La gestion des risques a toujours été au cœur de l’activité des organismes d’assurance. Elle est une fonction clé de leur système de gouvernance. Toutefois, cette notion de risque se complexifie aujourd’hui et se focalise naturellement sur les risques émergents.
Dans ce contexte, les assureurs et réassureurs sont inévitablement amenés à considérer ces risques comme des opportunités pour leur entreprise, tant ces derniers peuvent en effet déboucher sur un élargissement de l’offre d’assurance, avec le développement de nouveaux produits ou de nouvelles garanties. Néanmoins, ils constituent aussi des menaces pour leur rentabilité. Les risques émergents sont souvent définis comme étant les risques qui se développent ou évoluent.
Ils se caractérisent souvent par une forte incertitude. Cette incertitude provient d’un certain manque d’observations historiques que constituent par définition les risques nouveaux, mais aussi les mutations scientifiques, technologiques ou socio-politiques. A ce titre, les assureurs ont une tendance chronique à oublier que la criminologie, au sens large du terme, est une arme prédictive qui, bien utilisée, clarifierait la vision de risques mieux ordonnés. C’est ce que certains criminologues dénomment «le décèlement précoce».
23 risques émergents sont ainsi clairement identifiés par les meilleurs criminologues comme ayant un impact sur le monde de l’assurance et de la réassurance, classés en six groupes principaux évoqués précédemment : risque économique, environnemental, sociétal, technologique, politique et, dans une moindre mesure, réglementaire. Parmi ces groupes, Le cyber-risque est devenu le risque majeur pour les 5 prochaines années, tant en probabilité d’occurrence qu’en impact, suivi de près par le réchauffement climatique et les crises successives du système financier.
Néanmoins, les risques technologiques constituent toujours des risques menaçants pour les sociétés d’assurance et de réassurance, suivis par les risques politiques. Parmi les risques technologiques, l’augmentation des cyber-attaques de grande ampleur, en nombre et en exposition, avec ses conséquences économiques et géopolitiques, est préoccupante.
2018 a d’ailleurs connu un nombre sans précédent d’attaques informatiques et de vols de données en Afrique, menés en grande partie par des réseaux criminels locaux. Ils ciblent principalement les banques et les agences gouvernementales, sans oublier les entreprises de taille moyenne, eldorado du crime en col blanc pour des prédateurs de tout acabit. Ces dernières sont les cibles de piratage de grande envergure alors qu’elles ont peu de moyens (techniques ou financiers) pour y faire face.
Ces 23 risques émergents donc, répartis en cinq groupes d’analyses, méritent une cartographie exhaustive.
Les risques économiques d’abord. Si le vieillissement de la population en Europe a des conséquences sur les équilibres publics-privés dans la prise en charge de risques accrus, sur l’offre de nouveaux services à la personne mais également sur les comportements de consommation (allocation de richesse, retraite, dépendance) et l’inflation des frais de santé, le potentiel jeunesse de la population africaine par contre constitue des risques inverses. En passant de 1 à 1,6 milliard de personnes entre 2010 et 2030, pour atteindre 19% de la population mondiale à cet horizon, les jeunes se heurtent à des problèmes d’accès à l’éducation, l’emploi et les soins de santé.
Le plus grave reste l’accès au travail avec un fort chômage structurel alors que l’on prédit à moyen terme un important potentiel de croissance. Dans un tel contexte, les migrations vont probablement s’intensifier. Les migrations massives entre pays en développement, qui sont souvent la conséquence directe de l’extrême pauvreté et/ou de catastrophes (guerre, cataclysme naturel), contribuent elles-mêmes à aggraver les risques économiques. L’impérialisme économique constitue également un vecteur important de réflexion, notamment sur la dominance du secteur numérique par les GAFAs, la révision des lois antitrusts ou l’apparition de sociétés too big to fail.
Concernant ces dernières, n’oublions pas que même si par principe, une entreprise too big to fail n’est pas destinée à faire faillite, vu que le gouvernement est supposé intervenir pour la renflouer dans le cas où elle serait gravement menacée, des évènements récents comme Lehman Brothers en 2008 ou Washington Mutual Inc ont démontré le contraire. De même, la surliquidité apportée par les politiques d’assouplissement quantitatif de la Banque Centrale Européenne fait baisser le coût du capital et augmente le risque de bulles financières et immobilières, en Europe comme en Afrique. De même, la non-résolution de prêts non-performants et de forts niveaux de dette souveraine font peser un risque d’une nouvelle crise financière, bancaire et souveraine dans la zone euro comme dans les pays dépendants des aides européennes. Enfin, la volatilité extrême des marchés boursiers doit être redoutée. Les risques environnementaux ensuite. Les profonds changements environnementaux enregistrés dans le monde, en particulier en Afrique, se produisent à un rythme plus rapide que prévu, et appellent à une action immédiate de la part des gouvernements pour renverser la tendance.
C’est ce qui ressort de l’Évaluation pour l’Afrique dans le 6ème Rapport sur L’avenir de l’environnement mondial publié en 2017 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement. Parmi les multiples risques, nous pouvons retenir la Diminution, voire la disparition de la biodiversité et de certains écosystèmes, la dégradation des sols (surutilisation, usage de pesticides, agriculture intensive), la pollution, l’impact sur la santé et sur le réchauffement climatique. Sur ce dernier point, l’apparition de catastrophes naturelles plus fréquentes et plus dommageables, l’augmentation de désordres climatiques (évènements météorologiques rares) ainsi que leur impact sur les populations et l’économie, constituent autant de réflexions de fond pour les assureurs.
Enfin, la dégradation de l’habitat constitue, à lui seul, un domaine d’études majeures sur l’urbanisation défaillante, la gestion des déchets, la planification urbaine qui créent des inégalités sociales, environnementales et évidemment sanitaires. Sur ces derniers points, il est à noter que l’assurance construction, pourtant indispensable au respect des règles et normes dans l’acte de bâtir, deviendra inéluctablement un nouveau risque émergent.
Des risques sociétaux plus que récurrents.
Dans le rapport Africa Pulse 2017 de la Banque mondiale, 11 des 35 pays à faible revenu que compte l’Afrique subsaharienne sont classés comme étant à haut risque de surendettement. Les conséquences sociétales sont devenues nombreuses et souvent convergentes: croissance des inégalités et tensions sociales avec augmentation de l’écart de revenus du capital et du travail entre les différentes catégories socio-économiques, concentration des produits d’assurance sur les populations les plus riches, augmentation de la non-assurance, augmentation du nombre d’émeutes ainsi que des violences urbaines.
Les flux migratoires ne sont pas en reste avec l’augmentation de migrations involontaires de grande ampleur, la création de jungles et leurs conséquences sanitaires et sociales, la désertisation de certains territoires et la croissance urbaine importante dans d’autres. Sans parler de l’augmentation du risque épidémique, notamment la croissance du nombre de maladies non-identifiées, l’augmentation du coût des traitements et de leur durée, l’expansion massive et rapide de maladies infectieuses, la résistance accrue aux antibiotiques, les crises majeures d’accès à l’eau et à la nourriture en cas de pandémie, sans oublier l’expansion rapide des maladies à cause du commerce international et du tourisme. Enfin, l’Ubérisation de l’économie dans de nombreux pays a intensifié l’individualisation des emplois (free-lance, tâcheronnage, auto-entreprenariat), la fin du salariat et le développement de l’informel ainsi que de l’économie d’échange plutôt qu’une économie d’achat, sans oublier la nouvelle organisation du travail (télétravail, nomadisme, précarisation).
Des risques technologiques omniprésents. La transformation du rapport à l’information, la désinformation véhiculée par internet, en particulier par les réseaux sociaux (fake news), le risque de réputation, le traitement médiatique de l’information, l’hyper-transparence à l’égard des consommateurs modifient en profondeur le rapport de l’individu dans notre société. Mais pire que tout, l’augmentation des cyber-attaques de grande ampleur évoqués précédemment, en nombre et en exposition, avec des conséquences économiques et géopolitiques majeures, la protection des données personnelles, la fraude aux données (en assurance dommages notamment, lors de la déclaration de sinistres), l’augmentation de la vulnérabilité (voitures autonomes, pacemakers, internet des objets) constituent les grands sinistres de demain. Dans un autre registre, l’inadaptation aux nouvelles technologies aura tendance à influer sur les modes opératoires des assureurs, notamment sur l’évolution de l’intelligence artificielle, la blockchain, la fabrication additive (imprimantes 3D) ou tout simplement l’obsolescence des systèmes informatiques des assureurs.
Les risques politiques à ne pas écarter.
Depuis plusieurs années, l’instabilité politique gagne de nombreux pays, notamment sur le continent africain. À ce regain de tension s’ajoutent aujourd’hui des menaces terroristes et leurs conséquences dramatiques : violences, pillages, émeutes et de nombreux dégâts matériels. Mais ces risques sont-ils couverts par des polices d’assurance ? Les couvertures conférées par les polices d’assurance «Globale Dommages» classiques excluent les dommages causés lors d’attaques terroristes. La situation n’est guère meilleure concernant les risques de grèves, émeutes et mouvements populaires, qui ne sont couverts que très partiellement avec, notamment, l’exclusion absolue des risques de pillage.
A cela s’ajoute l’incapacité des instances internationales à résoudre des questions économiques ou géopolitiques, la montée du protectionnisme, la guerre commerciale et sa concurrence déloyale (secteurs informels, contrebande, contrefaçon) ainsi que la reconfiguration des puissances mondiales et des sphères d’influence. Enfin, bien que n’étant pas considéré comme un risque émergent, le risque d’attaques terroristes reste toujours très préoccupant d’autant que l’on voit émerger des évolutions dans les formes d’action et les cibles des organisations terroristes dont le cyber-risque. Le risque est donc multidimensionnel.
Des facteurs d’ordres différents influencent la nature des aléas, ainsi que l’exposition et la vulnérabilité à eux. Ces facteurs ne peuvent que gagner en diversité dans un monde où les obstacles à la circulation des personnes, des biens, des capitaux et de l’information sont réduits, tandis que les liaisons matérielles, informationnelles et économiques se multiplient. Pour comprendre les risques et adopter une politique de gestion des risques qui soit adaptée à leur environnement, il est indispensable de prendre en compte dans toute la mesure du possible les interactions complexes entre ces facteurs. Pour adopter une perspective plus large sur les questions de risque, il convient de s’appliquer à rassembler des compétences dans tous les domaines pertinents, depuis les sciences « dures » jusqu’à la psychologie, la sociologie et l’économie. Une telle démarche pluridisciplinaire comporte deux aspects importants, que sont la diversification des compétences dans chaque entité en charge de la gestion des risques, et la mise en place de procédures propres à favoriser le dialogue entre disciplines. Mais surtout, le secteur de l’assurance doit intégrer une expertise transversale qu’est la criminologie. C’est par elle et avec elle que la gestion des risques de demain garantira la prévention et surtout l’anticipation.