Par Djily Mbaye Fall, Islamic Cooperation Expert.
L’aspect confessionnel de la géopolitique Arabo-Africaine mérite d’être décrypté dans la crise du golfe opposant Doha à Riyad et ses alliés, dans la mesure où sur les 54 pays d’Afrique, tous ceux qui ont pris position ont la particularité d’être membres de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) dont le siège est en Arabie Saoudite.
Ce royaume abrite les terres saintes de la Mecque où le pèlerinage, un des piliers de la religion musulmane, s’effectue à la Kaaba, et de Médine où repose le prophète Mohamed (PSL). Pour les Etats d’Afrique à majorité chrétiens, tous non membres de l’OCI, l’absence de relations diplomatiques avec les parties opposées dans la crise pour certains et pour d’autres l’insuffisance de liens forts avec les monarchies du Golfe , ont fait qu’ils ont brillé par leur mutisme. Fort de ce constat, l’analyse de la diplomatie africaine dans la crise du golfe, sous l’angle de la foi, a fait comprendre à Doha que l’heure est venue pour elle , d’une part de redynamiser la coopération avec ses partenaires traditionnels en Afrique (membres de l’OCI), et d’autre part s’ouvrir davantage aux Etats à majorité chrétiens du continent qui ont la spécificité de ne pas entretenir de liens profonds avec Riyad.
Cette vision politique religieusement hybride a conduit l’Emir Cheikh Tamim Al Thani à effectuer une tournée ouest africaine en décembre 2017 qui l’a mené au Sénégal, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Ghana, en Guinée-Conakry et au Mali, pays presque tous à majorité musulmans. S’en est suivi l’accueil très chaleureux à Doha des Présidents de pays en majorité chrétiens tels que Mokgweetsi Masisi du Botswana, Emmerson Mnangagwa du Zimbabwe. Pour le Qatar, la mise en œuvre de cette stratégie africaine hybride s’accompagne parallèlement par des mesures favorisant l’installation d’ambassades dans sa capitale, exemple celle du Ghana ouverte en 2018, mais aussi l’ouverture de représentations diplomatiques sur le continent noir comme son ambassade à Banjul, ouverte l’année dernière.
Cependant, dans la nouvelle relation entre le Qatar et l’Afrique, l’axe Doha-Kigali mérite une lecture attentive du fait de son dynamisme spectaculaire malgré sa jeunesse. En effet, après l’établissement de la relation diplomatique entre les deux Etats en mai 2018, le premier tête-à-tête entre Cheikh Tamim Al Thani et Paul Kagamé s’est déroulé en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York en septembre 2018. Prise de contact soutenue deux mois plus tard par une visite à Doha de Paul à Cheikh où les accords dans les domaines de la promotion mutuelle des investissements, de la coopération économique, technique et commerciale sont signés entre les deux Etats.
Cinq mois plus tard en avril 2019, faisant preuve d’un pragmatisme sans précédent avec un Chef d’Etat africain, c’est un symbolique dimanche de pâques, fête la plus importante de la communauté catholique du monde et celle de la majorité des rwandais, que Cheikh Tamim Al Thani, comme le Messie du jour, a foulé Kigali, le miracle africain, pour y entamer une visite historique de trois jours, sa seconde en Afrique Subsaharienne depuis la crise du Golfe.
Aux allures d’œufs de Pâques
Des accords aux allures d’œufs de Pâques dans les domaines du transport aérien, du tourisme entre autres sont paraphés. En moins d’un an de l’établissement de la relation diplomatique, le cadre juridique qui régit la coopération Qataro-Rwandaise est déjà riche de plus de cinq accords. Jamais dans son histoire, le Qatar n’a signé autant d’instruments juridiques internationaux avec un pays africain, en un si laps de temps. Ce qui a suscité l’intérêt de Doha est que Paul Kagamé dont le leadership est reconnu partout dans le monde, récemment Président de l’Union Africaine, est actuellement le Président en exercice d’East African Community (EAC). Une organisation qui regroupe six pays: le Soudan du Sud, l’Ouganda, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et le Burundi, disposant d’importantes ressources non exploitées et ayant un marché commun des biens, des capitaux, du travail, élargi à la Southern African Development Community (SADC).
Ce dernier marché regroupe 16 pays: Malawi, Mozambique, Angola, Lesotho, Comores, Afrique du Sud, Maurice, Madagascar, Seychelles, Namibie, République Démocratique du Congo, Eswatini, Botswana, Zambie, Zimbabwe et Tanzanie. Séduisant pour le Qatar puisque la communauté des pays d’Afrique de l’Est que dirige le président Kagamé a entamé un processus d’union politique des Etats membres dénommée East African Federation. Ce mouvement est encouragé par le FMI qui a déjà estimé le PIB de la future fédération à 131 772 000 dollars US, ce qui en ferait le quatrième plus important d’Afrique.
Etant actionnaire majoritaire de la banque Ecobank qui dispose du deuxième plus grand réseau bancaire africain, présent dans 36 pays du continent avec cotation sur les bourses d’Abidjan, de Lagos et d’Accra, le Qatar pourrait investir dans l’économie anglophone à la croissance forte. Pour cela, le Rwanda paraît lui servir de porte d’entrée stratégique grâce à l’interconnexion de marchés élargis précités. Ce qui, dans un Moyen-Orient conflictogène, est susceptible d’apporter à Doha de nouveaux soutiens politiques africains parmi les Etats à majorité non musulman du continent au nombre de 26 et qui compenseront la loyauté vis-à-vis de Riyad des Etats africains membres de l’OCI qui sont au nombre 28.
Au-delà du continent africain, le Qatar, dans sa politique étrangère globale axée principalement sur le soft power, a déjà marqué son ouverture au monde chrétien en acceptant dans sa capitale la présence d’une église (Notre-Dame-du-Rosaire), tant chérie par les expatriés, pendant que certains pays de la région interdisent strictement l’édification d’un lieu de culte autre que musulman, ce qui paraît paradoxal vu que trois religions révélées ont pris naissance dans cette région du Proche et Moyen-Orient. Toujours, dans cette lignée, Doha a accrédité au Vatican un Ambassadeur et pas n’importe en la personne de Son Altesse Cheikha Mozah Bint Nasser Al Missned, femme la plus influente du monde selon le célèbre magazine américain Forbes. Il arrive lors des conférences sur le dialogue interreligieux à Doha que Monseigneur Francisco Montecillo Padilla, Nonce Apostolique du Saint-Siège dans la péninsule arabique, s’affiche aux cotés de prêtres, de rabbins et d’imams pour prendre avec eux un selfie au nom de la fraternité religieuse. Ce qui tente les observateurs de la scène internationale à se demander est ce que le Qatar est la maison d’Abraham sur terre à coté de Jérusalem?
A propos de l’auteur
Djily Mbaye Fall, Islamic Cooperation Expert, est Diplomatic Analyst , spécialiste du Qatar. Il est directeur du Think Tank « Observatoire de la Coopération Sénégalo-Qatarie » rattaché à l’Académie Diplomatique Africaine.