Par Rodrigue Fenelon Massala Kengue, Grand reporter.
Voici huit ans, jour pour jour, suite à la révolte ayant mis fin au règne sans partage du Guide de la révolution Mouammar Kadhafi, que la Libye est engluée dans une interminable crise de transition. Victime d’une insécurité persistante, d’une économie en lambeaux et des rivalités politiques et tribalistes, l’ex Jamahariya est confronté, qui plus est, à une gestion internationale polluée par les intérêts économiques des différents protagonistes. A lui seul, le dossier libyen illustre des rapports entre le nord et le sud où le messianisme droits-de-l’hommique » masque des enjeux souvent matériels. Pour cerner les contours de la question libyenne , Financial Afrik y consacre un dossier. Décryptage.
En effet, depuis la chute du régime Kadhafi, le pays est plongé dans une crise dont le règlement fait l’objet de marchandages diplomatiques. Les fissures dans les différentes options et initiatives prises à divers niveaux entre d’une part l’Union Africaine, l’ONU et, d’autre part, la France, les pays du monde Arabe, la Russie et les Etats-Unis en embuscade. Les agendas de ces différents protagonistes diffèrent et sont peu clairs pour certains. Cet imbroglio diplomatique laisse perplexe. Quel enjeu représente la Libye pour tous les acteurs qui se lancent dans le règlement de cette épineuse crise?
Le printemps dit Arabe qui avait balayé les principaux régimes forts de l’Afrique du Nord à l’instar de celui de la Tunisie et de l’Egypte n’a pas connu le même refrain en Libye où les révolutionnaires avaient été obligés de recourir aux armes. Ils ont été alimentés dans cette action militaire par les pays arabes tel que le Qatar et le Soudan de Omar El-Béchir ; puis par les puissances occidentales de l’Otan (France, Grande Bretagne), qui ont aidé la pléiade des mouvements armés à faire tomber le guide Libyen.
L’Otan, sous la houlette de la France de Nicolas Sarkozy et de la grande Bretagne de David Cameron qui avaient un autre agenda, ont réussi à embarquer les Etats-Unis de Barack Obama dans une opération militaire qui nous rappelait la coalition contre Saddam Hussein lors de la première guerre du Golfe dans les années 90. Ayant atteint son objectif de la chute et de la mort du Guide Libyen, l’Otan et les puissances arabes qui ont financé les révolutionnaires armées Libyens n’avaient pas prévu la gestion du service après vente.
Conséquence, la Libye a sombré avec comme conséquence l’insécurité dans la bande Sahélo-Saharienne et un trafic des êtres humains sur la méditerranée. Le Conseil national de la transition (CNT ), soutenu par Paris et conseillé à l’époque par le philosophe Français, Bernard Henry Levy, a complètement disparu de la scène après la chute de Kadhafi pour faire place à des institutions issues des élections libres à Tripoli.
Mais le pouvoir de Tripoli qui ne contrôle pas l’ensemble du pays se trouve être en conflit ouvert avec les autorités de Zenten et de Benghazi où règne le maréchal Khalifa Haftar, présumé soutien des Américains, des français, de l’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis. L’homme fort de Benghazi a d’ailleurs lancé une offensive sur Tripoli depuis bientôt plus d’un mois, mettant à mal les nombreuses initiatives régionales de règlement de la crise. Les efforts du Maroc, de la Tunisie et de l’Union Africaine qui mirent sur pied un comité de haut niveau confié au chef de l’Etat Congolais Sassou Nguésso, sont aujourd’hui compromis. La situation est confuse.
Ce qui laisse dire à un acteur politique Libyen , que son pays « est à la merci de toutes les puissances diplomatiques qui ont un intérêt autre que celui du peuple libyen». Dans cet engrenage cacophonique, coexistent plusieurs groupes d’intérêts et de personnages romanesques autrefois acteurs de la diplomatie parallèle et souterraine en vogue dans le giron du bon vieux temps de la Françafrique. C’est le cas de Jean Yves Olivier qui s’active auprès du président Congolais Denis Sassou Nguesso pour faire admettre en vain que « la solution Libyenne est Africaine ».
L’Union Africaine face à la crise Libyenne
Avant d’aborder le poids et le rôle des pays regroupés au sein de l’institution continentale Africaine, il sied de se poser la question suivante : L’Union Africaine peut-elle régler la crise Libyenne? Quand bien même à l’époque de la guerre, l’instance continentale n’avait pas pu protéger et sauver Kadhafi. Divisée à l’époque, l’organisation basée à Addis Abeba était apparue à travers ses représentants à l’ONU (Gabon, Nigeria) votant en ordres dispersés. L’UA qui n’avait pas pu trouver une issue à la crise dispose t-elle aujourd’hui des moyens pour résoudre cet épineux dossier ?
Le président du Comité de haut niveau de l’Union Africaine sur la Libye, le chef de l’Etat Congolais, Denis Sassou Nguésso, au pouvoir depuis plus de 30 ans, est-il bien placé pour restaurer l’unité et le dialogue en Libye? De l’autre côté, l’actuel président en exercice de l’Union Africaine, le chef de l’état égyptien, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, qui a organisé récemment une réunion des chefs d’Etat Africains en Egypte, est, en soutien ouvert du maréchal Haftar, peu apprécié par les dirigeants de Tripoli.
Ainsi, il sied de rappeler que, deux ans après la première initiative française sur ce dossier, le 25 juillet 2017 à Saint Cloud, l’Union Africaine avait dénoncé une cacophonie et un manque de cohésion internationale. En effet, l’on se souvient que l’initiative du président français Emmanuel Macron sur la Libye avait sorti plusieurs hauts responsables africains de leur réserve pour dénoncer les « dysfonctionnements » consécutifs dans la médiation de la crise libyenne due, selon eux, aux interventions de pays étrangers. « Rien n’est plus nuisible à nos efforts de solution de la crise libyenne que la contrariété des agendas et des approches des intervenants », déclarait à Brazzaville, Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine (UA), lors de l’ouverture d’une réunion du comité de Haut niveau de l’UA sur la Libye, le 9 septembre 2017.
Le diplomate tchadien poursuivait en ses termes : »je voudrais par la voix la plus audible exprimer la forte opposition de l’Afrique à cette contrariété et aux dissonances des interventions, approches et agendas extérieurs ». Très en verve, Moussa Faki plaidait pour une « meilleure cohésion entre les acteurs internationaux » afin, insistait-il, d’éviter les « dysfonctionnements » et la « cacophonie ».
Des observateurs avaient vu dans ces propos une critique à peine voilée de l’initiative du président Macron, qui avait réuni, à Paris, le Premier ministre libyen, Fayez al-Sarraj et son rival, le maréchal Khalifa Haftar. L’absence de ce dernier à la réunion de Brazzaville compromettait toute chance d’avancée majeure dans la résolution du conflit libyen, titrait le journal Lybia Herald.
« Pas d’agenda caché en Libye »
« L’Union africaine et son Comité de haut niveau n’ont pas d’agenda caché en Libye », insistait le chef de l’Etat congolais, Denis Sassou Nguesso, hôte de la rencontre et président de ce « comité de haut niveau » de l’UA sur la Libye. Le président congolais avait à cette époque demandé à la « communauté internationale » de ne pas ignorer, comme en 2011, la voix de l’Afrique sur la question libyenne », en référence à l’intervention franco-britannique contre le régime du colonel Kadhafi.
Le chef de l’Etat congolais avait par ailleurs « exhorté » les Libyens à un « sursaut et à « tout mettre en œuvre pour dépasser les clivages, à vaincre les égoïsmes individuels et partisans », lors de cette rencontre à laquelle participait le Premier ministre libyen. Les présidents sud-africain de l’époque , Jacob Zuma, et Nigérien, Mahamadou Issoufou, avait également participé à cette réunion de Brazzaville, de même que des représentants de l’Union européenne et des Nations unies.
La rencontre de septembre 2017 à Brazzaville s’était tenue à dix jours d’une rencontre à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations unies de Septembre 2017. Le véritable plan de Sassou dans cet intervalle était simple selon ses détracteurs :se faire jouer un rôle à New York.
Bref, il paraît peu probable, au regard des éléments d’appréciations en notre possession, de croire que les principaux chefs d’Etat engagés dans la résolution de la crise Libyenne au sein de l’Union Africaine ne puissent pas avoir un agenda caché. Comment peut-on expliquer à l’opinion qu’en décembre 2016, le chef de l’Etat Congolais Dénis Sassou Nguésso, sans en avoir au préalable informé l’Union Africaine, utilisa sa casquette de président du comité de haut niveau pour entreprendre un voyage aux Etats Unis pour aller selon, les termes du communiqué publié par son directeur de cabinet, « briefer Donald Trump sur la question Libyenne » ? La suite est connue.
Jean Yves Olivier, l’auteur du livre «ni vu ni connu», est-il l’inspirateur de la « solution africaine » sur la Libye?
A l’époque de cet épisode, un des manœuvriers lobbyistes de ce vrai faux rendez -vous avec Trump n’était autre que Jean Yves Olivier, l’auteur du livre «Ni vu ni connu». L’homme qui a été à la fois proche de Jonas Savimbi et de Do Santos, facteur de Félix Houphouète Boigny à ses temps perdus, a fait fortune d’une part sous le régime de l’Apartheid et, d’autre part, a su, à travers sa couverture, Jacques Focart, et des réseaux Français qui l’utilisaient dans la région de l’Afrique Australe et dans les îles Comores. Dans une Afrique fascinée par les « sorciers blancs », il a su s’approcher du leader de la nation Arc-en-ciel, Nelson Mandela.
Pour la petite histoire, Jean Yves Olivier a été à la fois décoré par le régime de l’Apartheid et par Nelson Mandela. Après un temps d’éclipse, l’homme apparait de nouveau dans le dossier Libyen où il mènerait un activisme médiatico-diplomatique pour défendre l’exclusivité de la solution libyenne qui serait, selon lui, du ressort de l’Afrique. C’est dans ce contexte qu’il publia une tribune parue dans Monde Afrique du 20 septembre 2017 avec un titre explicite : « Seule l’Union Africaine est capable de faire renaître la Libye de ses cendres». Le président de la Fondation Brazzaville plaidait pour un plan de sortie de crise conçu par l’Union Africaine. Derrière cette opinion de Jean Yves olivier, se cachait un agenda particulier consistant à repositionner son ami de longue date, le président Sassou Nguesso, avec lequel il entretient des liens soutenus qui remontent au bon vieux temps de la France-Afrique.
Aujourd’hui, deux ans après la rencontre de Brazzaville, la fameuse solution africaine semble avoir pris de l’eau. Le manoeuvrier Jean Yves Olivier a contrarié le président Sénégalais Macky Sall en organisant, en mai 2018, une réunion avec les parties Libyennes à Dakar. En réaction, la mouvance pro Kadhafi avait, dans un communiqué signé par Aymen Abouras, le porte parole de Seif Al Islam , dénoncé les manœuvres de Jean Yves Olivier. La mouvance Kadhafi avait déclaré ne pas être concerné par la tenue de cette réunion à laquelle l’organisateur avait annoncé leur participation.
L’enjeu Libyen dans le Monde Arabe
La question Libyenne préoccupe le monde Arabe qui n’a ménagé aucun effort pour créer les voies et moyens de rapprochement des principaux protagonistes. En effet, les trois voisins de la Libye, à savoir l’Egypte, la Tunisie et l’Algérie ont mené des négociations poussées qui ont enclenché un processus de résolution de la crise libyenne contrairement au Comité de haut niveau de l’Union Africaine. Cette approche Arabe a été également confortée par l’implication du Maroc qui s’est focalisé sur la CENSAD pour mener les négociations entre les différents acteurs Libyens et chefs de tribus.
Le Maréchal Sissi, le chef de l’Etat Egyptien, très engagé sur le dossier, avait en son temps convenu avec le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed Al-Nahyane, dont le pays mènerait aussi de son côté une diplomatie silencieuse, a organisé une rencontre en mai 2017 au Caire, entre Fayez al-Sarraj, chef du gouvernement d’union nationale (GNA) soutenu par l’ONU et l’Occident, et son rival, Khalifa Haftar, chef des forces armées des autorités parallèles dans l’est libyen.
Depuis la chute du colonel Muammar Kadhafi, en octobre 2011, l’Egypte est très présente sur la scène libyenne. Le Caire craignait que certains pays de la région, connus pour leur soutien aux islamistes, ne puissent profiter du chaos libyen et de la vacance de pouvoir dans ce pays pour s’y incruster. Le chaos qui règne en Libye a favorisé le trafic d’armes vers l’Egypte. Le maréchal Sissi qui se soucie de la sécurité de ses frontières ouest, menacées à plusieurs reprises par des actes terroristes, multiplie à présent les initiatives pour régler la crise libyenne.
De ce fait, le Caire, capitale de la Ligue Arabe, cité où se définissait jadis la politique internationale Arabe avant que le Qatar ne se positionne, tente avec les Emirats Arabes Unis , de reprendre la main dans la résolution de la crise Libyenne à travers une approche concertée des pays du monde Arabe et le soutien de l’Onu. La stratégie Arabe consiste à mettre l’Onu en avant et non l’Union Africaine. C’est un point important qui trouvera toute sa substance dans l’implication Française plus tard.
Les Multiples efforts entamés par la diplomatie Arabe
Le 12 janvier 2016, après la déconvenue de Sassou Nguesso chez Trump, le Caire avait accueilli le chef du Gouvernement d’union nationale (GNA) en Libye, Fayez Al-Sarraj. Deux semaines auparavant, le 28 décembre , le président du parlement libyen, Aguila Saleh, avait été également reçu dans la capitale Egyptienne. La capitale égyptienne avait également accueilli, les 12 et 13 décembre 2016, une conférence consacrée à la Libye. De même, avant de se rendre en Tunisie, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, s’est réuni le 21 janvier de cette même année avec ses homologues des pays voisins de la Libye, en présence du chef de la mission de l’Onu pour la Libye de l’époque, l’ex premier Ministre Hollandais Martin Kobler.
Fort de ces démarches fructueuses, le président Sissi a été le premier chef de l’Etat Africain à rencontrer Trump à la Maison Blanche. C’est principalement lui et non Sassou qui a finalement briefé Trump sur le dossier Libyen. Cette série de réunions dans le monde Arabe a permis de concrétiser un plan pour une solution politique en Libye sur la base de l’accord de Skhirat, signé au Maroc le 17 décembre 2015, sous la houlette de l’Onu.
Cela dit, la solution envisagée est susceptible d’élargir ledit accord, en permettant notamment la représentation politique de certaines parties qui ont été jusqu’ici exclues, compte tenu de la nouvelle réalité sur le terrain. Les principes convenus prévoient en outre le respect de l’intégrité territoriale de la Libye et le refus de toute ingérence dans les affaires libyennes. A ce propos, la lutte anti-terroriste devra désormais se poursuivre dans le cadre de la légitimité politique afin d’éviter qu’elle ne puisse servir de prétexte pour justifier l’ingérence de pays étrangers.
Paris plus proche des pays arabes que de l’Union Africaine ?
Les Pays arabes tiennent à redonner à la Libye sa souveraineté. Cette feuille de route a été reprise dans le communiqué de la conférence internationale convoquée le 29 mai par Macron sous l’égide de l’ONU. Cependant, cette phase d’harmonisation entre les acteurs diplomatiques Arabes qui ont éloigné le Qatar du dossier Libyen n’échappe pas aussi aux critiques de certains observateurs estimant que chacun des acteurs et médiateurs voudrait dans le court moyen et long terme garder une main mise sur le pays.
C’est dans ce contexte que les Emirats Arabes Unis sont accusés par l’Onu de mener un double jeu dans le dossier Libyen. Côté pile, Abu Dhabi soutient la médiation de l’ONU entre factions libyennes rivales. Côté face, l’émirat fédéral favorise l’un des deux camps en lui fournissant des armes. Au passage, les Emirats Arabes Unis cherchant à débaucher le médiateur onusien qui s’est vu proposé un poste grassement rémunéré. Sous un autre chapitre, les Emirats Arabes Unis et l’Egypte se rapprochent de Paris -pourtant très proche du Qatar – pour lui offrir le dossier Libyen au détriment des initiatives Africaines.
D’où l’enjeu de la crise Libyenne qui échapperait au continent Africain malgré les vociférations à peine voilées des dirigeants Africains membres du comité de haut niveau. Emmanuel Macron n’a ménagé aucun effort pour marquer son empreinte diplomatique par la prise en main du dossier Libyen . La diplomatie Française, en se focalisant sur ses relais dans le monde Arabe, a réussi à mettre en coupe réglée sa solution dans le dossier comme un pompier qui viendrait éteindre le feu qu’il avait lui-même allumé en conviant à Paris les deux principaux acteurs de la crise Libyenne au grand dam de l’Union Africaine qui n’avait même pas été convié ni en amant ni en aval .
Ce fut en juillet 2017 à Saint Cloud à la périphérie de Paris . Le président français pensait faire signer une déclaration commune aux deux ennemis libyens. Un joli coup diplomatique devant propulser le jeune président sur la scène internationale. À défaut de déboucher sur un règlement de la situation en Libye, l’image devrait au moins bénéficier à toutes les parties. En recevant à Saint-Cloud, Fayez al-Sarraj et son opposant, le général Khalifa Haftar, ainsi que le nouveau représentant spécial de l’ONU pour la Libye, Ghassan Salamé, Emmanuel Macron a offert sa mission de bons offices tout en faisant avancer un épineux dossier diplomatique .
Pour Paris, officiellement, il s’agira pour le président Français de « faciliter une entente politique entre le président du Conseil libyen et le commandant de l’Armée nationale libyenne », car Emmanuel Macron a annoncé, dès sa prise de fonction, vouloir faire de la Libye l’une de ses priorités à l’international. Pour la France, retrouver un État fort dans ce pays permettrait notamment de stabiliser la région, de lutter contre le terrorisme et contre l’immigration illégale. Fayez al-Sarraj et Khalifa Haftar se sont parlés récemment, début mai, à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis, une première en plus d’un an et demi, et ont promis de travailler à l’apaisement des tensions en Libye et à la lutte contre le terrorisme en vain . Mais aucune déclaration commune n’avait alors été publiée. L’objectif d’Emmanuel Macron est donc d’y parvenir.
La cellule diplomatique de l’Élysée, qui juge que « le moment est opportun pour faire avancer les choses », est à pied d’œuvre depuis la prise de fonction pour arracher un compromis entre les deux camps. « Ce serait la première fois que les deux parties acceptent, sur un document simple mais constructif, de se mettre d’accord sur cette période de transition politique », précise la diplomatie Française . Paris espère notamment inscrire dans la déclaration le rejet de toute solution militaire à la crise libyenne, ce qui pourrait passer par une mention « de la cessation des hostilités au moins pour tout ce qui ne relève pas de la lutte contre le terrorisme ».
Mais si réunir al-Sarraj et Haftar est symboliquement fort et si obtenir de leur part une déclaration commune a été une avancée certaine, l’Élysée a bien conscience que « les lignes politiques ne sont pas totalement convergentes. Le général Haftar, lui, qui a longtemps cherché à obtenir la crédibilité et la légitimité à l’étranger, l’a bien obtenu par le biais du président Macron . Se tenir cinq minutes aux côtés de Macron lui a été particulièrement bénéfique. Quant à al-Sarraj, son poids politique est tellement faible en Libye qu’il a aussi été gagnant en participant à une telle rencontre. Cette rencontre, on ne le dira jamais assez, a été un rendez-vous diplomatique bénéfique pour Macron, al-Sarraj et Haftar. La France, qui alerte depuis près de trois ans sur la situation en Libye où le vide sécuritaire et politique qui a suivi la chute de Mouammar Kadhafi a profité aux jihadistes, a reconnu l’an dernier la présence de ses forces spéciales dans le pays après la mort de trois de ses agents.
Pas question pour autant de faire cavalier seul, assurait-on déjà à l’Elysée à cette époque , où l’on insiste sur le fait que l’initiative de Paris « s’inscrivait dans une dynamique collective » et qu’il s’agit « d’associer tout le monde à travers les Nations unies » avant « d’autres initiatives qui seront prises dans les semaines et mois à venir ». Paris privilégie l’ONU travaille déjà avec les pays arabes engagés dans le dossier Libyens.
Les dessous de la réunion de l’Elysée sur la Libye de 2018
Cette conférence élargie du 29 mai 2018 passé à Paris avait réuni pour la première fois quatre hauts responsables libyens, dont certains sont très antagonistes. Tous ont engagé leur responsabilité pour l’application de la déclaration commune à l’issue de la conférence – sans pour autant la signer. Cette déclaration ouvre la voix à l’organisation des élections le 10 décembre 2018 en Libye. Cependant, nombre d’obstacles risquent d’entraver la route à cet accord. Le président français Emmanuel Macron a pesé de tout son poids pour la tenue de la rencontre qui s’est déroulée en présence des quatre principaux responsables libyens et avec la participation de vingt pays, dont quatre chefs d’Etat africains, ainsi que quatre organisations internationales. « C’est une étape-clé pour la réconciliation », estime la France. Ainsi, Paris convie tout le monde et se rattrape à la dernière minute pour convier l’Union Africaine grâce selon nos informations, à l’insistance du président Paul Kagamé, alors président en exercice de l’Union Africaine qui avait recommandé Macron d’associer le Comité de haut niveau de l’Union Africaine.
En fait, cette réunion de Paris a été le moment propice de dessaisir habilement le comité de Haut niveau de l’Union Africaine du dossier Libyen. La diplomatie Française, en harmonie avec les pays Arabes, a propulsé au -devant de la scène les initiatives de l’ONU à travers son représentant pour permettre à Paris de prendre les manettes du dossier Dans la déclaration conjointe approuvée par les protagonistes Libyens, il n’est mentionné nulle part les initiatives menées par le Comité de haut niveau de l’UA et par son président …
C’est une initiative audacieuse mais risquée, ont estimé certains observateurs. Pour sa part, l’Elysée la décrit comme historique. Emmanuel Macron est parvenu à réunir des personnalités antagonistes, non seulement au niveau libyen ou arabe, mais aussi au niveau international. «C’est une grande opération diplomatique pour le président Macron, mais c’est aussi une relégitimation pour trois acteurs libyens dont aucun aujourd’hui n’a une légitimité quelconque aux yeux des Lybiens, rappelle Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. Ils sont perçus comme responsables du blocage et de la situation actuelle.
Selon nos informations, le texte de ce nouvel accord politique inter-Libyen qui s’articule au tour de huit points porte sur le calendrier et les conditions de la tenue des élections prévues avant la fin de cette année, selon un calendrier qui sera précisé par Ghassan Salamé, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye, en concertation avec le Premier ministre Fayez al-Sarraj.
Décrit comme «court et simple», le texte présenté et adopté par les parties libyennes présentes à l’Elysée ouvre un nouveau chapitre. Les protagonistes doivent s’engager à garantir la sécurité du processus électoral, sous peine de subir les sanctions internationales prévues en cas d’entrave au processus. Ces élections sont considérées par l’ONU et la communauté internationale comme la seule sortie possible de la crise libyenne. Une approche qui tranche avec la position du comité de haut niveau de l’Union Africaine qui préconisait la réconciliation avant les élections .Une option qui n’a pas été prise en compte par les participants lors de la réunion de Paris .
L’appui au dialogue qui a lieu au Caire pour la réunification de l’armée libyenne est aussi mentionné. L’accord appuie également la réunification de toutes les institutions de l’Etat, dont la banque centrale. Enfin, le chef du gouvernement d’union nationale affaibli doit, selon la France, être renforcé afin de mener à bien ces élections générales.
Près de 2,7 millions de Libyens se sont déjà inscrits sur les listes électorales, mais le projet de l’accord de Paris prévoit la réouverture des bureaux d’enregistrement sur les listes électorales pour une période supplémentaire de 60 jours.
Quant au référendum sur la Constitution, il doit s’organiser après les élections et non pas avant. Pour la France, un refus de la Constitution avant les élections compliquerait leur organisation. Les parties doivent donc, en attendant, reconnaître la Constitution actuelle. Enfin, une nouvelle réunion sera organisée dans trois mois pour suivre les résultats de l’accord de ce jour.
La conférence internationale de Paris sur la Libye a confié le dossier à Ghassan Salamé, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye, qui n’a pas manqué de préciser lors de la conférence de presse à bien souligner la fin de la multiplication des médiations qui parasitaient le processus. Ce dernier a obtenu à l’unanimité le soutien de tous les protagonistes Libyens.
Au-delà des initiatives, il reste une équation à résoudre: la participation de la mouvance Kadhafi incarnée par son fils : Seif al-Islam Kadhafi, candidat déclaré pour la présidentielle,qui avait lancé un appel à Macron sur Africanews à Tunis, précisant sa disponibilité en ces termes :« Je tiens à vous dire que l’ex-président Sarkozy est responsable du chaos et de la propagation du terrorisme et de l’immigration clandestine en Libye et dans la région. J’appelle donc le président Macron à prendre des mesures pour soutenir les élections en Libye qui pourraient corriger ce qu’a fait son prédécesseur».
Cependant, malgré les efforts consentis par l’ensemble des acteurs internationaux sur la Libye, il sied de souligner que rien n’a véritablement avancé. La Libye est toujours dans l’impasse. Le maréchal Aftar a lancé une offensive soutenue par les USA, la Russie, le Qatar et l’Egypte. De son côté, Paris joue double. Bien que Emmanuel Macron ait renouvelé, début mai 2019, son soutien au gouvernement de Tripoli, Paris ne verrait pas d’un mauvais œil la prise de tripoli par les troupes de Aftar qui buttent pour l’instant sur une résistance plus forte que prévue. La solution définitive n’est pas encore trouvée.