Une année seulement après sa signature, l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC) est officiellement entré en force, jeudi 30 mai 2019 du Cap au Caire. La prochaine étape est prévue le 7 juillet à Niamey, avec l’adoption solennelle de l’accord de libre-échange par les chefs d’Etat africains. Au delà de sa dimension politique, la ZLEC, ZLECA ou ZLECAF (vivement une harmonisation du sigle) est un instrument économique issu de la vieille école de David Ricardo.
L’éminent représentant de l’école classique, auteur des « Principes de l’économie politique et de l’impôt », théorisait que «dans un contexte de libre-échange, chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la production du bien auquel il est le mieux doté en facteur travail ou capital». Sous ce prisme-là, la plupart des pays africains ont l’avantage comparatif dans leurs matières premières agricoles et minières.
Seuls un certain nombre d’entre eux (Afrique du Sud, Nigeria, Maroc, Kenya, Egypte…) exportent des produits manufacturés. Un grand nombre doivent leur industrialisation à des usines d’assemblages de produits ou semi-produits devant passer à travers le filtre de la règle d’origine pour bénéficier de la ZLEC.
C’est justement là, sur la règle d’origine, que l’accord rencontre sa plus forte résistance. Par exemple, le Nigeria ne veut pas de la concurrence du poulet brésilien importé au Bénin et reconditionné sous une nouvelle étiquette. Dans le débat sur la règle d’origine, un indicateur est pris en compte. Il s’agit du taux d’intégration minimal permettant de dire qu’un produit est éligible au label « Made In Africa » ou non. Ce sont là autant de facteurs qui expliquent les difficultés de la mise en place d’un tel accord. Longtemps marginalisée avec une part inférieure à 3% dans les échanges mondiaux, l’Afrique n’a pas d’autre choix que de venir à bout de ces difficultés inhérentes à tout accord de libre-échange.
Le marché commun africain , riche de 1,2 milliard de consommateurs, projeté à 2,5 milliards en 2050, est d’emblée inscrit dans une autre école. Celle de l’allemand Friedrich List, à priori opposé au libre-échange si on se limite au contexte de l’époque entre une industrie allemande naissante face à un grand concurrent britannique en avance. L’Afrique dans son ensemble peut être considérée comme la grande Prusse de l’époque, désireuse d’initier une politique de protectionnisme éducateur indispensable au développement de son industrie. Il est possible, à l’exemple de la Chine, en obligeant les pays partenaires à des joint-ventures et au transfert de technologie, de développer des industries locales. L’avantage comparatif ne sera pas les matières premières mais plutôt le grand marché de 1,2 milliard de consommateurs. Bien évidemment, l’unité sans faille sera nécessaire pour arriver à une Afrique industrialisée. Une politique d’industrialisation à l’échelle du continent est nécessaire. Déjà, les règles d’harmonisation du commerce des produits et services constituent en celà un bon début.
Sans ces préalables, la ZLEC se réduirait à un libre-échange entre pays exportateurs de matières premières et importateurs de produits finis. Bonjours alors la contrebande, le chômage massif et l’inflation du fait d’un écart tendanciel continu entre le cours des matières premières et celui des produits finis. Sans industrialisation, l’Afrique réduirait la ZLEC à un simple TEC (Tarif extérieur commun) entre les 54 pays.
En clair, la ZLEC rassure par la volonté politique inédite des chefs d’Etat africains. Ne reste plus qu’à lire le brillant économiste gabonais Cédric Mbeng dans son tout nouveau livre « Libérer le potentiel de l’Afrique, des idées d’Alexander Hamilton » qui met en perspective l’activation du potentiel de l’Afrique.