Décédé le 23 mars 2015 à l’âge de 91 ans, Lee Kuan Yew était tout sauf un démocrate occidental, terme qu’il opposait à la démocratie consensuelle asiatique. Le père fondateur de Singapour avait imposé à ses concitoyens le choix de la discipline avant la liberté, le droit au pain avant le droit au vote.
Les Singapouriens pouvaient bien choisir leurs céréales à midi mais pas leurs délégués syndicaux. La triptyque de ce dirigeant légendaire dont les diatribes ont souvent ému Londres est faite de discipline, d’autorité et de mérite. Singapour est devenu une caserne militaire prospère dont les super-marchés étaient courus par la jet set asiatique et mondiale. L’opposition n’était pas sa tasse de thé et il ne s’encombrait pas de formules pour imposer sa formation, le Parti d’action du peuple, dans le coeur de chacun de ses citoyens.
Obsédé par l’efficacité et l’amélioration réelle du droit des affaires et de la cité, imperméable à la corruption, l’architecte du miracle de Singapour n’était pas obnubilé par les classements qui font de vous un bon ou mauvais élève. D’ailleurs, les officines de classement ne l’ont honoré que sur le tard. C’est seulement en 2004 que la Banque Mondiale a consacré Singapour meilleur pays pour les affaires, position qu’il occupera neuf années de suite. C’est dire que l’ entêtement de Lee Kwan Yew à suivre sa voix et à se méfier des formules toutes faites a été payant.
Le petit caillou de 700 km2 a vu son revenu par habitant passer de 460 à 56 000 dollars entre 1959 et la fin 2014. Singapour est la huitième économie mondiale. En jouant avec son emplacement stratégique aux carrefours des routes maritimes allant de la Chine à la Malaisie, l’ancien comptoir britannique à l’abandon est devenu l’une des plaques tournantes du transport maritime mondial, de la transformation des produits pétroliers et de la finance.
Sous le magistère de ce père fouettard, le territoire de 700 km2, sans eau, sans agriculture et sans ressources naturelles, est devenu l’un des quatre tigres asiatiques qui ont éclairé la littérature de l’économie du développement d’un nouveau chapitre. Devenu premier ministre à l’âge de 35 ans au moment où Singapour a acquis une autonomie au sein du Commonwealth, Lee Kwan Yew a œuvré au rapprochement avec les voisins en participant à la création de la zone de libre-échange entre les nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) en 1968 et de l’AFTA (Asean Free Trade Area) en 1992.
Le diplômé en droit à Cambridge a bien administré son pays, en reconduisant une croissance moyenne de 9% par an entre 1960 et 1984. L’on ne lui connaît pas de comptes en banque à l’étranger, de maisons ou palais aux USA et en France. C’est clair, son logiciel lui a permis de réussir la prouesse surhumaine de ne pas se laisser corrompre par le pouvoir absolu. Le tigre Lee Kuan Yew a cédé son poste en 1990 devenant ispo facto le PCA de la multinationale Singapour en conseillant son successeur Goh Chok Tong qui gouvernera jusqu’en 2004.
Le paternalisme du régime est réel. C’est le propre fils du père fondateur, Lee Hsien Loong, qui dirige le pays depuis 2004. Lee Kuan Yew est mort au milieu des siens, assisté par l’un des systèmes de santé les plus performants au monde pendant que d’autres dirigeants de chez nous continuent à se faire arracher leurs dents à Genève. Les 5 millions de ses concitoyens qui lui ont rendu hommage le savent, ils sont devenus plus riches que les britanniques. Avant de partir, le vieux sage a eu le temps de leur dire: « il faut rompre avec le passé». Comme qui dirait, le développement précède la démocratie…