Le secteur des assurances au Sénégal est sous tension. La compagnie d’assurance Amsa multiplie les manœuvres pour ne pas rejoindre le Pool d’Assurance des Risques Pétroliers & Gaziers du Sénégal. Pour rappel, le regroupement de sociétés d’assurance agréées sur le marché sénégalais, qui ambitionne de couvrir les risques pétroliers selon le principe de la coassurance, est une organisation en vertical avec la SEN-RE et le marché International de la Réassurance.
La démarche, une première en zone de la Conférence interafricaine des marchés de l’assurance (CIMA*), allait dans le sens du renforcement des capacités du Local Content du secteur privé des assurances au Sénégal.
En effet, le Président Macky SALL a décidé depuis l’avènement relative aux découvertes pétrolières et gazières, de réformer le secteur et de l’organiser (mise en place du COS Petrogaz*, renforcement du respect des normes de transparence ITIE*, nouveau code pétrolier, loi sur le local content…) afin que celui-ci puisse avoir une organisation cohérente pour optimiser les retombées des ressources par le renforcement des capacités du contenu local en faveur du secteur privé Sénégalais. Faut il rappeler la déclaration du Président Macky Sall lors du Groupe Consultatif et concernant le local content, notamment celui du secteur des assurance?
Le 21 décembre 2018 à l’Hôtel Salomon de Rothschild, le chef de l’Etat avait estimé qu’en ce qui concerne:« …la gestion de la logistique, ainsi que les services divers, les assurances, tout ça. Nous pourrons travailler avec le secteur privé national et international pour que…cela puisse être propice au développement national… »
L’exception ambigüe d’Amsa
Le secteur des assurances a compris le message lancé par le chef de l’Etat et a souhaité y répondre favorablement en s’organisant par la mise en place d’un Pool dédié aux risques Pétroliers et Gaziers. Aujourd’hui ce Pool est fonctionnel et l’ensemble des compagnies sont membres à une exception ambiguë d’AMSA.
Ambiguë car cette dernière a envoyé un courrier officiel désignant Déthié AW comme représentant ses intérêts au sein du Pool, mais au même moment AMSA ne signe pas les statuts. Deuxième fait qui souligne l’ambiguïté d’AMSA, elle appose sa signature et son cachet sur une affaire venant du Pool, pour ensuite envoyer un courriel indiquant qu’elle souhaitait annuler sa participation. Quelle explication donner à des positions aussi contraires ?
Quel est le message que fait passer François BAKOU qui manoeuvre pour s’arroger l’ensemble des programmes d’assurance sur le pétrole et le gaz au Sénégal, risque qui couvre une matière première Sénégalaise, qui selon la constitution appartient au peuple sénégalais? En principe, les retombées liées à ce programmes doivent avant tout être gérées en toute transparente dans leur réintégration au sein de l’économie Sénégalaise.
Avant la création du Pool, un comité Scientifique avait été mis en place avec comme membres Mamadou DIOP, DG de la SONAM, Alioune DIAGNE, DG d’AXA Assurance Sénégal, Majdi YASSINE, Administrateur Directeur Général de SAHAM Assurance Sénégal (membre du Groupe SANLAM).
Ce comité scientifique était présidé par Adama NDIAYE, actuel Président de la FANAF, ancien Commissaire Contrôleur de la Cima, Ex DGA d’AVENIR RE, Ex-DG de SEN RE et administrateur dans plusieurs compagnies d’assurances en zone CIMA.
Après un travail de bencharmaking des expériences liées à la couverture des assurances des activités pétrolières à l’échelle mondiale et particulièrement africaine, la conclusion de l’étude était claire et se résumait à la mise en Place du Pool Pétrolier et Gazier.
Les avantages d’un tel Pool sont multiples pour ne citer que la construction commune au niveau d’un marché d’un contenu local fort, l’optimisation du cost-oil en faveur de l’Etat par la mise à profit de l’expérience du marché sénégalais en matière de négociation sur le marché international de la réassurance, la surveillance de la règlementation en matière d’assurance et de réassurance avec la participation de la SEN RE, la génération d’un revenu pour le secteur pouvant allant jusqu’à 25% du montant de la prime d’assurance, soit environ 10 milliards par an, qui pourront contribuer aux souscriptions des émissions obligataires de l’Etat du Sénégal.
Faut-il le rappeler, les compagnies d’assurances du Sénégal sont les premières contributrices aux émissions obligataires de l’Etat et des bons du trésor sénégalais. Pour conforter ce trend, les experts estiment qu’il faut éviter un traitement des opérations réductrices par la mise en place de fronting sous-rémunéré, ce procédé dévastateur qui réduit la compagnie d’assurance à un simple intermédiaire pour des risques qui sont rétrocédés entièrement à l’extérieur.
Le local content face aux lobbys puissants
Malheureusement, c’est ce scénario du fronting, contraire aux vœux du président Macky Sall sur l’implication du secteur privé, et aux toutes dernières réformes de la CIMA, qui est privilégiée par certains lobbyistes.
A commencer par le Sénégalo-ivoirien François Bakou, qui veut jouer en solo, fortement soutenu par Marsh Sénégal, qui est détenu minoritairement par le groupe Marsh Mc Lennan, une maison de courtage internationale, et, susurre-t-on, quelques cadres de la Direction de l’Assurance.
La compagnie Amsa détenue en majorité par François BAKOU, avait , rappelons-le, reçu un marché de plus de 10 milliards de FCFA concernant l’IFC de la SENELEC en 2017. Cette même structure avait fait les gros titres dans les affaires de la Société Africaine de Raffinage (SAR) et de l’ARTP (régulateur des télécoms ), affaires pour lesquelles l’Inspection Générale d’Etat et la Cour des Comptes avaient épinglé AMSA…
Pourquoi le puissant François Bakou fait aujourd’hui un pied de nez au marché sénégalais ? Certains prétendent qu’il trouve sa protection en très haut lieu, ce qui du reste est à vérifier… Bénéficierait-il d’une caution lui permettant de concourir en solo pour assurer à lui seul et par devers Amsa, un risque pétrolier ?
D’aucuns parlent de potentiel conflit d’intérêt en rappelant que le Directeur des Assurances, Mamadou Dème, est aussi administrateur au sein la compagnie AMSA…, au nom des parts ultra minoritaires que l’Etat avait acquis dans cette compagnie.
Certains pensent, que la posture doit être clarifiée dans les plus brefs délais, et que cette situation ne saurait se maintenir pour des raisons d’éthique et de déontologie, le régulateur doit être équidistant de l’intérêt d’une seule compagnie, qu’il doit contrôler. Un Directeur Général de la place indique que « cette situation est explosive, elle met en danger tout un secteur, et expose la crédibilité de l’Etat et ses démembrements. D’ailleurs pourquoi la Direction des Assurances continue à occuper un tel poste qui compromet sa légitimité d’autorité de contrôle? »
Pour confirmer les propos de ce DG, nos analystes politiques indiquent que le Président Macky SALL dans son nouveau mandat souhaite mettre de l’ordre pour renforcer les institutions. La feuille de route se dessine petit à petit, mais ce que nos analystes retiennent sont deux messages lancés par le chef de l’Etat, le premier, à l’endroit des Ministres, pour leur rappeler que « les postes ministériels ne sont pas éternels», et le second message est d’avoir « … le sens de l’écoute, le dialogue social avec les acteurs des différents secteurs, ainsi que l’ouverture à toutes les forces vives de la Nation». En outre, le président Sall exhorte le gouvernement de concentrer ses efforts à «…la promotion du secteur privé »
Les objectifs communs entre Amsa et Marsh Sénégal se reflètent parfaitement dans les récentes déclarations de Cheikh Bâ, le DG de Marsh Senegal, estimant que le risque pétrolier «ne peut être assuré par le marché sénégalais» ?
Ces déclarations, selon l’ensemble du marché, sont totalement infondées. Les acteurs du secteur ont indiqué qu’ils comprennent mieux aujourd’hui l’objectif des déclarations de Cheikh BA qui serait de court circuiter tout un marché au nez et à la barbe de l’économie sénégalaise…
Nos enquêtes ont révélé que le marché Sénégalais présente un vraie et réelle compétence depuis des années, qui se confirme par une garantie sous capitaux de près de 15 Milliards de USD et cela sur seulement 10 clients. Par ailleurs, le marché, à travers Saham Assurance, avait assuré les phases d’exploration de CAIRN ENERGY pour des capitaux sous garanties de quelques centaines de millions de USD. Pourquoi donc, au regard des états de service du secteur, un «professionnel» des assurances comme MARSH sous-estime-t-il le marché qui, pour information, est en train de devenir le deuxième marché d’assurance de la Zone CIMA ?
Le Pool souscrit son premier contrat
Pour confirmer l’effectivité du Pool, Majdi YASSINE, et Adama NDIAYE, respectivement, Président et Directeur Exécutif du Pool d’Assurance des Risques Pétroliers et Gaziers, viennent d’annoncer la réalisation de la première affaire en assurant une plateforme pour des capitaux de près de 130 milliards de FCFA, avec une coassurance qui a permis de servir toutes les compagnies d’assurance (28 sur 29, seule Amsa n’a pas souscrit), créant ainsi une solidarité sans précédent sur le marché. Cette affaire souscrite en collectif augure de belles perspectives de la mise en commun des compétences et capacités de tous. Dans ce qui constitue une première, le Pool a collaboré avec le marché international de la réassurance notamment celui de Londres et selon les critères exigés par les bailleurs de fond. L’opération ainsi bouclée démontre à suffisance que le marché sénégalais est assez mature et compétent pour structurer des solutions à des standard internationaux.
D’ailleurs, les autres courtiers internationaux spécialisés dans la réassurance à l’international ont, contrairement à MARSH, approché le marché à travers le Pool, pour manifester leur soutien à cette initiative et leur disposition à œuvrer pour la construction d’un marché structurant au profit du Sénégal par la mise à disposition de capacités dépassant 3 milliards de USD. Une stratégie apparemment qui ne s’inscrit pas dans les objectifs du Groupe Marsh McLennan qui, à travers Marsh Sénégal, participe, en collaboration avec AMSA, à déstabiliser le pool pétrogaz. Comment la Direction des Assurances compte-t-elle jouer son rôle, qui rappelons le, est de favoriser toute initiative portée par un marché afin d’en soutenir son développement et sa cohésion ? La Direction des Assurances actuelle sera-t-elle aussi courageuse et visionnaire pour accélérer le processus d’arrêté Ministériel pour participer de manière inclusive à l’émergence du secteur des assurances au Sénégal, comme cela avait été fait de façon courageuse et transparente en 1998 pour les risques de Transports Public des Voyageurs, ce qui avait permis de réunir tout un marché pour éviter la faillite d’une classe de risque sensible ? Cèdera-t-elle face à l’obstination d’une seule compagnie ? Alors qui a intérêt à faire saborder le pool petrogaz?
Notes
*La CIMA couvre 14 pays regroupant le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée Bissau, la Guinée Equatoriale, le Mali, le Niger, la République Centrafricaine, le Sénégal, le Tchad et le Togo.
*Cos Petrogaz: le Comité d’Orientation stratégique du Pétrole et du Gaz est chargé d’assister le président de la République et le gouvernement dans « la définition, la supervision, l’évaluation et le contrôle de la mise en œuvre de la politique de l’Etat en matière de développement de projets pétroliers et gaziers. Il est composé du Premier ministre, du ministre en charge de l’Energie, du ministre de l’Industrie et des Mines, de l’ITIE, de représentants d’institutions de la République ainsi que d’autres structures intervenant dans le secteur de l’énergie.
*ITIE: La Norme ITIE est la norme internationale pour la transparence et la responsabilité entourant les ressources pétrolières, gazières et minérales d’un pays.