Nombreuses sont les réactions des internautes, notamment ivoiriens, suite à notre grand angle comparatif entre les réalisations de Houpheit Boigny et d’Alassane Ouattara, deux dirigeants séparés par plus de trois décennies mais unies par des statistiques de croissance quasi similaires.
Pour le président Ouattara, il n’y a pas débat: «en 8 ans, j’ai fait plus que tout ce qui a été fait en 50 ans», déclarait-il le 6 août dans un entretien télévisé à la veille de la fête d’indépendance de la Côte d’Ivoire. Qu’en est-il? Les chiffres sont éloquents. Sur la période 2010-2018, les investissements ont été multipliés par deux.
En comparaison, le montant des investissements publics sous l’ère du miracle Ivoirien avait triplé entre 1974 et 1978. Les investissements privés ont augmenté à un rythme annuel de 200%.
L’héritier de Félix Houphouët Boigny, également son ancien premier ministre, a réalisé une moyenne de croissance de 9 à 10% entre 2011 et 2019, période de rattrapage économique. Alassane Ouattara vise l’émergence, quasiment sur les traces de son devancier qui, lui, avait construit ce qu’il est convenu d’appeler le premier miracle ivoirien sur des bonds de 10,4% entre 1960 et 1977.
Portée par le boom des matières premières et une politique publique de réinvestissement massif de la rente dans les infrastructures de développement , la Côte d’Ivoire basculait dans la catégorie des Pays à Revenu Intermédiaire (PRI) en 1978 avec un PIB par habitant qui atteignait 2.237 $.
Durant ce premier miracle ivoirien, les projets d’investissement étaient encore financés par les recettes des exportations et une épargne intérieure importante.
Sous l’ère Ouattara, les projets en Bot ou PPP sont libellés sous formes de concessions sur 25 à 30 ans avec des tarifs souvent inflationnistes. Et quand ils ne sont pas sous forme de PPP à faible intégration locale, les projets sont financés par des emprunts extérieurs souvent contractés pour refinancer le paiement de la dette précédente. Si le président Ouattara estime que la dette publique est maîtrisée, à un niveau en deçà des plafonds communautaires, il n’en demeure pas moins que les charges de remboursement sont en augmentation conséquente, devenant le premier poste budgétaire.
Sous l’ère Houpheit Boigny, le pays avait accumulé les réserves de change jusqu’au milieu des années 70 avant de les voir s’éroder au point de nécessiter une douloureuse dévaluation du Franc CFA au milieu des années 90. Une longue décennie perdue suivra le Houpheitisme, système économique pertinent qui n’a pas pu résoudre l’équation politique de la succession.
Plus de 30 ans aprés le pic du miracle ivoirien , un pays en lambeaux, coupé en deux et miné par dix ans de disputes autour du pouvoir et du code de la nationalité, a repris sa marche en avant. Le second miracle ivoirien s’apprécie tant par l’ampleur de la croissance (10% par an depuis neuf ans) que des projets d’infrastructure et des réformes de l’environnement des affaires.
Mais tout comme ce fut le cas sous l’ère Houpheit Boigny, marquée par un afflux massif de travailleurs étrangers et burkinabé en particulier, la période Ouattara n’arrive pas à concilier les prouesses macroéconomiques avec l’amélioration des indicateurs sociaux. Le taux de pauvreté reste toujours aussi élevé (40%) et le chômage, y compris ceux des diplômés chômeurs, frôle des sommets. En fait chez la Côte d’Ivoire des années 70 comme dans celle d’aujourd’hui, il y a une difficulté à monter dans la chaîne de valeur cacaoyère. Le taux de transformation locale n’excède pas 5% et la faillite récente de Safcacao a tempéré les ardeurs du secteur bancaire envers une filière somme toute risquée. Les revenus des paysans continuent d’être sujets aux fluctuations du marché, faisant regretter le système de la Caistab (Caisse de stabilisation) démantelé sous l’injonction de la Banque Mondiale dans le vaste programme de libéralisation des années 90.
Ce processus de libéralisation concluait une ère Houpheit Boigny sous la conduite d’un certain Alassane Ouattara, premier ministre investi de tous les pouvoirs et exécuteur testamentaire d’un président qui dura au pouvoir sans doute plus qu’il n’en fallait. Aujourd’hui, à travers le timide début d’un cartel Cacao entre la Côte d’Ivoire et le Ghana, il s’agit encore de protéger le pouvoir d’achat des paysans face à un marché international imprévisible. Les enjeux de la transformation, toujours dans les priorités, suscitent peu de mobilisation.
Face à la faible transformation locale, la conjoncture internationale, faite de taux d’intérêt du marché de la dette, de cours de matières premières décidées depuis Genève, Londres et Chicago, ainsi que des fluctuations du couple euro/dollars et, de plus en plus, du tandem euro/yuan, peut à tout moment réduire à néant les années de progrès.
C’est ainsi que le miracle ivoirien de pays à revenu intermédiaire avait atterri au début des années 2010 dans les rangs de pays pauvre et très endetté (PPTE).
Comme lors de la fin de l’ère Houpheit, la Côte d’Ivoire est de nouveau devant le mur social qu’il faut repousser. Celui de la dette étant, Ouattara l’a dit et certifié, maîtrisé, avec un taux d’endettement de 45%. La robustesse du système devrait s’apprécier dans les années à venir par sa capacité à créer de la richesse, de l’emploi et à sortir le plus grand nombre de la pauvreté.
Difficile de trancher dans la comparaison entre les deux présidents. Tous deux ont réussi des bonds impressionnants de croissance mais tous deux ont échoué dans la transformation économique et sociale. De la même façons que lors de la période 1960-1978 quand le pays, tiré par le boom des exportations de café, cacao et bois non transformés, battait les records de détention de réserves de change, la Côte d’Ivoire de 2019 reste toujours un exportateur de matières premières qui envoie des millions d’emplois par delà les mers.
Par Rodrigue Fénelon Massala, Grand Reporter