorder sur une candidature commune au nom de la cohésion de l’opposition.
Une proposition rejetée catégoriquement par Félix Tshisékédi qui, selon nos sources, était prié par l’église de se désister en faveur de Fayulu. Une position inconfortable de l’église dans la mesure où le Congo est un pays laïc et l’église a l’obligation et le devoir d’observer une neutralité politique. De l’avis de plusieurs observateurs, l’église Congolaise a plusieurs fois raté les rendez-vous avec l’histoire comme lors de la transition démocratique en 1992 après la conférence nationale.
Elle qui avait présidée cette conférence, elle qui était le garant des résolutions de la conférence, était restée inerte lorsque Mobutu reprit la main en limogeant Ethienne Tshisekedi au poste de premier ministre alors que ce dernier fut élu par les délégués de la conférence nationale souveraine.
Ls crise politique qui s’installa alors déboucha, cinq ans plus tard, sur la rébellion dirigée par Laurent Désiré Kabila et encadrée par le Rwanda, l’Ouganda et l’Angola .
Le vendredi 11 janvier 2019, s’exprimant solennellement devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, Monsieur Marcel Utembi, le Président de la CENCO avait déclaré ceci : « La CENCO s’était dotée d’un centre de traitement des données. Elle a pu recevoir les résultats exprimés en volume par 13.110 999 sur 18 millions ce qui représentent en valeur 71,13% des suffrages valablement exprimés ». Cette précision de Monseigneur Marcel Utembi veut dire que près des 5 millions des suffrages valablement exprimés avaient échappés à la comptabilité des observateurs de la CENCO ! Donc, la CENCO ne détient qu’une demi vérité de la soit disant « vérité des urnes ». si on veut croire à cette simulation. Sur plus de 40.000 observateurs de la CENCO, 1776 n’ont pas pu obtenir les accréditations mais ils ont pu mener des observations hors des bureaux de vote » ! Au regard des faits, nous observons que la Cenco ne se refère pas aux procès verbaux, car en sa qualité d’observateur, elle n’a pas accès aux procès verbaux qu’on remet aux représentants de chaque candidat à l’issue des opérations électorales dans chaque centre de vote.
La Cenco devant le conseil de sécurité de l’ONU
La Cenco dans sa présentation devant les membres du conseil de sécurité affirme avoir procédé par des projections. Une telle méthode est utilisée pour les intentions de votes notamment dans le cadre d’un sondage avant, pendant ou après le vote. La Cenco décrit cette méthode pour déterminer le gagnant. Quelle est la fiabilité d’une projection statistique pour déclarer un gagnant, s’interroge un diplomate africain de l’ONU qui a requis l’anonymat?
Lors de sa présentation devant le conseil de sécurité de l’Onu, le représentant de la Cenco confirme qu’ils ont utilisé une projection statistique pour déterminer le gagnant des élections présidentielles comme nous l’avons notés ci haut . Il affirme qu’ils ont utilisé un échantillon de 10% des bureaux de votes, soit moins de 8 mille bureaux de votes sur les 18 0000 pour déterminer la tendance de vote à travers toute l’étendue de la RD Congo avec une marge d’erreur de moins de 3%, et ensuite ils ont validé leur méthodologie par un autre échantillon avoisinant 71% des bureaux de vote. Jamais les experts électoraux de la Cenco n’ont compilé 95% de votes réels.
Le modèle de projection utilisé n’inclut pas des facteurs cachés difficiles à inclure. Seul le vote réel, le jour du scrutin compte à 95% (aussi en tenant compte de l’écart) pour valider la projection statistique. Ainsi, par exemple, les résultats de 10 bureaux de votes sélectionnés aléatoirement à Kinshasa ne pourront pas projeter le comportement des électeurs du Kasaï central ou de Goma ou de Kikwit car le vote en RDC tient compte du contexte sociologique, avec des accointances linguistiques, accointances politiques, la notoriété du candidat, l’encrage du candidat, l’engouement (taux de participation). On ne pourra jamais utiliser le résultat de bureaux de Kasai Oriental pour déterminer la tendance dans un bureau de vote à Bulungu. Tout statisticien attestera que c’est une tache complexe de constituer un échantillon représentatif dans le contexte de la RDC.
La méthode utilisée par la Cenco est « misleading »
Même dans les cours de communication et de journalisme, de telles méthodes sont utilisées pour les sondages et non pour certifier la fiabilité d’un vote réel exprimé par les électeurs des provinces différentes. Au regard de tout ce qui précède, nous pouvons souligner et relever que la méthode utilisée par la Cenco est « misleading ». Cette méthode est de nature à semer la confusion et la division au sein de la RDCongo. Ce résultat ne peut pas constituer une base de contestation pour les raisons énoncées ci-haut. Ce n’est pas le spiritisme dont il s’agit ici mais d’ un contexte politique et sociologique.
Le contentieux électoral La loi Congolaise donne à chaque candidat contestataire le droit de saisir le juge constitutionnel pour contester les résultats proclamés par l’instance officielle en charge de la proclamation du scrutin . C’est dans ce cadre que Martin Fayulu a introduit un recours en annulation pour contester la victoire de Félix Tshisekedi.
Selon une source du parquet, la requête que Martin Fayulu Madidi a déposé auprès du greffe de la cour constitutionnelle revêt un caractère plus journalistique que juridique. « En effet, la vérité des urnes s’observe en toute objectivité sur l’ensemble des procès verbaux issus de tous les bureaux de vote de la CENI », insiste nôtre interlocuteur qui souhaite garder l’anonymat pas sur une demi vérité !
Martin Fayulu: une requête plus journalistique que juridique
Selon notre source, Martin Fayulu Madidi n’ayant pas des procès verbaux de source primaire s’est emmené bras ballants devant la Cour constitutionnelle en s’appuyant sur les procès verbaux des bureaux de vote de source secondaire, c’est à dire, ceux de la CENCO ! Notre interlocuteur de la Cour constitutionnelle conclut son analyse en disant que Martin Fayulu Madidi confond « la preuve judiciaire » avec « les rumeurs et les informations distillées dans les réseaux sociaux « . Martin Fayulu Madidi aurait dû apporter sûr la table des juges de la Cour constitutionnelle pas des procès verbaux qui ne reflètent pas une « demi vérité » mais toute la vérité des urnes !
Dans la requête de la Ceni , que Martin Fayulu Madidi accuse, cette autorité administrative déclare avoir proclamée vainqueur provisoirement Félix Antoine Tshisekedi sur la base des 18 millions des voix qui sont stockées dans les procès verbaux qui représentent les suffrages valablement exprimés par les congolais et congolaises. Par ailleurs , « si la Ceni que Martin Fayulu Madidi accuse sans preuves matérielles et judiciaires veut jouer le jeu du pouvoir en place, elle peut introduire des procès verbaux qui appuient sa position et les juges de la Cour constitutionnelle n’y verront que du feu », rappelle cet observateur africain.
Le Paradoxe électoral
Bref, dans cette affaire, un principe de droit dit que le doute profite toujours à l’accusé (CENI). Tous les juristes qui convergeaient au tour de la Cour constitutionnelle ne voient pas comment est-ce que Martin Fayulu Madidi aura gain de cause dans ses prétentions devant cette haute juridiction de la République Démocratique du Congo. Le feuilleton politique Congolais nous réserve encore d’autres épisodes. Lentement mais sûrement, nous nous acheminons vers une cohabitation entre l’opposition et le pouvoir sortant car le régime Kabila a conservé sa majorité à l’assemblée.
Un paradoxe cependant, le même peuple qui a barré la route au candidat soutenu par le pouvoir a renouvelé sa confiance aux législatives et aux provinciales au régime sortant. Ainsi le peuple congolais a décidé de fixer les règles du jeu des partages politiques à travers l’affirmation du dispositif des contrepouvoirs qui sacralise l’essence même de la séparation des pouvoirs.