Par Rodrigue Fenelon Massala, grand-reporter.
«En 8 ans, j’ai fait plus que tout ce qui a été fait en 50 ans». C’est l’une des affirmations du chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara , «chantre de l’Houphouétisme», à la veille du 59 ème anniversaire de l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance. La déclaration a suscité de nombreux commentaires dans les réseaux sociaux.
L’héritier de Félix Houphouët Boigny qui se prévaut d’un second miracle ivoirien, le sait bien, de 1960 à 1970, la Côte d’Ivoire présentait un PIB en croissance de 10 ,4%, devant la Corée du Sud, Singapour et la Malaisie. Déjà première productrice de cacao, la Côte d’Ivoire aspirait au rang de pays à revenu intermédiaire. La suite est connue.
La chute des cours de matières premières dans les années 80 dans un contexte général de crise des ciseaux (augmentation des charges de la dette, baisse des recettes d’exportation ), de dévaluation et de crise politique reléguait le miracle ivoirien au rang de pays pauvre très endetté (PPTE). Avant d’obtenir ce fameux récépissé signifiant l’effacement de sa dette auprès du Club de Paris, la Côte d’Ivoire est passée par un retentissant défaut de paiement en 2010 encore dans les esprits.
Quand Alassane Ouattara s’empara des deux morceaux de ce pays à reconstruire, les fondamentaux macroéconomiques étaient critiques mais pas désespérés. Grâce à un programme économique clair, au soutien des bailleurs, l’ancien commis du FMI a fait bouger les lignes au rythme d’une croissance annuelle de 8% pendant dix ans qui n’est pas sans rappeler le bond en avant de la période 1960-1978 quand le pays, tiré par le boom des exportations de café, cacao et bois non transformés, battait les records de détention de réserves de change.
Le montant des investissements publics sous l’ère du premier miracle ivoirien avait triplé entre 1974 et 1978. Les demandes publique et privée s’en trouvaient fortement stimulées, entraînant dans leur sillage les investissements privés, qui ont augmententé à un rythme annuel de 200%.
Le PIB global, pendant cette période, s’est accru de 10% par an, entraînant le basculement de la Côte d’Ivoire dans la catégorie des Pays à Revenu Intermédiaire (PRI), avec un PIB par habitant qui atteignait 2.237 $ en 1978.
Durant ce premier miracle ivoirien, les taux élevés d’investissement étaient encore financés par les recettes des exportations et une épargne intérieure importante. Aujourd’hui avec les projets sous forme de Bot et de PPP, les investissements sont essentiellement financés sous formes de concessions sur 25 à 30 ans avec des tarifs souvent inflationnistes. Et quand ils ne sont pas sous forme de PPP à faible intégration locale, les projets sont financés par des emprunts extérieurs souvent contractés pour refinancer le paiement de la dette précédente. Si le président Ouattara estime que la dette publique est maîtrisée, à un niveau en deçà des plafonds communautaires, il n’en demeure pas moins que les charges de remboursement sont en augmentation conséquente, devenant le premier poste budgétaire.
Ainsi dix ans après l’effacement de l’ardoise via l’initiative PPTE, la dette publique ivoirienne a de nouveau augmenté. Le stock s’élève à 10 931,23 milliards de Franc CFA, comprenant 6 980,74 milliards FCFA de dette extérieure (soit 63,86% ) et 3 950,49 milliards de dette intérieure (36,14%). Ce stock de dette correspond à 42,5 % du PIB, ratio largement en dessous de la norme communautaire (UEMOA) de 70%.
L’on notera que ni le maître ni l’élève n’ont réussi à franchir le mur du son, à savoir parvenir à une transformation locale des matières premières. A peine 5% des fèves de cacao sont transformés aujourd’hui comme hier , ce qui expose ce grand pays aux chocs exogènes.
Si l’élève a appris du maître qu’il faut réinvestir les recettes dans des projets structurants, il semble ne pas avoir tiré les conséquences des difficiles années 90 du Houpheitisme, rattrapé par la cyclicité des cours de matières premières.
Le contexte actuel semble cependant plus favorable que naguère compte tenu des perspectives d’intégration dans l’espace UEMOA (né il y a 25 ans), la CEDEAO ou encore la ZLECA. A une année de la fin de son deuxième mandat, Ouattara a eu bien raison de se comparer avec son illustre devancier en faisant, volontairement, abstraction des ères de Bedié et Ggbagbo, deux compères qu’il pourrait bien retrouver en 2020 dans une bataille électorale -la énième – qui ne sera pas sans rappeler la fin des années 90. Décidément, tout est cyclique en Côte d’Ivoire.