Par Christian Kazumba*
Le secteur bancaire subsaharien affiche des performances commerciales très en retrait de son homologue d’Europe de l’ouest, sur des ratios dont l’impact en termes de développement économique et social ne souffre d’aucune contestation possible.
Ainsi, en Afrique noire, le taux de bancarisation ne dépasse pas 15 % en moyenne, contre plus de 98 % en France et en Allemagne. Les crédits bancaires accordés à l’économie n’y représentent que 22% du PIB, alors qu’ils se situent à plus de 90 % pour les deux pays phares de la zone euro.Pour autant, le retard des établissements financiers subsahariens par rapport à leurs homologues du vieux continent s’impose-t-il comme une conclusion sans appel ?15 années passées dans le secteur bancaire français et 6 sur le continent, en tant que prestataire de grands groupes panafricains, m’autorisent à prendre un peu de recul et à répondre par la négative à cette interrogation.De plus, cette expérience me permet également d’écarter avec force une méthodologie erronée, mais pourtant partagée par beaucoup d’investisseurs européens : globaliser l’Afrique et la réduire à une masse monolithique.
En conséquence, l’analyse très synthétique qui suit découle exclusivement de mes observations au Mali, au Burkina Faso et au Togo et ne présume donc pas des réalités des autres pays.De manière très concrète, mon constat de la situation sur le terrain s’articule en trois points principaux :
Une digitalisation des canaux de distribution beaucoup plus avancée coté subsaharien
Selon la BCEAO, le « mobile money » progresse de 60% par an au Mali. Si 13 % seulement des maliens de plus de 15 ans possédaient un compte bancaire en 2016, ce taux passe à 45 % en incluant les portefeuilles électroniques. Je peux aisément témoigner que le téléphone portable constitue aujourd’hui un moyen de paiement et de transfert d’argent incontournable à Lomé, Bamako, Ouagadougou ou Bobo Dioulasso… Un sens de l’innovation plus marqué au sud du Sahara…
Si les exemples peuvent être multipliés, le premier qui me vient à l’esprit porte le nom d’Agency banking. Ce concept, né au Kenya, mais déployé aussi au Mali et au Burkina, favorise le partenariat entre les établissements financiers et les commerçants de proximité (boutiques, « maquis » etc.) afin que le titulaire du compte puisse y réaliser librement ses opérations de caisse (dépôt et retrait). …Mais un « mindset » beaucoup moins orienté client qu’en France
S’il est un sujet sur lequel les banques locales doivent progresser, c’est bel et bien celui de la relation clientèle. On citera par exemple le « KYC », nécessitant la collecte et la mise à jour d’informations clientèle à des fins commerciales et de compliance, indispensables dans des pays ou les changements de numéros de téléphone sont fréquents et où l’adressage est complexe. Par ailleurs, beaucoup d’établissements financiers se fixent pour objectif de désengorger leur réseau d’agences physiques, mais ne mettent pas suffisamment l’accent sur la mise en place de centres de contact (téléphone, réseaux sociaux et emails) permettant la délivrance d’informations immédiates et fiables à leurs clients. Mon vécu professionnel en termes d’encadrement, d’organisation et de business development de structures implantées de part et d’autre de la méditerranée m’a convaincu de l’avance des pays africains dans le domaine de la digitalisation des services financiers.Le secteur bancaire international vit un tournant historique, car la menace d’opérateurs de téléphonie mobile et de « GAFA », empiétant de plus en plus sur son territoire, se précise.La cible du retail banking subsaharien est jeune (deux tiers des populations en Afrique de l’Ouest ont moins de 25 ans) et donc très réceptive aux nouvelles technologies. Par ailleurs, sa faible bancarisation représente un potentiel de développement sans équivalent sur la planète et l’a écarté de l’influence d’une « banque de réseau » pouvant être considérée comme mal adaptée à une dématérialisation massive.
En passant directement du « cash » au téléphone portable, et en sautant l’étape d’une monétique (chéquiers et cartes) coûteuse et dont l’ajustement à l’environnement « online » ne tombe pas sous le sens, l’Afrique montre la voie.
Elle a l’occasion unique d’imposer aux autres continents un nouveau modèle d’inclusion financière et de distribution des services financiers parfaitement en phase avec la modernité et l’évolution des technologies.
*A propos de l’auteur
Christian Kazumba est Conseil en Management, Organisation et Développement commercial pour des entreprises implantées en Afrique.
Franco-congolais et formé en France, il a été durant 9 ans Directeur du service clients, puis Directeur du développement de l’une des principales banques on-line à Paris.Il a également exercé, durant plus de six ans, des fonctions managériales, à des postes de Direction, au Maroc, au Mali, au Burkina Faso et au Togo.