« Quand la banque sera réinventée, l’Afrique sera la ‘Silicon Valley’ de la banque du futur »
Après une vingtaine d’années dans le monde de la finance, le PDG et co-fondateur de TagPay, Yves Eonnet, est convaincu que face à l’évolution fulgurante des nouvelles technologies, la banque doit se réinventer. Il estime que l’Afrique sera la « Silicon Valley» de la banque du futur sur cette nouvelle donne – si tant est que le continent est le premier utilisateur du mobile banking dans le monde (+350% de progression entre 2007 et 2016), et s’attend à compter jusqu’à 660 millions d’utilisateurs de smartphone d’ici 2020.
En marge de la présentation de son livre intitulé « Fintech : les banques contre-attaquent » mardi 19 février à Dakar, l’initiateur de la plateforme digitale centrée sur le mobile s’est confié à Financial Afrik.
Vous êtes le directeur et co-fondateur de Tagpay, une plateforme digitale centrée sur le mobile. Pourquoi avoir organisé une rencontre à Dakar, après celle de Paris tenue l’année dernière ?
J’ai rassemblé aujourd’hui près d’une centaine de banquiers qui sont là pour écouter la présentation faite sur la révolution bancaire à travers mon livre. Je suis convaincu qu’il faut réinventer la banque, et l’Afrique sera la « Silicon Valley» de la banque du futur. Le phénomène qui se passe aujourd’hui en Afrique, c’est que 100% de la population active a un téléphone mobile. À partir du téléphone mobile, vous connaissez Orange money au Sénégal, en Côte d’Ivoire et MPESA au Kenya. Maintenant, ce qui se passe, c’est que les opérateurs télécoms essayent de récupérer les parts de marché. Il appartient désormais aux banques de s’approprier de cette nouvelle technologie et d’ouvrir de nouvelles façons de distribution des services financiers. Je parle des prêts, de l’épargne, des transferts internationaux, des paiements de factures, des salaires. Bref, tout ce qui est utilisé aujourd’hui comme cash. Ils doivent devenir des systèmes beaucoup plus sécurisés, moins chères, facile à utiliser pour permettre une meilleure inclusion financière. Notre travail consiste à aider les banques à se révolutionner et à assurer leur transition numérique à travers la digitalisation bancaire.
Les banques africaines peuvent-elles réussir le pari de l’inclusion financière à travers le mobile banking ?
Bien entendu, les banquiers africains sont les plus chanceux au monde. Ils disposent d’une énorme potentialité de croissance en termes de clients. Le taux de bancarisation se situerait à 20% dans beaucoup de pays africains. Maintenant, il suffit d’utiliser la digitalisation bancaire comme un levier pour bancariser les non bancarisés et de mobiliser l’épargne locale.
Justement, vous parlez de l’épargne intérieure dont la mobilisation constitue un véritable casse-tête dans les pays dits émergents. Pensez-vous que la digitalisation des banques pourrait aider à capter ces ressources ?
Effectivement. C’est pourquoi on fait tout ce travail. La banque doit mobiliser l’épargne locale. La bancarisation des non bancarisés s’appelle la mobilisation des ressources locales. Et cela est stratégique pour l’émergence des économies africaines. Aucun pays ne s’est développé sans la mobilisation de l’épargne locale et le continent africain n’échappera pas à cette règle. Il faut que les gens qui ont des revenus puissent mettre leurs argents à la banque afin que celle-ci participe efficacement aux financements des entreprises et de l’économe d’une manière générale. Il est donc indispensable de servir les populations pour obtenir l’épargne qui doit pouvoir résorber ce gap qu’on attend depuis très longtemps. Et c’est ce cercle vertueux qu’on a commencé à faire en Afrique.
Quelles sont les contraintes majeures que vous rencontrez en Afrique dans cette mission ?
La contrainte majeure est le conservatisme. Je pense qu’il est indispensable que les banquiers prennent la responsabilité de leur métier qui est de développer l’économie et de bancariser les populations. Je parle de mobilisation de l’épargne locale qui est absolument stratégique pour l’Afrique pour assoir le développement de ses entreprises et de son économie. C’est aux banquiers de le faire. Jamais les opérateurs télécoms ne le feront de même que Google, Facebook… Ils vont travailler dans les services financiers mais ne joueront pas le rôle de moteur de l’économie. C’est donc aux banques de le faire et l’obstacle numéro un aujourd’hui, c’est de trouver des banquiers visionnaires.
Votre bilan pour l’année 2018 ?
Depuis plus de 10 ans, on travaille avec les banques africaines. L’année 2018 a été une rupture et de transformation complète de nos activités. À partir de juin 2018, nous avons commencé à travailler avec les banques françaises. On a exporté les technologies africaines vers la France. L’hexagone a connu de nouvelles banques, en l’occurrence la banque postale française. Cet établissement a pris notre plateforme et donc, a pu s’adapter aux technologies africaines pour servir les clients français. C’est une étape fantastique qui a permis de s’ouvrir au marché européen avec cette digitalisation bancaire qui a été inventée en Afrique.
En ce qui concerne le chiffre d’affaires de Tagpay, il est passé de 3 à 4,5 millions d’euros entre 2017 et 2018. Notre plateforme, composée d’une trentaine de collaborateurs a également effectué environ 200 millions de transactions en 2018.
Qu’en est-il de votre feuille de route pour 2019 ?
L’année 2019 sera une continuité. Il y aura un regain d’activité en Europe, en Asie, en Amérique et en Afrique. D’ailleurs sur le continent, deux ou trois nouveaux pays vont s’ouvrir avec nos technologies. Et on pense convaincre deux et trois banques occidentales de choisir notre plateforme. Tagpay va assoir son leadership mondial à la fois sur l’Afrique et sur l’Europe.
Propos recueillis par Ibrahima Junior Dia