Financial Afrik est parti à Abidjan à la rencontre de Jean-Luc Konan, PDG du Groupe Cofina. Entouré de ses principaux collaborateurs, le fondateur de l’institution leader de la mésofinance en Afrique de l’Ouest et Centrale a répondu à nos questions sur les performances de son Institution et, au-delà, sur l’activité de la mésofinance. Exclusif.
Comment se porte Cofina au terme du premier semestre 2019 ?
Cofina va plutôt bien, avec une croissance soutenue par une équipe de collaborateurs disposant d’une longue expérience commune. Sur le plan du bilan, l’exercice 2018 s’est plutôt bien déroulé, la croissance s’est même confirmée au 30.06.2019 avec un total bilan passé de 155 à 188 milliards FCFA, en ligne avec l’augmentation de 45% prévue au 31.12.2019. Nous sommes satisfaits de nos performances et de nos réalisations depuis le lancement de Cofina en 2014. À ce jour, nous avons financé plus de 70 000 projets en injectant plus de 445 milliards de Franc CFA. Plus de 60% de ces financements sont allés à des gens qui accédaient à un financement pour la toute première fois.
Mais comment faites-vous pour maîtriser les risques liés aux primo-emprunteurs, aux PME et aux clients de la mésofinance en général ?
La mésofinance est un marché basé sur trois critères fondamentaux. Il faut d’abord s’assurer que le client a une activité. Ensuite, s’assurer qu’il a une volonté de rembourser et, en troisième lieu, s’il a la capacité de le faire. Il y a donc plusieurs quantitatifs dans l’analyse mais aussi des éléments subjectifs. La proximité est essentielle dans cette approche. La data nous offre du recul pour affiner l’analyse et déterminer le scoring du client et sa probabilité de faire défaut ou pas. Une base statistique est nécessaire dans ce profilage. Bien sûr, ce n’est pas un modèle prêt à porter, mais bien du « sur-mesure ».
Vous ne faites donc pas recours aux logiciels pour déterminer le profil du client ?
Il y a bien sûr le logiciel qui est à la base, mais il faut le remplir de paramètres et de critères pour arriver à une bonne modélisation. Un entrepreneur évoluant plus ou moins dans le formel, qui a une expérience et s’acquitte du paiement et de salaires depuis plusieurs années et qui apporte une garantie n’est pas noté de la même manière qu’un porteur de projet qui se lance et qui ne dispose ni d’épargne ni d’expérience.
Est-ce à dire finalement que la mésofinance est plus risquée que la banque classique ?
La banque classique dispose de profils spécifiques et de clients (grandes entreprises) présentant des comptes fiables. Il est facile de dresser le profil de ce type de clientèle. Tout au contraire d’un client de mésofinance qui n’a pas d’états financiers ou dispose de chiffres non fiables. Dans notre domaine, nous disons toujours qu’il faut distinguer un entrepreneur d’un aventurier. Le premier évolue depuis un certain temps dans son activité qu’il maîtrise à 70%, apprenant le reste au fur et à mesure. L’entrepreneur évolue dans un secteur qu’il maîtrise et a l’habitude de payer des salaires et des charges. L’aventurier a une vague idée de ce qu’il veut faire dans un secteur qu’il ne maîtrise pas forcément et s’avère souvent un pseudo entrepreneur. Les deux profils sont radicalement opposés. En gros, la mésofinance présente la même approche que la banque tout en arrivant à financer et à accompagner des entrepreneurs ne disposant pas toujours d’états financiers.
Votre total bilan se rapproche de 200 milliards de Franc CFA. Allez-vous évoluer vers un statut de banque à part entière ?
Il est vrai que de par notre taille, nous avons plutôt un profil de banque moyenne dans nos zones UEMOA et CEMAC. Nos filiales en Côte d’Ivoire et au Sénégal, avec une moyenne de total bilan de 60 milliards de FCFA et de fonds propres de plus de 10 milliards de Franc CFA, ont un bilan qui dépasse certaines banques de leurs pays respectifs. Mais notre vocation est de faire de la mésofinance. Il s’agit d’une activité primordiale pour nos pays au vu du foisonnement des PME et de leurs difficultés pour accéder au crédit. Les banques sont nos partenaires qui, à un certain moment, prennent le relais avec nos «gros clients» quand ceux-ci sollicitent des besoins de financement au-delà des limites de la mésofinance. Notre vocation est de rester une structure de mésofinance tant en termes de montants (300 millions de financements au maximum) que de durée (quatre ans).
Ceci dit, dans la continuité logique de l’accompagnement de ces « gros clients », nous étudions la possibilité de mettre en place une institution bancaire spécifique qui aura entre autres rôles d’être un guichet de refinancement des institutions de microfinance de la région.
Les banques sont soumises aux règles de Bâle 2, Bâle 3. Quels sont les minimas appliqués à une institution de mésofinance comme la vôtre ?
Nous sommes régis par le même cadre juridique régissant les institutions de microfinance. Les normes qui nous sont appliquées sont tout aussi contraignantes que celles des banques, voire plus sévères dans certains aspects. Ainsi, à tout moment nos fonds propres doivent représenter 15% de notre total bilan en Zone UEMOA. Pour les banques, le niveau de fonds propres est basé sur les engagements pondérés calculés selon des normes (Bâle 2, Bâle 3) qui posent des problèmes selon les risques PME par exemple. De plus, pour les IMF, il faut noter qu’en zone UEMOA, contrairement à la zone CEMAC, les garanties ne sont pas prises en compte dans le calcul des provisionnements. En mésofinance, dès qu’un engagement n’est pas honoré, il faut le provisionner à 40% au-delà de 90 jours et 100% au-delà de 180 jours. Cela peu importe qu’on ait des garanties ou pas.
Quid des évolutions souhaitées de la réglementation sur la mésofinance en zone UEMOA et CEMAC ?
De façon générale, nous souhaitons plus d’assouplissement de la réglementation. Nous sommes une institution de développement et d’inclusion financière. La norme de capitalisation par exemple à mon avis devrait être calculée sur les engagements àrisques et non le total bilan.
Quid de votre programme de développement au niveau régional ?
Avec le Burkina Faso en ouverture, nous sommes désormais à 7 filiales dont deux en zone CEMAC (Congo, Gabon). Nous travaillons à l’obtention d’un agrément devant nous permettre d’ouvrir une agence à Paris avec pour objectif de canaliser l’épargne de la diaspora. Et enfin nous sommes à la dernière étape dans les démarches pour un agrément au Togo, ce qui nous portera à neuf filiales d’ici l’année prochaine.
Vous avez ouvert votre capital il y a deux ans à un fonds de private equity. Comment évaluez-vous l’apport de cette opération stratégique?
En réalité, nous avons réalisé deux opérations stratégiques. Il y a d’abord, comme vous l’avez dit, l’ouverture de notre capital au fonds Mediterrania Capital Partners. C’est un apport considérable et pas seulement au niveau financier. Cette opération nous donne de la visibilité sur le marché financier international et nous permet si besoin est, d’obtenir des financements auprès d’autres acteurs. Nous prévoyons d’ailleurs une introduction en Bourse d’ici 2025, ici ou ailleurs. Nous sommes d’ores et déjà inscrits au programme élite de la BRVM.
L’autre opération stratégique est le lancement de la première opération de titrisation en zone Franc. L’opération avait été sursouscrite à plus de 170% en 15 jours. Ce fut un franc succès. Le remboursement est pratiquement terminé, ce qui dénote de la qualité de notre signature.
Vous avez parlé de 2025. C’est probablement la date d’exit du fonds ?
Oui, ce sera probablement le cas s’il n’y a pas de nouvelles opportunités. Nous avançons en choisissant le chemin de la moindre résistance.
Finalement, comment voyez-vous Cofina d’ici 20 ans ?
Déjà, après l’introduction en Bourse en 2025, je devrais, avec l’équipe dirigeante actuelle au plus tard en 2027, quitter le comité de direction pour le conseil d’administration. Une nouvelle équipe dirigeante, issue de notre système de promotion en interne, prendra le relais pour emmener Cofina encore plus loin.