Héritages de la colonisation, les produits d’assurances peinent à se contextualiser au marché africain selon José Kwassi Symenouh, président-directeur général de La Protectrice Assurance. Dans cet entretien accordé à Financial Afrik à Lomé, l’ancien directeur général de NSIA-Togo pose un diagnostic quelque peu inquiétant : «on reste très peu créatif et inventif, même si aujourd’hui on a tendance à se rapprocher davantage des besoins de la population par la création de produits de micro assurance».
Comment se porte aujourd’hui La Protectrice Assurance plus de deux années après sa remise en selle ?
Sans verser dans l’autosatisfaction et sans prétention, La Protectrice Assurance affiche aujourd’hui un bilan satisfaisant qui se traduit dans les faits par une progression de son chiffre d’affaires de 36 % par rapport à 2017, occupant ainsi la deuxième place sur les 33 courtiers du marché. Nous nous réjouissons notamment d’une augmentation de portefeuille entreprises et particuliers, et l’ouverture du chantier du panafricanisme par la création de Protectrice Bénin et Protectrice Burkina. Tous ces indicateurs montrent à suffisance sa bonne santé.
Comment se présente le marché du courtage au Togo en particulier, et dans la zone CIMA en général ?
Sans vouloir être brutal, le marché du courtage au Togo comme dans la zone CIMA est extrêmement désorganisé. Il a besoin d’être mieux réglementé. Même si les articles 530 à 536 du code prescrivent les conditions d’octroi d’agrément, il y figure certaines insuffisances. L’agrément des courtiers étant délivré localement par le ministère des Finances de chaque pays, il y a une disparité dans les conditions d’octroi d’agrément en dehors des dispositions du code. Le niveau du capital social par exemple n’est pas fixé comme c’est le cas pour des compagnies d’assurances et varie d’un pays à l’autre.
Autant une société de courtage peut être constituée avec 1 million de F CFA de capital social, autant une autre peut l’être à 10, 15 ou 25 millions. Généralement, on remarque que les courtiers qui s’installent ne voient pas ‘’grand‘’ ; ils ne rêvent pas. Ils se contentent du minimum en créant une société avec un capital de 1 million. Comment peut-on s’installer avec 1 million ? Le million peut-il couvrir les premières charges d’installation (loyer, mobilier de bureau, salaire, etc…). Dans ces conditions, la société démarre avec un sérieux handicap. Le risque c’est que pour survivre, le courtier sera obligé de divertir les ressources collectées en faisant de la rétention des primes qu’il devrait verser aux compagnies d’assurances.
L’autre handicap est l’insuffisance, voire parfois une absence de contrôle des courtiers d’assurance agréés. Les régulateurs de la zone CIMA ne contrôlent pas assez les courtiers ou même si ces contrôles sont faits, ils ne sont pas assortis de sanctions. Il n’est pas rare de constater que les régulateurs donnent des agréments sans se soucier même à postériori de l’effectivité du démarrage des activités. Il faut donc que comme pour les compagnies d’assurances, le courtage soit plus réglementé, cela éviterait une pléthore d’agréments. Le marché du courtage a besoin d’être toiletté et assaini par la sortie des ‘‘brebis galeuses’’ et par une attention plus rigoureuse des conditions d’octroi d’agréments. Les agréments ne doivent plus être délivrés systématiquement en se réfugiant derrière le principe de la liberté de prestation.
Le Togo n’est pas en dehors de ces maux, on compte aujourd’hui 33 courtiers sur le marché. Nous sommes passé de 26 courtiers en 2017 à 33 en 2018. C’est pour commencer l’assainissement de ce marché que nous avons organisé en notre qualité de Président de l’Association des courtiers, un colloque le 18 Mai 2018 sur le thème «Quelles approches pour un meilleur développement du marché des assurances au Togo ?». A l’issue de ce colloque, nous avons émis des propositions à la Direction Nationale des Assurances qui, nous pensons, seront prises en compte très bientôt.
Assurances IARD et Vie : quelles analyses faites-vous des différentes offres sur nos marchés ?
Qu’il s’agisse des assurances IARD et VIE, les offres traduites par les produits vendus restent toujours une photocopie des produits coloniaux, l’assurance est restée coloniale avec des conditions de souscription coloniales. On reste très peu créatif et inventif, même si aujourd’hui on a tendance à se rapprocher davantage des besoins de la population par la création de produits de microassurance. Je crois qu’il faut réinventer et repenser l’assurance suivant nos contextes africains.
Il faut qu’on en arrive à un moment où tout le monde soit concerné par l’assurance, je veux parler d’une assurance universelle. L’assurance doit être dans le vécu quotidien. Aujourd’hui tout le monde a un portable ; mais tout le monde n’a pas la sécurité et pourtant on oublie que c’est la sécurité qui permet de vivre sereinement et poursuivre ses activités. En définitive, les produits d’assurances doivent être adaptés aux besoins des consommateurs.
Pensez-vous en tant que courtier que le consommateur s’en sort aujourd’hui avec plus de bénéfice qu’il y a quelques années ?
La réponse ne peut être tranchée. Certainement oui, si le consommateur d’assurances, pour souscrire à son assurance, a le réflexe de requérir les services d’un courtier. Il a tout à gagner; il sera assuré à moindre coût avec des garanties adéquates et bénéficiera de l’assistance du courtier pour une prompte indemnisation en cas de sinistre. Et tout cela, gratuitement ! En revanche, il n’aura aucun bénéfice, en s’adressant directement à un Assureur, bien au contraire, il court tout droit vers la perte.
Quels sont, selon vous, les défis et les perspectives de l’activité d’assurances dans la zone CIMA ?
En vous énumérant les défis, vous pouvez certainement y déceler les perspectives. Les défis sont les mêmes dans la zone et regardent les consommateurs, les compagnies d’assurances et l’Etat.
S’agissant du consommateur, il faut qu’il ait le réflexe de l’assurance, de la sécurité en se protégeant et en protégeant son patrimoine ou sa responsabilité vis-à-vis des tiers. Il faut qu’il soit conscient de ses limites dans le cadre de la souscription des contrats et qu’il requiert les services d’un courtier qui est toujours présent pour l’accompagner gratuitement.
S’agissant des compagnies d’assurances, il faut qu’elles créent (nous ne le répèterons jamais assez) des produits adaptés aux besoins des consommateurs. Il faut qu’elles communiquent suffisamment avec les preneurs d’assurances sur la nécessité de s’assurer, et surtout qu’elles règlent rapidement les sinistres.
Enfin, l’Etat quant à lui doit créer un cadre favorable pour l’exercice des activités d’assurances pour une meilleure protection des assurés, et victimes (contrôle de l’effectivité des assurances obligatoires auto, facultés maritimes…) et la suppression de certaines taxes d’assurances pour inciter à la consommation (6% en assurance santé). L’Etat doit par ailleurs veiller à l’assainissement du marché du courtage d’assurance pour un meilleur développement de tout le marché d’assurance.