La réforme de 2016 produit ses premiers effets : croissance du marché des acceptations locales, renforcement de la concurrence au sein de la zone, le pari de la CIMA est gagné sur de nombreux plans. Pour en sortir gagnants également, les réassureurs locaux historiques sont confrontés à de multiples défis pour pouvoir saisir l’opportunité de la transformation du marché et se mettre à niveau des concurrents étrangers en termes de taille critique, de crédibilité, de capacités techniques et financières suffisantes.
Alors que le marché des assurances d’Afrique subsaharienne francophone est actuellement concentré sur l’échéance du 31 mai 2019 pour l’augmentation du capital minimum des assureurs à FCFA 3 milliards (avant de passer à FCFA 5 milliards en 2021), il serait dommage de ne pas tirer les premières leçons d’une autre réforme que le régulateur supranational CIMA a prise en 2016, concernant cette fois la réassurance. Des premiers effets de la réforme peuvent déjà être constatés, et les acteurs locaux sont aujourd’hui confrontés à de multiples enjeux pour sortir gagnants de cette phase de transition. L’un des défis principaux pour pouvoir saisir l’opportunité de la croissance du marché de rétention locale résidant dans l’amélioration des capacités techniques et financières des acteurs locaux.
Impulsion du régulateur pour la transformation du secteur de la réassurance en zone CIMA
On se souvient que le régulateur avait déjà clarifié, en 2015, l’encadrement du secteur en mettant en place une réglementation dédiée à la réassurance.
La réforme de 2016 avait pour objet de restreindre la cession des primes aux réassureurs établis hors de la zone CIMA, de 75% à 0% pour les risques de masse (auto, maladie, assurance vie, etc.), de 75% à 50% pour les risques de pointe (pétrole, industrie, etc.), seuls les très gros risques pouvant continuer à être réassurés entièrement hors de la zone. L’objectif était à la fois de limiter la fuite des capitaux et de donner un coup de pouce aux réassureurs régionaux. La CIMA a ensuite publié un arrêté en décembre 2017 pour se donner les moyens nécessaires à son contrôle et s’assurer que la réforme sera bien appliquée, en instaurant diverses mesures de reporting sur les cessions en réassurance effectuées par les compagnies. Le régulateur pouvait ainsi veiller à ce que des biais ne soient pas mis en place pour contourner la règle et son esprit. Il sera par exemple contrôlé que les captives n’exportent pas tous les risques mais gardent aux réassureurs locaux le minimum prévu par le code CIMA ; sera également surveillé l’effet pervers des clauses de «cut through», surenchérissant le coût de l’assurance directe par l’ajout d’une commission pour un réassureur local réduit à l’activité de fronting entre un assureur CIMA et un réassureur étranger.
Un petit marché, mais en forte croissance, avec un potentiel intéressant
Le marché de la réassurance en zone CIMA est de l’ordre de FCFA 260 milliards, assez stable (+6% en 5 ans entre 2013 et 2017)1 .
Rappelons pour mémoire que cela équivaut à 1,2% du chiffre d’affaires mondial de Munich Ré ou 1,4% de celui de Swiss Re. La part de ce marché retenue localement est par contre en forte croissance : le chiffre d’affaires des 6 réassureurs ayant leur siège dans la zone progresse de +34% en 3 ans de 2014 à 2017. Son potentiel de croissance réside à la fois dans celui des assurances directes, lié à la croissance économique de la sous-région et à celle du taux de pénétration, et bien sûr dans l’amélioration du taux de rétention locale. Au-delà de la croissance «naturelle» du marché, FINACTU a calculé3 dans une étude publiée en juillet 2017, que la réforme arrêtée en 2016 injectera FCFA 68 milliards de cessions locales supplémentaires. Ce surplus de primes représente deux fois le chiffre d’affaires de CICAR Ré, quatre fois celui d’Aveni-Ré ou cinq fois celui de la SCG-Ré. S’il était réparti uniquement entre les six réassureurs siégeant dans l’espace CIMA, ce montant impliquerait une hausse de 65 % de leur chiffre d’affaires total. Ces FCFA68 milliards représentent plus de 100 % de celui que réalisent ces réassureurs uniquement sur l’espace CIMA.
L’enjeu est d’une part pour les réassureurs locaux d’examiner comment ils pourront améliorer leur capacité d’absorption de ce surplus. Ils ont toujours des fonds propres trop faibles pour faire face seuls aux catastrophes qu’ils devraient garantir dans la zone, et de trop faibles capacités techniques à sélectionner et gérer les risques.
Cependant, plusieurs indicateurs montrent que le secteur est entré dans une phase vertueuse: le chiffre d’affaires de ces réassureurs progresse, leurs fonds propres encore plus vite, et donc également leur capacité d’absorption (voir calculs ci-après).
L’enjeu d’autre part est le type de réaction des réassureurs étrangers, entre rétrocessions et implantation locale. Dans notre étude consacrée à ce sujet réalisée en juillet 2017, l’équipe FINACTU anticipait que la réforme CIMA bénéficierait massivement aux réassureurs locaux car nous n’anticipions pas une forte volonté des réassureurs internationaux à s’implanter localement. La suite a montré que cette volonté est plus forte que nous ne l’anticipions.
Renforcement récent de la concurrence africaine et internationale
Pour bénéficier de la part des primes qui ne pourront plus être directement cédées en dehors de la zone, plusieurs réassureurs internationaux se sont implantés dans la sous-région en 2017 et 2018. Via des bureaux de représentation pour capter certains risques en cession directe ou en rétrocession, voire en filiales pour bénéficier pleinement des cessions de primes devant rester dans la zone. Le mastodonte Hannover Ré a ouvert un bureau de représentation à Abidjan en 2018 dans les segments assurance vie et maladie, montrant l’attrait du marché CIMA pour les multinationales de premier plan de la réassurance mondiale. One Ré a obtenu l’agrément de sa succursale gabonaise en novembre 2017 pour les activités non vie. Ils rejoignent divers réassureurs ayant des bureaux ou succursales dans la zone: Waica Ré a un bureau de représentation à Abidjan depuis 2015, Zep Ré (Kenya) depuis 2014, le marocain SCR depuis 2013, Tunis Ré depuis 2012, etc.
Au-delà d’un simple bureau de représentation ou succursale, deux réassureurs africains ont quant à eux ouvert des filiales à part entière dans la zone : Continental Ré a transformé en 2018 son bureau de Douala en filiale (et dispose par ailleurs d’un bureau à Abidjan depuis 2012). Enfin, Kenya Ré a obtenu son agrément en octobre 2017pour établir une filiale ivoirienne.
L’implantation en filiale dépasse l’impact prévu par FINACTU dans son rapport publié en juillet 2017. Vu le coût en capital de l’établissement d’une filiale, ces réassureurs étrangers prévoient donc un volume conséquent de primes à capter à la suite de la réforme.
Cette réaction des réassureurs hors zone CIMA de s’implanter dans la zone n’est pas une bonne nouvelle pour les réassureurs historiques de l’espace CIMA, car cela signifie qu’ils devront partager le bénéfice du coup de pouce réglementaire avec des compétiteurs modernes et ambitieux…
Soutien provisoire aux acteurs locaux via le mécanisme de cession légale, d’une efficacité redoutable mais à double tranchant
Plus faibles que leurs concurrents étrangers en termes de capacités financières et techniques, les acteurs locaux peuvent en revanche bénéficier du soutien de leurs États, notamment via le mécanisme de cession légale.
Dans la zone CIMA, la réglementation prévoit ainsi que AFRICA Ré bénéficie de 5% de cession de tous les traités de la zone. À partir de 2020, CICA Ré aura une cession légale de 5% au premier franc sur toutes les affaires directes des assureurs CIMA hors vie et maladie, au lieu d’une cession de 15% limitée aux traités (part ramenée à 10% pour les traités). Sen Ré bénéficie d’une cession légale au Sénégal de 15% des traités et de 6,5% à la base sur toutes les affaires directes. Et la prochaine création d’un réassureur national au Cameroun lui fera disposer d’une cession légale au 1er franc également.
Cette cession légale fournit un chiffre d’affaires automatique aux réassureurs locaux. C’est surtout pour eux un formidable mécanisme pour acquérir une connaissance du marché, des risques, de leur sinistralité, idéal pour se développer, à l’abri de la loi des grands nombres quand la compagnie n’est pas encore prête à sélectionner les risques.
Cependant, la cession légale est à double tranchant ! Idéale quand elle est utilisée dans l’optique de soutenir et protéger le réassureur national de manière provisoire, le temps qu’il développe ses capacités financières et techniques, ce mécanisme produit un effet pervers si le réassureur est attentiste pendant cette période dorée où il ne lui est pas nécessaire de construire une capacité à sélectionner les risques ni d’avoir une crédibilité suffisante pour remporter des marchés.
Comme au Maroc et dans d’autres pays africains, la cession légale a vocation à être réduite, voire de disparaitre dans certains cas : c’est l’exemple du Gabon en zone CIMA, qui a maintenu sa cession légale au profit de la SCG mais en diminuant progressivement ses taux pour aboutir en 2018 à 15% en affaires directes non vie, 8% en vie, et 5% sur les traités. Par ailleurs, plutôt que la réassurance proportionnelle, sous forme de cession légale ou autre, la coassurance est un autre mécanisme de mise en commun des risques nationaux qu’un assureur ne peut couvrir seul, et permettant d’accroitre la rétention locale. C’est un phénomène appelé à prendre de l’ampleur dans la zone, au vu de la meilleure capitalisation des assureurs. Pour les risques de pointe, le marché sous-régional a également vu de nouvelles expériences dans ce domaine, avec la mise en place en 2018 d’un Pool d’assurance pour les risques pétroliers et gaziers au Sénégal.
Progression significative des fonds propres des réassureurs locaux, mais qui nécessite d’être poursuivie à un rythme soutenu
Hors AFRICA Ré, les fonds propres des 6 réassureurs ayant leur siège en zone CIMA ont progressé à un rythme très soutenu (+18% en 2016, +41% en 2017), plus rapidement que l’augmentation de leur chiffre d’affaires (+4% en 2016, +18% en 2017). En conséquence, on constate ainsi une meilleure capacité d’absorption des primes, leurs fonds propres représentant 68% des primes en 2015, 77% en 2016, et 78% en 2017. Cette progression est salutaire, mais nécessite d’être poursuivie au vu de l’augmentation prévisible des acceptations locales. Pour comparaison, les fonds propres d’AFRICA Ré représentent environ 120% des primes acceptées en 2017.
En parallèle, plusieurs réassureurs locaux ont augmenté leur capital social ces dernières années. Réglementairement fixé à 10 Milliards FCFA minimum depuis 2015, le capital social de CICA Ré est passé de 20 à 50 milliards FCFA en 2017, celui d’Aveni-re est passé de 8 à 10 Milliards FCFA en 2016, puis à 16 en 2017 et à 22 Milliards FCFA prévus en 2018, et SCG Ré va doubler son capital de 5 à 10 Milliards FCFA en 4 ans entre 2018 et 2022. En comparaison, on notera qu’au Nigéria, le régulateur vient de décider en mai 2019 de doubler le capital minimum des réassureurs de l’équivalent de 16 Milliards FCFA actuellement à 32 Milliards FCFA à partir de juillet 2020.
Pour augmenter encore leur capital, il faudra aux réassureurs CIMA un RoE suffisant pour attirer des investisseurs. Celui-ci est de l’ordre de 10% pour les 6 réassureurs locaux, stable entre 2015 et 2017. À comparer avec celui d’Africa Ré passé de 13% en 2015 à 12% en 2016, puis 10% en 2017.
Le renforcement de la crédibilité, via les capacités financières, mais également techniques et humaines : le nerf de la guerre
Avec l’augmentation de la concurrence dans la zone, et l’opportunité de la croissance du marché de rétention locale, les réassureurs CIMA doivent réagir d’abord en augmentant leur surface financière, mouvement en cours comme nous l’avons constaté, mais qui devra être fortement poursuivi.
D’autre part, pour sortir gagnants de la réforme et de la mutation du secteur, les réassureurs locaux devront mettre à niveau les capacités techniques, qu’il s’agisse de l’expertise dans la sélection des risques, dans la modélisation de la solvabilité et l’élaboration du programme de rétrocession, des ressources humaines, de l’informatisation, etc.
Ces efforts sont indispensables en eux-mêmes, mais plus encore dans l’optique de l’obtention et du maintien d’un bon rating. Tous les réassureurs internationaux ayant ouvert une succursale ou une filiale dans la zone ont un rating d’au moins B chez AM Best (sauf Waica Re). Seuls Africa Ré et CICA Ré dispose d’une crédibilité similaire parmi les 7 réassureurs ayant leur siège dans la zone : Africa Ré bénéficie d’un A- S&P et A chez AM Best, et CICA Ré bénéficie d’un B chez AM Best. Aveni Ré travaille actuellement à l’obtention d’un rating appréciable d’une agence de renom internationale.
Pour les 4 autres, l’enjeu d’obtenir une taille critique est la clef pour améliorer leurs capacités financières et supporter le coût des capacités humaines et techniques nécessaires pour conserver leur place sur le marché. Ainsi, avec quelques mois de recul, le régulateur CIMA a prouvé une nouvelle fois sa capacité à insuffler le vent de modernité sur nos marchés : par une habile réforme de la réglementation, il a pu améliorer quantitativement et qualitativement la concurrence sur le marché de la réassurance. Le cercle vertueux est aujourd’hui enclenché, il ne permettra aux acteurs locaux de profiter de la mutation du marché que si les premiers signes se poursuivent en termes d’augmentation des fonds propres, de renforcement des capacités techniques, et in fine d’obtention de ratings appréciables.
1-Total des primes cédées par les compagnies de la sous-région en 2017, source brochure sur les marchés 2013-2017, FANAF
2-Les réassureurs ayant leur siège dans la zone font la majorité de leur chiffre d’affaire dans la zone. Un peu plus de 50% pour CICA RE, et une proportion beaucoup plus importante pour les 5 autres réassureurs, très liés à leur marché national.
3-“La réforme de l’article 308 du code CIMA : une opportunité pour le marché de la réassurance de l’espace CIMA ? », FINACTU, juillet 2017.