Par Doussou Komara Massandouno.
Nous savons tous qu’il ne peut y avoir de corruption sans corrupteur ! Il y a pléthore de textes juridiques contre les corrompus, mais qu’en est-il de leurs “complices” ?
En effet, il ne faut pas oublier que le pacte de corruption a deux parties, qui sont, le corrupteur et le corrompu. Pour distinguer les deux aspects de l’infraction, on parle de la corruption “passive”, qui est du fait du corrompu, et corruption dite “active” qui est le fait du corrupteur.
La Communauté internationale a, depuis peu, fait le constat évident qu’il ne peut y avoir de lutte efficace contre la corruption, sans un système légal qui poursuit et punit également les corrupteurs, notamment dans le cadre des transactions commerciales internationales.
La Convention Anti-Corruption de l’OCDE intitulée « Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales », entrée en vigueur en 1999, est le premier et seul instrument international de lutte contre la corruption ciblant « l’offre », c’est-à-dire la personne ou l’entité qui offre, promet ou octroie un pot-de-vin, Le Corrupteur !
Il faudrait préciser que cette Convention a été promue principalement par les Etats-Unis, qui souhaitaient que leurs partenaires commerciaux soient assujettis à une législation sur le modèle du Foreign Corrupt Practices Act (loi sur les pratiques de corruption à l’étranger), ou loi FCPA, qui est une loi fédérale des Etats-Unis datant de 1977.
La loi FCPA, qui a été adoptée par le Congrès américain suite au scandale du Watergate, érige en infraction pénale la corruption d’agents gouvernementaux étrangers. Elle a un caractère d’extraterritorialité. En effet, elle est applicable à l’ensemble des actes de corruption commis par des entreprises ou des personnes, américaines ou non, qui sont soit implantées aux Etats-Unis, soit simplement cotées en bourse sur le territoire américain ou qui participent d’une manière ou d’une autre à un marché financier régulé aux États-Unis.
Les Etats-Unis donc, qui ont adopté cette loi depuis 1977, ont été en quelque sorte à l’origine de l’adoption en 1999 de la Convention Anti-Corruption de l’OCDE, soit plus de 20 ans après la législation américaine dans ce même domaine.
Avant l’entrée en vigueur de la Convention, aussi choquant que cela puisse paraitre, la plupart des Etats de l’OCDE étaient tellement laxistes vis-à-vis de la corruption d’agents publics étrangers qu’ils lui accordaient carrément un traitement fiscal favorable, la considérant, sans complexe, comme le coût normal de la conclusion d’un contrat. Les montants des pots-de-vin ainsi versés étaient considérés comme des dépenses déductibles des revenus imposables ! Cet acte, qui constitue sans équivoque un délit pénal aujourd’hui, était alors considéré comme une pratique commerciale tout à fait normale. En 1996, seuls 14 des 29 Etats membres de l’OCDE refusaient expressément la déductibilité des pots-de-vin versés à des agents publics étrangers à titre de règle générale. Parmi eux, le Canada, le Royaume-Uni et les Etats-Unis qui rejetaient déjà cette pratique en raison du caractère illicite des pots-de-vin dans leur propre pays.
Des pays comme le Danemark, la Suède ou la Norvège traitaient les pots-de-vin versés à des agents étrangers comme étant des dépenses commerciales déductibles, dès lors que les montants étaient étayés par des documents et si le versement de pots-de-vin constituait “une pratique habituelle” dans le pays du bénéficiaire. C’est d’ailleurs cette fameuse notion de “pratique commerciale habituelle” qui est encore évoquée, jusqu’à présent, comme “excuse” devant les tribunaux par les personnes accusées de corruption d’agents publics étrangers.
Dans les pays comme la France, l’Allemagne, la Suisse et bien d’autres, les pots-de-vin versés à des agents publics étrangers étaient traités fiscalement comme n’importe quelle autre dépense commerciale, dès lors qu’il existait des documents suffisants prouvant que la dépense était une composante nécessaire de la transaction commerciale. C’est uniquement cette dernière condition qui rendait parfois cette déductibilité impossible dans la pratique, car les documents justificatifs doivent comporter l’identité du bénéficiaire des pots-de-vin… information à l’évidence que personne ne souhaitait donner !
Il a fallu attendre jusqu’à 1997 pour que l’OCDE adopte une Recommandation appelant ses pays membres concernés à réviser leur législation afin de refuser la déductibilité fiscale des pots-de-vin versés à des agents publics étrangers.
En 1999, la Convention Anti-Corruption de l’OCDE est entrée en vigueur. Elle définit l’infraction de corruption d’agents publics étrangers comme étant « le fait intentionnel, pour toute personne, d’offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indu pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles, en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international ».
La Convention établit des normes juridiquement contraignantes faisant de la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales une infraction pénale. Les pays signataires doivent mettre en place des sanctions pénales efficaces, proportionnées et dissuasives contre leurs ressortissants jugés coupables de corruption d’un agent public étranger.
À ce jour, elle a été ratifiée par 44 pays, qui sont les 36 pays membres de l’OCDE et 8 autres pays non-membres : l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, la Bulgarie, la Colombie, le Costa Rica, le Pérou et la Russie.
Selon l’OCDE, ces 44 Etats parties à la Convention anti-corruption représentent 81% des encours d’investissements directs étrangers (IDE) sortants, et 66% des exportations mondiales. Ces pays comptent également 95% des plus grandes multinationales non-financières, et la totalité des 50 plus grandes entreprises financières du monde. Ces données clés montrent toute l’importance du rôle de l’OCDE, dans le cadre d’une lutte mondiale efficace contre la corruption.
Pour ce qui est de la mise en application des dispositions de la Convention anti-corruption par les Etats parties, les résultats sont existants…mais insuffisants. Jusqu’en 2016, plus de la moitié des Etats parties n’avait condamné aucune personne, physique ou morale, pour corruption transnationale. Entre 1999 et fin 2017, seuls 23 Etats sur les 44 signataires de la Convention ont effectivement condamné des personnes pour des infractions relevant de la Convention, pour un total de 560 personnes physiques et 184 personnes morales.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, une étude de l’OCDE datant de 2014, qui analysait le coût de la corruption transnationale, a mis en évidence le fait que les pots-de-vin étaient généralement versés pour remporter des contrats auprès d’entreprises détenues ou contrôlées par l’État, dans les économies avancées, bien plus que dans les pays en développement, et que la plupart des corrupteurs et des corrompus venaient des pays riches. Et dans 57% des affaires analysées, les pots-de-vin ont été versés en vue de remporter des marchés publics.
Toujours est-il que, dans le domaine de l’attribution de marchés publics à des
entreprises étrangères dans des domaines tels que l’industrie extractive de
matières premières, les infrastructures, la fourniture de médicaments ou
d’électricité, l’Afrique reste particulièrement vulnérable. La corruption des
agents publics fausse le fonctionnement des marchés, sape le développement
économique et cause parfois, et même trop souvent, de graves préjudices à la
santé et à la sécurité des populations.
On est alors en droit de se demander où se situe l’Afrique dans cette dynamique internationale de lutte contre la corruption active.
En 2011, l’OCDE et la Banque Africaine de Développement (BAD) ont lancé l’initiative conjointe OCDE/BAD pour l’intégrité des entreprises et la lutte contre la corruption en Afrique. Cette initiative vise à aider les pays africains à lutter contre la corruption d’agents publics dans les transactions commerciales et à améliorer l’intégrité et la responsabilité des entreprises. Elle met également en relief et valorise les complémentarités qui existent entre la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, la Convention des Nations-Unies contre la corruption et la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers.
L’Initiative OCDE/BAD sera détaillée dans notre prochaine rubrique.
Bien entendu, ce qui est retranscrit dans le droit positif ne représente que l’intention affichée, le politiquement correct. C’est l’effective application de ces lois qui reflète la volonté réelle, la vraie. Cela vaut dans tous les domaines, et la lutte contre la corruption ne fait pas exception à cette règle. C’est donc un bon début d’avoir des règles de droits qui incriminent la corruption, active et passive, mais c’est encore mieux que cela se reflète dans les faits…ce qui semble loin d’être acquis.
Bibliographie :
- Site du Département de la Justice des USA sur le Loi FCPA : https://www.justice.gov/criminal-fraud/foreign-corrupt-practices-act
- Recommandation de l’OCDE sur la déductibilité fiscale des pots-de-vin versés à des agents publics étrangers, 1996
- Le Site Internet de l’OCDE sur la Convention de lutte contre la corruption : http://www.oecd.org/fr/corruption/conventionsurlaluttecontrelacorruptiondagentspublicsetrangersdanslestransactionscommercialesinternationales.htm
- Rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale, 2014
Un commentaire
Il faudra bien ajouter à cet arsenal juridique « le recel », élargi à toute institution qui accepte d’abriter (et utiliser) des ressources provenant des corrupteurs/corrompus, auquel cas de nombreuses banques et paradis fiscaux seraient passibles de poursuite.