La disparition brutale de Mohamed Morsi, 68 ans, plonge l’Égypte dans un deuil qui rassemble à celui de la démocratie. Arrivé au pouvoir en 2012 dans la vague du printemps arabe, le premier président civil librement élu de l’histoire de ce pays de 80 millions d’habitants, membre du mouvement des Frères musulmans, a rendu l’âme ce lundi 17 juin à 16h 50 heure locale, tout juste après une énième séance avec l’un de ses juges.
Les examens médicaux n’ont détecté aucune trace de violence sur le corps du défunt alors que l’ONG américaine Human Right Watch dénonce une «négligence» coupable de l’Etat égyptien qui avait coupé le président déchu de tout contact, l’interdisant jusqu’aux visites familiales. Celui que l’administration Trump considérait comme terroriste enterrera avec lui le bref rêve démocratique de l’Egypte.
La «mère du monde» comme le surnomme-t-on dans le monde arabe replonge dans le pragmatisme martial d’un Abdel Fattah Al-Sissi, fidèle allié de l’Occident et de l’axe du bien (USA-Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Autorité Palestinienne ) contre l’axe du mal (Iran, Qatar, Hezbollah) qui partageait avec son prédécesseur la même approche vis-à-vis du conflit israélo-palestinien. Morsi sera resté au pouvoir un an. La même place Tahrir qui l’avait porté aux nues une année auparavant a fini par réclamer sa tête, un 30 juin 2013, pour l’envoyer dans le box des accusés, là même où l’ancien président, Hosni Moubarack, aujourd’hui gracié, sera traîné en civière.
Dans les brutales convulsions du Moyen-Orient, Mohamed Morsi risque de devenir une nouvelle icône. Non à la dimension, spirituelle, d’un Hassan El-Banâa, mais comme martyr de la démocratie, ce gouvernement du peuple par le peuple, qui apparemment, n’est pas adapté aux bords du Nil. Coupable d’avoir osé, Morsi a régné pendant un an, ce qu’il paiera de cinq ans de prison avant de mourir devant ses juges, dans un tribunal, comme pour prendre à témoin une machine judiciaire certainement dans le malaise.
L’armée égyptienne reste le seul maître du jeu. Après la destitution de Morsi en 2013, policiers et soldats ont tué plus de 1 400 manifestants. Plus de 15 000 Frères musulmans ou sympathisants ont été emprisonnés. Le silence assourdissant des américains et européens, si prompts à donner des leçons de démocratie au reste du monde, est dans le cas d’espèce, paradoxal. A l’annonce de la disparition de celui qui purgeait plusieurs peines de prison, dont une de vingt ans pour avoir ordonné le meurtre de manifestants en 2012, le chef d’Etat turc, Recep Tayyip Erdogan, qui était l’un de ses principaux alliés, a rendu hommage à un «martyr» : « Que Dieu accorde à notre martyr, notre frère Morsi, sa miséricorde», a-t-il déclaré. L’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, a quant à lui exprimé « sa profonde tristesse ». Dans le reste du monde, c’est le silence qui ressemble parfois à un aveu.