Par Amath Ndiaye, Maître de Conférences Université C.A. Diop Dakar
Dans le débat actuel sur le franc CFA, l’argument d’une surévaluation du CFA est souvent invoqué pour dire qu’il nuit à la compétitivité économique des pays africains de la zone franc.
Tout d’abord, il convient, pour la clarté du débat, de faire la distinction entre deux notions de compétitivité économique : la compétitivité-prix et la compétitivité structurelle. Comme vous pouvez le deviner, la première est liée à l’évolution des prix alors que la seconde relie la compétitivité aux effets de structure.
La compétitivité-prix est la capacité à produire des biens et des services à des prix inférieurs à ceux des concurrents pour une qualité équivalente. Elle repose sur la capacité de produire à des coûts inférieurs à ceux supportés par les entreprises du même secteur. La compétitivité prix dépend donc des niveaux relatifs des coûts de production, des marges des producteurs et des niveaux du taux de change nominal. Le taux de change nominal n’étant rien d’autre que le cours d’une monnaie par rapport aux autres monnaies.
La compétitivité structurelle est la capacité à vendre ses produits ou services indépendamment de leur prix mais en faisant valoir d’autres arguments (qualité, innovation, services après-vente, image de la marque, délais de livraisons, capacité de s’adapter à une demande diversifiée, etc.). Ce type de compétitivité demande du temps pour se construire car elle repose sur la perception de l’offre par les clients, perception qui elle-même se bâtit sur le long terme en fonction de la satisfaction procurée dans le passé. Elle exige aussi beaucoup d’investissements pour développer et maintenir la spécificité de l’offre. Ainsi, la compétitivité structurelle d’une économie dépend des infrastructures, de la gouvernance publique, de l’environnement des affaires, de la qualité des ressources humaines, des performances macroéconomiques, entre autres facteurs.
Les pays de la zone CFA ont une bonne compétitivité-prix
Pour mesurer l’évolution de la compétitivité-prix d’une économie, contrairement à ce que font les détracteurs du CFA, on doit se référer au taux de change réel et non au taux de change nominal. En effet le taux de change réel est l’indicateur qui prend en compte aussi bien les prix que le taux de change nominal. Au vu des données fournies par la Banque Mondiale, entre 2000 et 2017, le taux de change réel, des pays de la zone CFA comme la Côte d’Ivoire et le Togo ont connu des gains de compétitivité. En effet, l’indice du taux de change réel a baissé, passant de 100 à 99 pour la Côte d’Ivoire et de 100 à 93 pour le Togo (1). En cette même période, il augmentait en Chine et au Nigéria, passant respectivement de 100 à 120 et de 100 à 105.
La Chine qui a perdu en compétitivité prix, son indice est passé de 100 à 105, n’en continue pas moins d’inonder le marché africain de toutes sortes de produits. A travers elle, l’on s’aperçoit que la compétitivité est déterminée par plusieurs facteurs en dehors du prix ou taux de change nominal (cours de la monnaie).
Ce que les pays africains hors zone CFA gagnent en compétitivité-prix avec la dépréciation de leurs monnaies, ils peuvent le perdre avec l’inflation induite par cette même dépréciation. Ils sont victimes de ce que les économistes appellent l’inflation à travers le taux de change ou «exchange rate pass-through to prices». Ce phénomène peut expliquer le pourquoi, sur la période 2000-2017, le Togo et la Côte d’Ivoire ont une meilleure compétitivité-prix que la Nigéria.
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En outre, pour une économie de l’Afrique Sub-saharienne, spécialisée dans l’exportation de produits primaires, la dépréciation de la monnaie ne se traduit pas souvent par des gains de parts de marché, pour plusieurs raisons. La première tient au fait que les cours des produits de base sont fixés en dollars sur le marché international et que leurs fluctuations rendent vulnérables les pays producteurs. Dans une phase de hausse des cours, les recettes d’exportation augmentent plus par l’effet de l’amélioration des prix que par l’effet d’une croissance du volume exporté. En effet, les capacités de production très contraintes ne permettent pas souvent d’accroitre la production. Dans une phase de baisse des cours, souvent consécutive à la baisse de la demande mondiale, les recettes d’exportation et les volumes exportés baissent. Une double baisse qui entraine souvent la dépréciation de la monnaie, le renchérissement des importations, une forte inflation, une augmentation du service de la dette et une détérioration du solde de la balance des paiements courants. Le Venezuela et le Soudan, qui se débattent actuellement dans une crise, à l’origine économique puis socio-politique, en sont d’illustres exemples. Lorsque le Soudan du Sud a fait sécession, le pays a été amputé de 75% de ses revenus pétroliers. Un manque à gagner accentué par la chute du prix du baril. En 2018, la valeur de la monnaie s’est effondrée et l’inflation a augmenté de 70%, les prix des produits de base ont explosé ; un tel scénario catastrophe aurait pu être évité si le pays avait une monnaie plus stable. Les pays de la CEMAC, avec une monnaie plus stable, le CFA, ont été plus résilients face à la chute du prix du pétrole.
Se limiter aux indicateurs du taux de change nominal ou du taux de change réel ne permet pas de prendre en compte les nombreux facteurs déterminants de la compétitivité économique.
Pour une analyse plus exhaustive de la compétitivité, il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble de ses déterminants structurels. Il s’agit d’évaluer la compétitivité des secteurs institutionnels (droits de propriété, gouvernance publique), économiques (stabilité macroéconomique, marché du travail), et sociaux (santé et éducation) .A cet effet, des structures telles que le « Forum Economique Mondial » (WEF) propose des indices composites. Par exemple, le Global Competitiveness Index (GCI) ou Indice de Compétitivité Globale affiné à la lumière de tests et de feed-back d’experts. Cet indice prend en compte plus d’une centaine d’indicateurs regroupés en différents axes permettant d’évaluer les conditions économiques des pays, quelques soient leurs stades de développement. Ces indicateurs sont considérés comme des moteurs essentiels de la productivité et de la compétitivité. (2)
A l’analyse des données fournies par le WEF dans son rapport 2018, il ressort que les économies africaines en général manquent cruellement de compétitivité, ce qui se vérifie surtout en Afrique subsaharienne. Alors que la moyenne mondiale est de 60 (démontrant qu’aucun pays dans le monde n’est à 100% compétitif), l’indice de compétitivité en Afrique subsaharienne est de 45,2 sur 100. En plus de classer la région comme dernière du classement mondial ; ce score indique surtout que l’Afrique subsaharienne n’atteint même pas le seuil minimum de la moitié de la note maximale, soit 50 sur 100.
D’après les statistiques fournies, 17 des 34 économies de l’Afrique subsaharienne étudiées dans le rapport font partie des 20 les moins performantes. Alors qu’aucun pays africain n’est présent dans le top 10 des économies les plus performantes au monde, on constate que huit pays de la région sont présents parmi les 10 pays les moins compétitifs. Notons que seuls deux pays du continent (Maurice, Afrique du Sud) affichent un indice de compétitivité supérieur à la moyenne mondiale (avec respectivement 63,7 et 60,8), tandis que le Tchad occupe le bas du tableau continental et mondial (140e sur 140 pays) avec un indice de 35,5.
Le manque de compétitivité économique de l’Afrique au Sud du Sahara est donc structurel ; ce qui explique qu’elle ne peut pas profiter des opportunités offertes par l’AGOA et l’Accord « tout sauf des armes » (3)
Il ressort de l’examen approfondi de l’AGOA que si les flux commerciaux entre les bénéficiaires du programme et les États-Unis ont presque triplé- à 70% grâce à l’AGOA- ils n’en reflètent pas moins le manque de compétitivité des économies africaines. Elles continuent d’exporter des produits primaires et sont incapables d’offrir des produits manufacturés. La situation est la même en ce qui concerne l’Accord « Tout sauf des armes » qui donne la possibilité aux pays moins avancés (PMA) d’Afrique d’exporter leurs produits vers l’Union Européenne sans payer de droit de douane. Cette sous-utilisation de l’AGOA et de l’Accord « Tout sauf des armes » est, en grande partie, due à des problèmes d’offre concernant l’Afrique: contraintes de capacité, absence de diversification de la production, manque d’infrastructure, lacunes institutionnelles, difficultés économiques, inexpérience en matière de marketing et de mise en marché, risque politique et problèmes liés aux exigences des marchés américain et européen et américain, entre autres.
En conclusion, la compétitivité économique consiste fondamentalement en la mise en place d’une dynamique de structures capables de s’adapter aux mutations des processus de production et de la demande mondiale. L’évolution du taux de change ne peut avoir que des effets conjoncturels et pour les économies africaines fortement dépendantes de l’exportation de produits primaires, stabiliser la monnaie apporte une plus grande résilience aux chocs économiques exogènes.
- Source : Data Bank Banque Mondiale, https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/px.rex.reer.
Le taux de change effectif réel, pour un pays donné, est un indice qui exprime le rapport entre ses prix nationaux et les prix de ses principaux partenaires commerciaux. Lorsqu’il augmente (baisse) cela veut dire que le pays gagne (perd) en compétitivité-prix.
- The global Competitiveness Report 2018. World Economic Forum /Forum Economique Mondial.
- AGOA : African Growth Opportunities Act , Loi sur la Croissance et les Opportunités de Développement en Afrique, est une loi américaine votée et promulguée en mai 2000 par le Congrès américain, sous l’égide du Président Bill CLINTON.
Un commentaire
Si on est capable de former nos États, on peut librement former notre monnaie. On maîtrisera mieux notre gestion interne que de philosophie des franchisés qui nous en merde. « Kick CFA Out of Africa »