Par Moussa Mara, ancien premier ministre du Mali
Les Pères fondateurs de l’unité africaine, en 1963, avaient décidé de faire l’unité politique par la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) avant d’engager le chantier de l’intégration économique. Leurs successeurs à la fin du siècle dernier, en portant sur les fonts baptismaux l’Union Africaine (UA) en remplacement de l’OUA ont privilégié de nouveau la politique et la diplomatie à l’économie, non sans avoir prévu un approfondissement des relations économiques au sein de chacune des cinq communautés économiques régionales. Ils ont également ouvert le chantier de la future monnaie unique, la future banque centrale africaine ainsi que d’autres instruments de construction économique continentale (fonds de développement, passeport,) jusqu’à l’agenda 2063 adopté il y a quelques années, le tout reposant essentiellement sur des projets d’infrastructures d’intégration.
L’économie, jusque-là parent pauvre de l’intégration du continent, s’est de ce fait progressivement imposée pour devenir maintenant l’axe principal de l’action de nos organisations politiques continentales. Cela paraît évident car c’est par l’économie que les ensembles se constituent, l’intérêt étant la plus grande source de motivation des hommes et donc des nations. Les grands ensembles continentaux qui ont prospéré ailleurs (ALENA en Amérique, ASEAN en Asie ou encore l’Union européenne) ont toutes été constituées sur l’économie et l’ambition de la prospérité partagée. Nos dirigeants semblent ainsi se rendre à l’évidence et aller dans ce sens.
En Afrique de l’Ouest, zone régionale ayant développé le plus grand nombre de textes et de dispositifs juridiques et politiques d’intégration, une avancée significative vient d’être actée, à Abuja le 29 juin dernier, avec l’adoption du principe d’une monnaie unique pour les 15 pays membres de la CEDEAO. Dans cette zone, la libre circulation des hommes et des marchandises est bien engagée. Elle dispose d’un tarif extérieur commun et de dispositifs de convergence économique suivis par ses organes. Théoriquement, elle est en voie de réaliser les conditions qui lui permettront de disposer d’une monnaie commune et d’accélérer ainsi son intégration économique. Ce pas franchi cette année constitue sans doute le progrès le plus important réalisé par l’Afrique de l’Ouest sur le chemin de l’unité économique depuis la création de la CEDEAO en 1975.
Quelques jours plus tard, le 7 juillet 2019, à l’occasion du sommet de l’Union africaine, un pas significatif, également le plus important depuis la création de l’organisation en 1963, a été franchi avec l’entrée en vigueur de la Zone de Libre-Echange Continentale (ZLEC), dont la signature de la convention a été actée par presque tous les Etats du continent, la ratification ayant été faite par plus de la moitié d’entre eux. L’Afrique envoyait ainsi au Monde le message très fort de sa volonté de commercer avec elle-même et de partager en son sein la prospérité et la croissance. Le vieux principe incontesté de la prégnance de la géographie sur toutes autres considérations a eu à Niamey son illustration la plus concrète depuis cinquante ans en Afrique. Aucun pays, aucune nation ne peut espérer se développer si ses voisins ne le sont pas. Plutôt que de s’y opposer, nous devons plutôt nous organiser pour créer les conditions de croissance et de développement partagés. Et le développement passe impérativement par la création de richesse, les échanges, la liberté d’entreprendre et de circuler, etc… En réunissant les conditions pour que les créateurs et les entrepreneurs puissent bénéficier du potentiel spatial, climatique, géologique, démographique du continent. Les dirigeants viennent de poser l’un des jalons les plus remarquables de l’essor de l’Afrique.
La concomitance de ces deux évènements, à l’échelle régionale et continentale, qui se complètent idéalement d’ailleurs (la monnaie ouest africaine préfigurant la monnaie africaine), fait de cette année celle de tous les espoirs sur le continent. Cet espoir ne doit pas masquer les nombreuses difficultés qu’il faudra surmonter.
Les fameuses règles de convergence économique et la difficulté de plusieurs États d’Afrique de l’Ouest à se discipliner financièrement pour maintenir la monnaie dans une certaine stabilité sont des réalités indéniables. La principale menace vient du Nigeria, pays le plus puissant de la zone et dont la richesse dépasse de plus de 20% celle des 14 autres pays réunis ! Autrement dit, dans cet ensemble, si le Nigeria venait à rencontrer une difficulté majeure, c’est toute la zone qui en subirait le contre coup. La seconde difficulté est due aux dogmes sur lesquels est bâti le FCFA, monnaie regroupant huit des quinze pays de la zone. Ces dogmes devront évoluer pour donner une chance à l’entrée en vigueur de la future monnaie unique. Autrement dit, des efforts sont à fournir par le Nigeria et des concessions à faire par l’UEMOA pour que la monnaie puisse être une réalité d’ici quelques années.
Sur le continent, la donne est nettement plus compliquée et de nombreuses négociations sont prévues pour donner corps à la ZLEC. Il y a au préalable la réticence de certains pays qui craignent pour leur économie et leur industrie lesquelles bénéficient de protections pour prospérer. Là également les entreprises nigérianes sont au premier plan en la matière, mais avec des coûts sociaux très forts, ce qui n’est pas pertinent à long terme. Ce grand pays dont les potentiels ne sont pas suffisamment exploités aura besoin de s’ajuster, avec des implications difficiles mais porteuses de progrès à moyen et long termes. Il lui faut un leadership politique fort et visionnaire pour lui permettre de prendre le cap de l’ouverture dont il serait le futur grand bénéficiaire. D’autres pays moyennement industrialisés sont logés à la même enseigne et devraient être convaincus de faire le pari de l’acceptation de la ZLEC afin de porter l’idéal économique panafricain vers le progrès. Des négociations doivent être conduites sur les règles d’origine permettant au Continent de se prémunir contre le dumping commercial d’autres pays extérieurs tout en ouvrant la porte aux échanges de produits manufacturés africains. Cette question est cruciale et mérite une attention soutenue et une vigilance accrue. Il s’agira d’encourager les transferts de technologie en Afrique d’une part et faciliter la circulation des produits sur le marché africain d’autre part, tout en permettant à chaque pays d’obtenir une part de la nouvelle prospérité créée. Exercice facile à mettre en œuvre pour un pays comme la Chine dans les années 80 mais autrement plus redoutable quand il s’agit de 54 pays ! Nous devons là également prendre le pari de l’intelligence et de la technicité de nos experts. Mais surtout, nous devons compter sur le leadership visionnaire de nos dirigeants !
On l’aura donc compris, la politique reste tout de même le levier par lequel il faudra encore passer pour créer les conditions de la prospérité économique. L’Afrique recèle-t-elle encore de leaders visionnaires capables d’orienter leur nation de manière à ce qu’elles fournissent les efforts indispensables à cette ouverture, a priori risquée, mais porteuse de prospérité ? De la réponse à cette question dépendra le sort des réformes majeures et une partie substantielle de l’idéal panafricain.
Moussa MARA